L'administration de la preuve est l'opération intellectuelle par l'effet de laquelle un fait est censé être vrai et peut fonder une condamnation. Elle est donc fondamentale dans le procès pénal, mais elle n'est pas régie de la même manière selon la qualité de l'agent qui verse les preuves. Les agents publics sont soumis à une législation précise et abondante, alors que les particuliers sont beaucoup plus libres. Mais jusqu'où peut aller cette liberté des particuliers dans l'administration de la preuve ? C'est dans ce domaine que la Chambre criminelle de la Cour de cassation statue en rendant son arrêt le 11 juin 2002.
En l'espèce, des membres et des sympathisants de l'association SOS Racisme ont organisé une opération, dite « testing », afin d'établir d'éventuelles pratiques discriminatoires à l'entrée de discothèques. Les intéressés se sont alors répartis en groupes, les uns composés de personnes d'origine maghrébine, les autres de personnes d'origine européenne, pour constater l'accueil qui leur était réservé à l'entrée de discothèques. Les personnes d'origine maghrébine se sont vues refuser l'entrée, contrairement aux personnes d'origine européenne. Une enquête a été effectuée par les gendarmes appelés sur place, puis le procureur de la République a fait citer devant le tribunal correctionnel les exploitants et les portiers des établissements concernés pour discrimination dans la fourniture d'un service à raison de l'origine raciale ou ethnique, sur le fondement des articles 225-1 et 225-2 du code pénal.
Le tribunal ayant relaxé les prévenus, les parties civiles ont fait appel et ont également été déboutées de leur demande en 2ème instance au motif que « le procédé dit testing est illicite, qu'il n'offre aucune transparence, ne respecte pas la loyauté nécessaire dans la recherche des preuves et porte atteinte aux droits de la défense ainsi qu'à un procès équitable ».
Les parties civiles, dont l'association SOS Racisme, ont alors formé un pourvoi en cassation sur le fondement de l'article 427 du code de procédure pénale, qui consacre le principe de la liberté dans l'administration de la preuve.
Ainsi, le procédé dit testing est-il utilisable par des particuliers dans la recherche de preuves ? Porte-t-il atteinte au principe de loyauté qui régit l'administration de la preuve en matière pénale ? Des preuves obtenues de manière considérée comme déloyale sont-elles recevables devant le juge répressif, dans le but de faire primer la recherche de la vérité ?
Comment concilier le principe de liberté dans l'administration de la preuve avec celui de la loyauté ?
La cour de Cassation, dans sa décision du 11 juin 2002, casse partiellement l'arrêt attaqué, « attendu qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; qu'il leur appartient seulement, en application du texte susvisé, d'en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire ».
Ainsi, elle reste dans la continuité de sa jurisprudence antérieure ; et elle va même plus loin en permettant à une association de se comporter comme un véritable enquêteur. La Cour de cassation se prononce ici sur la validité de la pratique du testing, effectuée par de simples particuliers. En cassant l'arrêt attaqué qui avait déclaré irrecevables les preuves obtenues par ce procédé, la Cour valide cette pratique. Ainsi, elle fait primer le principe de liberté sur le principe de loyauté dans l'administration de la preuve par des parties civiles (I). Cette pratique est accueillie par la Cour de cassation pour des raisons pragmatiques, qui afin de pallier à d'éventuelles dérives de la part de simples particuliers, la soumet au contrôle du juge (II).
[...] La primauté du principe de liberté sur celui de loyauté dans l'administration de la preuve La Cour de cassation affirme avec force qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale Ainsi, le principe de liberté permet de valider la pratique du testing ; par cette décision la Cour de cassation s'inscrit dans la continuité du courant jurisprudentiel et législatif A. Le principe de liberté permettant la validation du testing La liberté de la preuve est inégalement consacrée dans notre droit. Le droit civil admet de façon presque absolue la règle de la nécessité d'un écrit. Le droit commercial fait au contraire de la liberté de la preuve pour prouver les actes de commerce un véritable dogme. La procédure pénale connaît la même règle, mais sans que celle-ci soit absolument générale. [...]
[...] Comment concilier le principe de liberté dans l'administration de la preuve avec celui de la loyauté ? La Cour de cassation, dans sa décision du 11 juin 2002, casse partiellement l'arrêt attaqué, attendu qu'aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d'écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; qu'il leur appartient seulement, en application du texte susvisé, d'en apprécier la valeur probante après les avoir soumis à la discussion contradictoire Ainsi, elle reste dans la continuité de sa jurisprudence antérieure ; et elle va même plus loin en permettant à une association de se comporter comme un véritable enquêteur. [...]
[...] Le pragmatisme et le correctif opéré par le contrôle du juge L'admission du testing s'explique par le pragmatisme dont font preuve les hauts magistrats ; et cette pratique est encadrée par le contrôle du juge, notamment par son pouvoir d'appréciation et par le principe du contradictoire A. Des raisons pragmatiques appréciées par la Cour de cassation La pratique du testing se justifie par le fait que la discrimination est un délit très difficile à prouver pour les victimes ; c'est pourquoi la chambre criminelle de la Cour de cassation l'admet, afin d'éviter que des faits de discrimination avérés ne demeurent impunis. Les policiers ne peuvent être partout, surveiller chaque entrepôt, chaque commerce pour surprendre un employé indélicat. [...]
[...] Une décision allant dans le sens de la jurisprudence et de la loi Les parties, fortes de ce principe, peuvent donc se constituer des preuves par le procédé du testing par exemple, qui s'il est déloyal n'est pas illégal, mais aussi par la commission d'un délit pénal. En effet, depuis quelques années, la chambre criminelle a rendu une série d'arrêts qui accueillent de telles preuves. Ainsi, dans un arrêt du 6 avril 1993, la chambre criminelle de la Cour de cassation admet la recevabilité d'une preuve obtenue au moyen d'un délit. [...]
[...] Les victimes sont donc amenées à collecter elles-mêmes les preuves des infractions dont elles se plaignent, et la Cour de cassation a pris le parti d'admettre avec bienveillance ces preuves obtenues par des moyens déloyaux, pour que justice puisse être rendue. Ce qui ne veut pas dire que tous les moyens sont bons pour démontrer la vérité : la preuve obtenue par des moyens de torture ou de contrainte visant à supprimer tout libre arbitre du délinquant ne saurait être accueillie. [...]
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