La notion d'ordre public, dont la dignité humaine a été consacrée comme une composante indissociable, constitue un pivot du droit de la police administrative municipale, justifiant dans certaines mesures des restrictions aux libertés fondamentales.
C'est ce que rappelle le Conseil d'Etat dans son arrêt Commune de Morsang-sur-Orge, en date du 27 octobre 1995. La CJCE en fait une application plus souple dans son arrêt du 14 octobre 2004, Omega c. Bonn.
Dans la première espèce, le maire de Morsang-sur-Orge a, par arrêté du 25 octobre 1991, interdit les spectacles dits de « lancer de nain », devant se dérouler dans les discothèques de cette commune. Ces activités consistaient pour les spectateurs à lancer le plus loin possible un nain vêtu d'un costume de protection. Dans cette dernière affaire, le conflit portait sur la liberté du travail, du commerce et de l'industrie et la dignité de la personne humaine.
Dans la seconde espèce, la CJCE est appelée à dire jusqu'à quel point les juridictions nationales peuvent s'appuyer sur les valeurs consacrées par leurs droits constitutionnels pour prendre des mesures qui protègent certes l'ordre public dans leur État membre, mais au prix d'une mise en cause de libertés fondamentales du traité CE. Elle se prononce ainsi sur la libre prestation des services (article 49 à 55 CE) et sur la libre circulation des marchandises (des articles 28 à 30 CE) à propos d'une restriction fondée sur la dignité humaine.
Omega, société de droit allemand exploitait depuis le 1er août 1994 à Bonn une installation dénommée «laserdrome», normalement destinée à la pratique d'un sport dénommé «laser-sport».
Les jeux qui y étaient organisés consistaient à tirer avec des appareils de visée à laser semblables à des mitraillettes, sur des capteurs installés dans des couloirs de tirs ou sur des gilets portés par d'autres joueurs. Omega utilisait dans son « laserdrome » un modèle de jeu développé et commercialisé par la société Pulsar établie au Royaume-Uni et a conclu un contrat de franchisage avec celle-ci en 1997.
Avant même son ouverture, cette activité avait suscité une protestation de la part de la population voisine.
Le 14 septembre 1994, l'autorité de police a alors pris un arrêté interdisant à Omega de permettre ou de tolérer dans son « laserdrome » des jeux ayant pour effet de tirer sur des cibles humaines, en raison de l'existence d'un danger pour l'ordre public ; les actes d'homicides simulés et la banalisation de la violence ainsi entraînée étant contraires aux valeurs fondamentales prévalentes dans l'opinion publique.
Cet arrêté posait la question de savoir si et dans quelle mesure les différences entre les seuils d'application de la protection des droits fondamentaux dans les États membres, peuvent avoir un impact sur la licéité d'une telle mesure nationale au regard du droit communautaire, compte tenu de l'applicabilité des droits fondamentaux dans le cadre de ce dernier ?
Dans l'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge de 1995, le Tribunal administratif de Versailles a annulé, sur recours de la société de production, l'arrêté litigieux, estimant qu'en l'absence de circonstances locales particulières, le maire qui a prononcé une telle interdiction a excédé ses pouvoirs de police.
D'où la saisine en appel du Conseil d'Etat se prononçant en assemblée du contentieux.
Dans l'arrêt de 2004, la société Omega a entrepris une série de recours pour faire annuler l'arrêté.
Omega a déposé contre cet arrêté une réclamation qui a été rejetée le 6 novembre 1995 par l'autorité administrative locale de Cologne.
Par jugement du 3 septembre 1998, le Verwaltungsgericht Köln a rejeté le recours.
L'appel introduit par Omega, qui avait été déclaré recevable en raison de l'importance de principe de la question posée, a été rejeté le 27 septembre 2000 par l'Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen.
Par la suite, Omega a formé un pourvoi en «Revision» devant le Bundesverwaltungsgerichten raison de l'atteinte portée par l'arrêté litigieux au droit communautaire, et notamment à la liberté de prestation des services.
À cet égard, la juridiction de renvoi considère que le point essentiel de la question à trancher en l'espèce est de savoir si la compétence que les États membres ont de restreindre les libertés fondamentales du traité, comme en l'occurrence la libre prestation de services et la libre circulation des marchandises, pour des raisons impérieuses d'intérêt général est subordonnée à la condition que cette restriction se fonde sur une conception du droit commune à tous les États membres.
La juridiction de renvoi a décidé, par ordonnance du 24 octobre 2001, de surseoir à statuer et de poser à la CJCE une question préjudicielle.
Etait-il compatible avec la liberté fondamentale de libre prestation des services, que le droit national impose l'interdiction du « laserdrome » où seraient simulés des actes contraires à la dignité humaine (consacrée par la loi fondamentale allemande) ?. En substance, la restriction des libertés fondamentales en cause doit-elle reposer sur une conception du droit commune à tous les Etats membres ?
Ainsi, le respect de la dignité humaine est-il une composante de l'ordre public, autorisant le maire, même en l'absence de circonstances locales particulières, d'interdire une attraction qui y porte atteinte ?
Par ailleurs, un Etat ne peut-il restreindre la libre prestation de services prévue par le traité d'Amsterdam qu'en vertu d'une conception de la dignité humaine partagée par tous les Etats membres ? Où à l'inverse, une activité contraire au PGD allemand, qu'est la dignité humaine, mais non partagée par tous les Etats membres, peut elle justifier une entorse au droit européen ? Le respect de l'ordre public peut-il être invoqué au profit d'une restriction, voire d'une interdiction d'une activité portant atteinte à la dignité humaine ?
Il résulte de ce qui précède que les deux juridictions se rejoignent quant à leur confirmation dans un premier temps de la compétence de l'autorité municipale, garante de l'ordre public, pour restreindre les libertés fondamentales qui lui porteraient atteinte (I).
Dans un second temps, le Conseil d'Etat et la CJCE admettent des restrictions aux libertés fondamentales en cause en ce qu'elle porte atteinte à la dignité humaine, composante indissociable de l'ordre public (II).
[...] Encore faut-il pour que le pouvoir de police s'exerce, que l'ordre public soit invoqué. A une question posée en août 2000 par un sénateur, Mme Le Garde des Sceaux E. Guigou répondait : en l'état actuel de la législation et de la jurisprudence, il n'apparaît pas possible de donner une définition unique et intangible de la notion d'ordre public En effet, on ne peut la saisir que par défaut, à travers les manquements qui lui sont faits. Pour le professeur E. [...]
[...] Ainsi, dans son arrêt du 22 novembre 1995, SW c/Royaume-Uni, le respect de la dignité humaine constitue l'essence même de la convention Ce principe trouve également ses sources dans le Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966 auquel la France a adhéré en vertu de la loi du 23 juin 1980, qui reconnaît que ces droits découlent de la dignité inhérente à la personne humaine L'article 1er de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dispose que la dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée». La «dignité humaine» est l'expression du respect et de la valeur reconnus à toute personne humaine en raison même de son humanité. Elle vise à la protection et au respect de l'essence ou de la nature de l'être humain en soi, c'est-à-dire de la «substance» de la personne humaine. L'être humain se réfléchit donc dans cette dignité; elle est l'expression de ce qui fait son humanité. [...]
[...] Ainsi, la CJCE rappelle dans son arrêt Omega que l'ordre public ne peut être invoqué qu'en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société Ce contrôle exercé par la Cour a notamment pour conséquence qu'une infraction à des dispositions nationales n'est pas automatiquement une violation de l'ordre public. La justification de la restriction apportée à la libre prestation de services par la protection de l'ordre public ne peut s'appliquer que si la variante de jeu interdite par l'arrêté litigieux constitue une menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Les autorités nationales disposent d'une marge de liberté pour l'appréciation effectuée. [...]
[...] CCPR/C/75/D/854/1999 Aussi CJCE mars 2000, Eglise de scientologie Arrêts du 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille (115/81, Rec. [...]
[...] Il semble donc que l'on soit passé avec l'arrêt Commune de Morsang-sur- Orge, à une approche bien plus idéaliste, in abstracto (J. Morand-Deviller). Cette position est également audacieuse car elle ouvre des perspectives de déstabilisation. Incontestés dans leur énoncé, les principes fondamentaux se prêtent à une interprétation nuancée quant à leur application (J.Morand-Deviller). En effet, tant dans l'affaire du lancer de nain que dans l'arrêt de la CJCE, Omega, les deux arrêts laissent aux autorités de police la charge de cette interprétation. [...]
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