Les XIXe et le XXe siècles ont été marqués par une multiplication du nombre des accidents liée à l'industrialisation, au développement des machines et de la circulation routière. Or la volonté de trouver un débiteur susceptible d'indemniser les victimes a conduit à la création des régimes de responsabilité sans faute. A titre d'exemple, on peut citer le régime de responsabilité des employeurs établi par une loi de 1898, et plus récemment le régime de responsabilité du fait des accidents de la circulation.
Deux arrêts d'assemblée plénière du 6 avril 2007 – dont celui soumis à notre étude – illustrent la mise en œuvre du régime de responsabilité particulier introduit en droit français par la loi du 5 juillet 1985. La responsabilité du fait des accidents de la circulation présente des particularités notamment au niveau de l'indemnisation des victimes ; cette loi a effectivement été adoptée pour créer un régime de surprotection favorable aux victimes.
En l'espèce, une collision s'est produite entre un véhicule automobile et une motocyclette venant en sens inverse. Pour obtenir une indemnisation de son préjudice, le conducteur de la motocyclette assigne le conducteur de l'automobile et son assurance en réparation. Le conducteur de l'automobile fait valoir que le droit à réparation du motocycliste ne peut être intégral, dès lors que ce dernier était sous l'emprise de l'alcool et avait commis un excès de vitesse.
L'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix en Provence le 6 octobre 2004 est contesté par le conducteur de la voiture. Ce dernier forme un pourvoi en cassation.
Dans son pourvoi, le conducteur de l'automobile reproche à l'arrêt de la cour d'appel d'admettre l'intégralité du droit à réparation du motocycliste. En premier lieu il estime qu'en conduisant avec un taux d'alcoolémie supérieur au seuil légal, le motocycliste a commis une faute en relation avec son dommage de nature à exclure ou à limiter son droit à réparation conformément à l'article 4 de la loi de 1985. En second lieu, il reproche à la cour d'appel de n'avoir pas tenu compte de l'excès de vitesse commis par le motocycliste au moment de la réalisation du dommage. Selon lui un tel excès constitue une faute relevant de l'article 4 de la loi de 1985.
Aussi, la question qui se pose à la Cour de cassation est la suivante : dans quelle mesure la faute de la victime peut-elle interférer dans le droit à réparation des victimes tel qu'il est établit par le régime de responsabilité du fait des accidents de la circulation ?
[...] Concernant la pratique, l'arrêt présente un intérêt digne de retenir notre attention. Dans la mise en œuvre de la loi du 5 juillet 1985, le juge judiciaire peut refuser de consacrer une inégalité en accordant l'indemnisation si la victime conductrice a commis une faute. Toutefois, comme en témoigne l'arrêt d'assemblée plénière du 6 avril 2007, la preuve de l'existence d'une telle faute ou du rôle joué par cette faute dans la réalisation du dommage, est soumis à un régime de preuve défavorable au demandeur. [...]
[...] Dans l'arrêt du 6 avril 2007, l'assemblée plénière rappelle les caractéristiques de la faute susceptible de remettre en cause l'intégralité du droit à réparation conformément à l'article 4 de la loi de 1985. En réaction aux atermoiements jurisprudentiels, aux points de vue divergents existant entre les différentes chambres, la Cour de cassation rappelle que la faute doit être en relation causale avec le dommage. Cette solution - respectueuse de l'esprit de la loi est conforme à la logique d'indemnisation qui gouverne le régime de responsabilité du fait des accidents de la circulation. [...]
[...] La Cour de cassation considère effectivement que le demandeur n'a pas rapporté la preuve que le motocycliste a commis une faute relevant de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985. Après examen des circonstances de l'accident, la Cour estime que la cour d'appel ne pouvait pas conclure sur l'existence d'un lien de causalité entre l'état d'alcoolémie du motocycliste et la réalisation de son préjudice. De même l'excès de vitesse, n'ayant pas été suffisamment établi, la cour d'appel a bien appliqué les textes en refusant d'exclure l'intégralité du droit à réparation du conducteur victime. L'arrêt soumis à notre étude présente des intérêts divers, à la fois théorique et pratique. [...]
[...] En réalité, cette position n'est pas nouvelle. En effet, un arrêt rendu le 7 février 1990 par la deuxième chambre civile décidait qu'il n'y a pas lieu de réduire l'indemnisation du préjudice corporel subi par le conducteur d'un véhicule entré en collision avec un autre en raison de l'absence du port de la ceinture de sécurité s'il a été constaté qu'il n'existait pas de relations de cause à effet entre les blessures et l'absence de port de la sécurité. Toutefois, si la Cour de cassation a jugé bon de se réunir en assemblée plénière, c'est pour mettre fin aux divergences et à l'orientation prise par la jurisprudence depuis 1997. [...]
[...] Pourtant, de nombreux auteurs font remarquer que la différence est importante. En effet, il se peut qu'une faute de la victime ait une grande incidence sur son dommage, sans avoir pour autant joué un rôle quelconque dans la genèse de l'accident. La faute de la victime conductrice peut être, à la fois, à l'origine de l'accident et de son dommage ; lorsque dans cette situation la distinction ne présente pas d'intérêt, les arrêts évoquent la cause de l'accident Mais dans d'autres arrêts la faute de la victime peut avoir principalement des conséquences au niveau de la réalisation de son dommage ; c'est le cas dans les arrêts concernant des automobilistes ou des motocyclistes qui n'avaient pas attaché leur ceinture, ou mis leur casque Cette confusion entre la faute à l'origine du dommage et la faute cause exclusive de l'accident, a fait l'objet de critiques. [...]
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