Selon Federico Fellini « Un artiste, qu'il soit peintre ou cinéaste, a le droit d'être représenté et d'arriver à son public dans l'intégralité de son oeuvre » (Entretien à « Art Press », juillet-août 1991). Cette citation fait, entre autre, référence au droit moral que possède un auteur sur son oeuvre, droit qui est justement au coeur de l'arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation du 28 mai 1991.
En l'espèce, il s'agissait d'une action intentée par le réalisateur John Huston et le scénariste Ben Maddow, coauteurs du film Asphalt Jungle tourné en noir et blanc aux Etats-Unis en 1950 (à une époque où la couleur était déjà courante), qui avait fait l'objet dans les années 1980 d'un processus de coloriage contre leur volonté. N'ayant pu faire valoir aucun droit contre le « copyright owner » aux USA, les héritiers de John Huston décidèrent d'agir en France pour faire interdire la diffusion télévisée de la version coloriée du film. Les défendeurs, « La Cinq » et la société américaine « Turner Entertainnent », invoquaient l'application de la loi américaine, selon laquelle les héritiers Huston ne possèderaient aucun droit moral sur l'oeuvre, étant donné que la loi des Etats-Unis désigne le producteur cinématographique comme étant « l'auteur » du film (c'est-à-dire celui qui possède les droits sur l'oeuvre en question). Dès lors, John Huston n'étant pas « l'auteur » du film « Asphalt Jungle » selon la loi américaine, ses héritiers ne pouvaient prétendre au droit moral en France.
La Cour d'appel de Paris, par un arrêt du 6 juillet 1989, a accueilli les arguments des défendeurs, en refusant aux consorts Huston le droit d'invoquer en France le droit moral reconnu par la loi française, au motif que l'affaire devait être tranchée selon le droit américain et non selon le droit français. Ces derniers décidèrent alors de se pourvoir en cassation, puisque selon eux, c'est bien le droit français qui devait être appliqué dans ce litige.
Dès lors, la présente affaire soulève la question de savoir si le droit moral français doit s'appliquer à tous les litiges ayant lieu sur le territoire français ?
[...] Toutefois, la reconnaissance de certaines techniques semble cloisonner le principe dégagé par la Cour de cassation au seul droit moral A L'influence du droit moral sur les droits patrimoniaux. Historiquement les décrets des 13-19 janvier 1791 et 19-24 juillet 1793 marquaient la naissance du droit d'auteur moderne en reconnaissant aux auteurs les monopoles de représentation et de reproduction de leurs œuvres (Jacques Raynard, Recueil Dalloz Sirey, 1993). Il faudra néanmoins attendre la loi du 11 mars 1957 pour que soient légalement reconnus les attributs d'ordre intellectuel et moral qui constitue aujourd'hui ce que l'on appelle communément le droit moral de l'auteur sur son œuvre. [...]
[...] Si le caractère universaliste du droit moral est au centre de la décision de la Cour de cassation, il apparaît qu'un certain nombre de conséquences ressorte de celle-ci. I Le caractère universaliste du droit moral. Dans la conception française du droit d'auteur, le droit moral est si essentiel que l'on ne conçoit pas qu'un auteur étranger puisse en être dépossédé en France. Cette conception universaliste découle de l'utilisation des lois d'application impérative qui proviennent de la législation française A Le droit moral : une matière régit par des lois d'application impérative Habituellement, lorsqu'une situation comporte un ou plusieurs éléments d'extranéité et que plusieurs règles substantielles, provenant de différents Etats, permettent de régir cette même situation, les juges appliquent la règle de conflit bilatérale (également nommée méthode savignienne pour identifier et sélectionner la loi qui permettra de régler le litige qui leur est présenté (F. [...]
[...] L'extension du champ d'application de l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi du 8 juillet 1964, mêlé aux dispositions de l'article 6 de la loi du 11 mars 1957, a permis à la Première Chambre civile de la Cour de cassation de dégager un véritable arrêt de principe qui reconnait, par le biais de ces lois d'application impérative le caractère universaliste du droit moral. Toutefois, l'universalisme du droit moral français entraine un certain nombre de conséquences qui s'étendent au-delà de la simple conception du droit moral que nous avons pu voir jusqu'à maintenant. [...]
[...] Commentaire : arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation mai 1991. Selon Federico Fellini Un artiste, qu'il soit peintre ou cinéaste, a le droit d'être représenté et d'arriver à son public dans l'intégralité de son œuvre (Entretien à Art Press juillet-août 1991). Cette citation fait, entre autre, référence au droit moral que possède un auteur sur son œuvre, droit qui est justement au cœur de l'arrêt de la Première Chambre civile de la Cour de cassation du 28 mai 1991. [...]
[...] La Cour de cassation, par son arrêt du 28 mai 1991, va dans le sens de cette première analyse, puisqu'elle estime qu'aucune atteinte ne peut être portée à l'intégrité d'une œuvre littérale ou artistique, quel que soit l'Etat sur le territoire duquel cette œuvre a été divulguée pour la première fois Pourtant, littéralement parlant, il semble bien que l'alinéa 2 de l'article 1er de la loi du 8 juillet 1964 doive être lu conjointement avec l'alinéa 1er de cette même loi, puisqu'il y est question de protéger ces œuvres contre les atteintes à leur paternité ou à leur intégrité. L'adjectif démonstratif qu'est le mot ces semble bien renvoyer directement aux œuvres faisant l'objet de l'alinéa 1er de cette même loi. Dès lors, l'article 1er laisserait la possibilité aux auteurs d'invoquer leur droit moral en France à condition que leurs œuvres soient originaires de pays n'ayant pas d'accords de droit d'auteur avec la France et lorsqu'il n'y a pas de protection réciproque du pays d'origine. [...]
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