La question du contrôle du juge administratif sur le fondement des normes constitutionnelles est toujours présente, en témoigne l'arrêt d'assemblée rendu par le Conseil d'Etat le 16 décembre 2005 à propos de l'affaire du syndicat national des huissiers de justice.
En l'espèce, une décision ministérielle du 5 juillet 2000 reconnaissait au syndicat national des huissiers de justice un caractère représentatif au plan national pour participer aux négociations collectives intéressant la profession d'huissier de justice. Or, les dispositions du troisième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, confèrent à la chambre nationale des huissiers de justice une compétence pour l'exercice de droits normalement détenus par les organisations syndicales et l'article 10 de cette même ordonnance dispose que les huissiers peuvent former entre eux des associations en vertu de la loi du 1er juillet 1901, mais qu'elles ne peuvent en aucun cas s'étendre sur les questions qui, en vertu de ladite ordonnance, sont attribuées à la chambre nationale des huissiers de justice.
La chambre nationale introduit donc un recours en excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Paris, visant à l'annulation de l'acte ministériel du 5 juillet 2001. Cette demande est accueillie mais le Ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, ainsi que le syndicat national des huissiers de justice interjètent appel.
La cour administrative d'appel de Paris rend un arrêt confirmatif. Les appelants, alors déboutés une nouvelle fois de leur demande, introduisent un recours en cassation devant le Conseil d'Etat, compétent pour connaître en cassation des affaires jugées en dernier ressort. Celui-ci reconnaît la légitimité de la demande d'annulation de l'arrêt attaqué au motif que l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du bloc de constitutionnalité, qui reconnaît à tout homme le droit de défendre ses droits et intérêts par l'action syndicale, est incompatible avec l'article 10 de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
Il constate donc l'erreur de droit de la cour administrative d'appel et l'abrogation implicite de dispositions législatives inconciliables avec un texte postérieur, en l'espèce, l'ordonnance du 2 novembre 1945 incompatible avec l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946.
Dans cette idée, il appartient au Conseil d'Etat de déterminer dans quelles mesures il peut écarter un texte, non abrogé explicitement, au bénéfice d'un autre.
Il convient de répondre à cette question en explicitant la solution originale que constitue l'abrogation implicite (I) pour ensuite analyser qu'elle s'inscrit dans le rapport suprématie constitutionnelle et théorie de la « loi écran » (II).
[...] Le Conseil d'Etat, pour assurer un certain contrôle, va donc constater l'abrogation de la disposition plus ancienne, en l'espèce l'ordonnance de 1945, au bénéfice de l'autre disposition, la disposition constitutionnelle. Le juge administratif, par l'abrogation implicite, ne fait que constater logiquement que le texte postérieur abroge l'ancien texte qui lui est contraire. Il faut cependant préciser que le juge administratif a retenu une conception restrictive de l'abrogation implicite. Une conception restrictive du juge administratif Ainsi, le juge administratif explicite un critère unique qui le conduit à admettre l'abrogation implicite, celui du caractère inconciliable entre les dispositions législatives antérieures et les dispositions constitutionnelles ou éventuellement législatives. [...]
[...] Celui- ci reconnaît la légitimité de la demande d'annulation de l'arrêt attaqué au motif que l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946, partie intégrante du bloc de constitutionnalité, qui reconnaît à tout homme le droit de défendre ses droits et intérêts par l'action syndicale, est incompatible avec l'article 10 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Il constate donc l'erreur de droit de la cour administrative d'appel et l'abrogation implicite de dispositions législatives inconciliables avec un texte postérieur, en l'espèce, l'ordonnance du 2 novembre 1945 incompatible avec l'alinéa 6 du Préambule de la Constitution de 1946. Dans cette idée, il appartient au Conseil d'Etat de déterminer dans quelles mesures il peut écarter un texte, non abrogé explicitement, au bénéfice d'un autre. [...]
[...] Cependant, le fait d'écarter une disposition législative pour une disposition constitutionnelle ne transforme pas pour autant la juridiction administrative en juge de la constitutionnalité de la loi, mais inscrit l'abrogation implicite dans le rapport suprématie constitutionnelle et théorie de la loi écran II/ L'abrogation implicite dans le rapport suprématie constitutionnelle et théorie de la loi écran L'abrogation implicite ne fait pas du juge administratif un juge de la constitutionnalité de la loi, bien au contraire le juge administratif se refuse à contrôler la constitutionnalité de la loi Cette technique, rare, s'inscrit dans un effacement de la théorie de la loi écran dans un effacement de l'écran législatif Le refus du contrôle de constitutionnalité de la loi Le Conseil d'Etat est très explicite à ce sujet et précise qu'il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la conformité d'un texte législatif aux dispositions constitutionnelles en vigueur à la date de sa promulgation Le Conseil d'Etat refuse d'opérer un tel contrôle. En effet, l'arrêt Arrighi rendu le 6 novembre 1936 explicitait déjà ce refus dans le cas où un acte, tout en étant compatible avec une loi, serait contraire à la Constitution car c'est la compétence du Conseil constitutionnel le critère se faisant par la supériorité et non par la postériorité. Dans cet arrêt la chose est tout autre, la Constitution s'impose non pas parce qu'elle est supérieure mais parce qu'elle est postérieure. [...]
[...] C'est ce que le Conseil d'Etat reproche à la cour administrative d'appel de Paris. Le fait de constater l'abrogation de l'ordonnance de 1945 ne constitue pas un contrôle de la loi par rapport à la Constitution mais seulement l'effacement d'une disposition législative au bénéfice d'une disposition plus récente avec laquelle elle était en contradiction. Ainsi, l'acte ministériel reconnaissant le syndicat national des huissiers de justice est légal aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946. Il est nécessaire, de la même façon de comprendre que l'abrogation implicite s'inscrit dans l'effacement de l'écran législatif. [...]
[...] Or, les dispositions du troisième alinéa de l'article 8 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers, confèrent à la chambre nationale des huissiers de justice une compétence pour l'exercice de droits normalement détenus par les organisations syndicales et l'article 10 de cette même ordonnance dispose que les huissiers peuvent former entre eux des associations en vertu de la loi du 1er juillet 1901, mais qu'elles ne peuvent en aucun cas s'étendre sur les questions qui, en vertu de ladite ordonnance, sont attribuées à la chambre nationale des huissiers de justice. La chambre nationale introduit donc un recours en excès de pouvoir devant le Tribunal administratif de Paris, visant à l'annulation de l'acte ministériel du 5 juillet 2001. Cette demande est accueillie mais le Ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité, ainsi que le syndicat national des huissiers de justice interjettent appel. [...]
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