Le respect de la volonté des peuples : une contrainte juridique ?
En février dernier, Frédéric Boccetti, député français et membre du Rassemblement National, a déclaré sur le réseau social X, en soutien à Marine Le Pen concernant l’opposition au traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, que la Commission européenne qui le négocie actuellement est contrainte de « respecter la volonté des peuples [européens] ». Il enjoint en effet l’exécutif européen de faire ainsi dans le cadre de cet accord commercial international décrié par beaucoup.
Il convient de noter immédiatement que cette déclaration pourrait trouver un certain fondement au sein des dispositions conventionnelles des traités européens. Toutefois il ne saurait pas s’agir d’une interprétation des traités qui résulterait sur une contrainte directe et que la Commission européenne serait alors obligée de respecter. En effet la Cour de justice de l’Union européenne a pu s’intéresser à cette thématique et il n’en est finalement rien.
La soumission de la Commission européenne au Parlement européen
Pour débuter, il nous faut nous reporter aux dispositions contenues au sein du paragraphe 7, de l’article 17 du Traité sur l’Union européenne. Ce paragraphe prévoit en effet que « le président, (…), et les autres membres de la Commission sont soumis, en tant que collège, à un vote d’approbation du Parlement européen ». Cela signifie donc, en d’autres termes, que la Commission européenne, avant d’être nommée de manière formelle à la majorité qualifiée par le Conseil européen, est soumise à l’approbation des députés européens. Cela veut également dire que la Commission européenne est contrainte de rendre des comptes au regard de ses actions devant les députés européens. Ces derniers sont alors en mesure, s’ils le décident ainsi, d’adopter une motion de censure à son encontre. Ces règles découlent du paragraphe 8 de l’article 17 du Traité sur l’Union européenne.
Ces premières constatations étant effectuées, l’on comprend donc qu’il n’existe aucun lien direct entre d’une part les citoyens de l’Union européenne, et d’autre part la Commission européenne. Il s’agit, en vérité, d’un système de représentation particulier, réparti sur des niveaux distincts. Il conviendra de retenir que la Commission européenne est approuvée par le Parlement européen, et les députés européens qui y siègent sont pour leur part élus au suffrage universel direct.
De ces différents développements découlent alors la question de savoir si la Commission européenne est ou pas soumise, liée de manière directe à la volonté des peuples, et donc à la volonté des citoyens de l’Union européenne ?
L’absence d’une influence directe des citoyens européens sur la Commission européenne
La Cour de justice de l’Union européenne s’est intéressée à ce sujet à l’occasion de sa décision rendue le 19 décembre 2019, « Puppinck », concernant plus exactement l’initiative citoyenne européenne et l’application de celle-ci par l’exécutif européen. Dans les faits, cette initiative qui fut ajoutée à l’arsenal juridique du droit de l’Union européenne par le Traité de Lisbonne en 2007, permet d’inviter la Commission européenne à mettre en place une proposition législative allant dans le sens d’une pétition qui a atteint un million de signataires parmi les citoyens européens. Toute la question de droit dans cette décision résidait dans celle de savoir si la Commission européenne était en effet obligée, soumise, liée, par cette pétition ? Si, finalement, elle devait donner suite ou non à celle-ci ? Autrement dit, il s’agissait de savoir si la Commission européenne était ou pas contrainte par la volonté des citoyens européens ?
Afin de répondre à cette problématique, les juges de la Cour de justice de l’Union européenne ont repris ce qui avait été décidé à l’occasion de l’arrêt « Meroni » rendu en 1958, décision au cours de laquelle il avait été mis en place le principe d’« équilibre institutionnel ». Ce principe signifie que les institutions européennes sont contraintes d’exercer les compétences qui leur ont été attribuées par les traités européens, et uniquement ces compétences, sans avoir la permission d’empiéter sur les compétences des autres institutions européennes. Ici, les juges de la Cour de justice de l’Union européenne avait décidé de retenir que le fait de permettre aux citoyens européens de bénéficier d’un pouvoir contraignant sur l’exécutif européen résulterait nécessairement sur un déséquilibre par rapport à ce qu’avaient souhaité les États membres de l’Union européenne, rédacteurs de ses traités.
Cet équilibre voulu et mis en œuvre par les États membres serait nécessairement rompu s’il était en effet décidé de permettre à un ensemble d’un million de citoyens européens d’exercer un pouvoir plus fort et plus important sur la Commission européenne que le pouvoir effectivement exercé de manière concomitante par le Parlement européen et par le Conseil. Cela emporte pour conséquence que la Commission européenne demeure libre de donner droit ou pas à une telle initiative citoyenne européenne. Celle-ci n’est par conséquent pas contrainte d’y donner droit d’un point de vue juridique, si elle ne le souhaite pas.
Il convient finalement de retenir que par principe, la Commission européenne doit respecter la volonté des peuples. Toutefois, cette dernière ne la respecte pas de manière directe mais bien de manière indirecte sous l’égide du Parlement européen. Il faudra aussi noter que cette notion de volonté des peuples ne peut aucunement être invoquée en tant qu’impératif juridique qui aurait pour résultat de contraindre la Commission européenne de manière directe. En effet il n’existe pas de lien direct entre celle-ci d’une part, et les citoyens européens d’autre part.
Références
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex:12016M017
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/fr/TXT/?uri=CELEX:62018CJ0418
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12016M011
https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/glossary/institutional-balance.html#:~:text=Ce%20principe%20découle%20d'un,que%20ce%20principe%20soit%20respecté