I. Rapide historique de la police spéciale des films
Jusqu'en 1916, le Conseil d'Etat va s'intéresser aux films comme il s'intéressait aux spectacles qui étaient à l'époque considérés comme des spectacles de curiosité. Jusqu'en 1916, ces derniers étaient soumis à autorisation préalable du maire. Déjà, dès la naissance du cinéma, il y a une autorisation.
Puis va naître un système qui est un système de véritable censure centrale. Ce système va naître avec un décret du 25 juillet 1919. Dans ce décret, on prévoit un mécanisme qui prévoit qu'aucune représentation publique d'un film ne peut avoir lieu sans visa préalable du ministre de l'instruction publique et des Beaux Arts, assisté d'une commission de contrôle. Le but tel qu'il est prévu par le décret de 1919 réside dans la nécessité de garantir l'enfance contre certains films. Ce régime de 1919 ressemble par ailleurs beaucoup au régime actuel.
Ce régime va ensuite évoluer par un décret du 18 février 1928 qui, en synthèse, garde le même esprit et vient préciser la commission de contrôle qui doit prendre en considération « l'ensemble des intérêts nationaux en jeu et spécialement l'intérêt de la conservation des moeurs et traditions nationales ».
Ensuite on a l'ordonnance du 3 juillet 1945. Cette ordonnance va maintenir ce régime d'autorisation. Il va être codifié dans le Code de l'industrie cinématographique (en vigueur de 1956 à 2009) puis depuis 2009 dans le Code du cinéma et de l'image animée. Mais en fait le régime de 1919 est presque le nôtre.
II. Le mécanisme d'attribution des visas d'exploitation
Article L211-1 du Code du cinéma et de l'image animée. Ce mécanisme précise que la représentation cinématographique est subordonnée à l'obtention d'un visa d'exploitation délivrée par le ministre chargé de la culture. Ce visa peut être refusé ou sa délivrance subordonnée à des conditions pour des motifs tirés de la protection de l'enfance et de la jeunesse ou du respect de la dignité humaine. Donc, finalement, on retrouve bien l'esprit du texte de 1919 : un visa, une compétence ministérielle, et les buts quasi identiques.
C'est un mécanisme qui est lourd. Donc chaque film doit faire l'objet d'une analyse, d'un classement, d'une classification. Ce qui veut dire qu'il faut regarder tous les films et ensuite les classer selon les catégories. Ce n'est pas neutre...
Mais comment cela marche, au juste ? Il existe des comités de classification et une commission de classification. Les comités visionnent les films. Ils sont composés d'au moins 3 membres, tous nommés par le ministre de la culture. Les membres de ces comités sont assez librement définis. Cela doit être des personnes représentatives de la société. On doit y trouver des représentants de la jeunesse, des experts, des associations représentées, etc. Ils regardent les films et proposent une classification. Donc, la commission de classification ne doit être saisie que des cas compliqués. S'il y a un partage et qu'une partie des membres du comité souhaite limiter alors l'affaire remonte jusqu'à la commission qui va alors trancher et proposer au ministre. C'est un enjeu économique important. On peut tout à fait faire un recours devant le juge administratif pour contester le classement d'un film. Généralement on fait cela en référé suspension. Ici, l'association promouvoir, qui défend les principes de la famille traditionnelle, fait beaucoup de référé suspension en la matière. Elle a fait rendre des dizaines et des dizaines de jugements et d'arrêts sur les visas d'exploitation. Référé devant le tribunal administratif de Paris, 3 mars 2015 : concerne le film 50 nuances de Grey, l'association attaque le visa d'exploitation au moins de 12 ans. Le tribunal administratif rejette en considérant qu'il n'y a ni urgence ni doute sérieux sur la légalité. L'urgence, est souvent appréhendée sous un angle extra économique. Elle n'est pas retenue si la compensation financière peut être retenue.
III. Les différents types de visas et leur évolution
Le code du cinéma précise les différentes catégories qui existent au sein de l'article R.211-12 du Code du cinéma :
- Visa tout public ;
- Interdiction de représentation aux mineurs de 12 ans ;
- Interdiction de représentation aux mineurs de 16 ans ;
- Interdiction de représentation aux mineurs de 18 ans ;
- Interdiction de représentation aux mineurs de 18 ans avec inscription de l'oeuvre sur une liste spéciale (la liste des films à caractère pornographique ou d'incitation à la violence).
Cette liste a évolué au fil du temps. Pendant longtemps il n'y avait pas de catégories d'interdiction aux moins de 18 ans. On passait directement d'interdiction de représentation aux mineurs de 16 ans à l'inscription sur la liste. Cela posait des difficultés car le classement X engendre des répercussions économiques très importantes : il y avait une taxe spécifique sur ces films, pas de TVA réduite, aucune aide, interdiction de diffusion dans les cinémas classiques.
Le problème s'est posée pour le film « Baise-moi ». C'est un film qui d'après son résumé officiel mêle des scènes de sexe non simulées à une enquête policière de grandes violences. Ce film va immédiatement engendrer un grand débat juridique. En 2000, lorsque le film sort il est immédiatement attaqué par l'association Promouvoir qui considère que le visa d'exploitation n'est pas adapté (visa d'interdiction aux moins de 16 ans). Le comité n'était pas d'accord, la commission elle-même a fait l'objet d'un partage de voix, mais finalement la majorité de la commission a fait la proposition de classer le film moins de 16 ans. C'est un film qui n'est pas un film pornographique. C'est un film qui raconte une histoire et qui a une vocation d'expression, en traduisant un ouvrage d'une auteure reconnue (bien que contestée). Le Conseil d'Etat va rendre son ordonnance référé le 30 juin 2000 et va annuler le visa d'exploitation en le trouvant inadapté. Deuxième arrêt en 2002, le Conseil d'Etat considère que le classement -18 ans est suffisant, il n'y a pas besoin de classer en film pornographique.