Pourquoi en a-t-elle décidé ainsi ? Décryptage.

Les faits de l’espèce

Dans notre cas d’espèce, il s’agissait d’une salariée embauchée par une association en qualité d’aide-soignante. Cependant, celle-ci est victime d’un accident du travail et se voit par conséquent placée en arrêt maladie. Par la suite, la salariée sera néanmoins licenciée par son employeur dans la mesure où ce dernier fut prévenu par la CPAM qu’elle avait travaillé pour le compte d’autres employeurs et ce, de manière régulière pendant ses jours d’arrêt maladie. Mécontente de cette décision de l’employeur de la licencier, la salariée décide de saisir le Conseil des Prud’hommes afin que soit annulé le prononcé de son licenciement et demande l’ensemble des indemnités auxquelles elle avait droit. Cette critique du bien-fondé de son licenciement ne sera pas validée par les juges qui la débouteront de ses demandes.
Déboutée et mécontente de la décision prud’homale, la salariée évincée décide de porter l’affaire devant la Cour d’appel.

Les suites de la procédure

Sans véritable surprise de la part des juges du second degré, ces derniers ont retenu que le licenciement en question se fondait en effet sur une faute grave, commise par la salariée. En ce sens, il faut ici comprendre que les juges de la Cour d’appel ont relevé que la demanderesse avait effectivement travaillé pour le compte d’au moins un autre employeur pendant le temps de son arrêt maladie. En outre, elle avait exercé les mêmes fonctions pour lesquelles elle avait été initialement embauchée par son premier employeur.
Par voie de conséquence, retiennent les juges, l’ensemble de ces circonstances revêtent le caractère de manquements de la part de la salariée qui ont en fin de compte causé un préjudice d’ordre financier à son employeur, compte tenu du fait qu’il avait maintenu le salaire à l’occasion des arrêts de travail en cause. De nouveau mécontente de la décision d’appel, la salariée évincée décide de se pourvoir en cassation.

La solution de la Cour de cassation

Dans son arrêt rendu le 07 décembre 2022, les juges de la Chambre sociale de la Cour de cassation ont décidé de casser et annuler l’arrêt rendu par les juges de la Cour d’appel. En effet, ils ont jugé que le fait pour un salarié d’exercer une activité au profit d’un autre employeur, dont l’entreprise n’est pas concurrente à celle de l’employeur initial, pendant le temps d’un arrêt maladie, ne saurait constituer en soi un manquement de la part de la salariée à son obligation de loyauté qui doit perdurer à l’occasion d’un tel arrêt, peu importe sa durée.
Qu’est-ce donc que cette obligation de loyauté mentionnée la Cour de cassation en l’espèce ? Cette obligation de loyauté n’est pas prévue par la loi mais fut définie par la jurisprudence sur le fondement de l’obligation de bonne foi telle que prévue par les dispositions du Code civil. En quelques mots, cette obligation implique que salarié et employeur doivent être loyaux à l’occasion de l’exécution du contrat de travail. A l’égard du salarié, cela implique entre autres qu’il ne cause aucun tort à son employeur, par exemple, en exerçant une concurrence déloyale à l’égard de son employeur.
Il faut bien comprendre, relativement à cette décision du 07 décembre dernier, que le licenciement aurait pu être justifié sur le plan juridique pour le cas où l’acte commis par la salariée concernée, à l’occasion de la suspension de son contrat de travail, avait effectivement résulté sur un préjudice à son employeur initial. Pour les juges de la Chambre sociale de la Cour de cassation, toutefois, le fait pour l’employeur de verser les indemnités complémentaires aux allocations journalières de la sécurité sociale ne constitue pas un tel préjudice. Autrement dit, ce préjudice ne saurait être déduit du paiement desdites indemnités complémentaires pour l’employeur.

Une décision qui laisse le lecteur songeur

La lecture et la compréhension de cette décision laisse le lecteur songeur quant au véritable sens et à la véritable portée de cette dernière.
Relevons un dernier passage de cette décision pour s’en convaincre : « pourvu que l’employeur clandestin ne soit pas un concurrent [vis-à-vis de l’employeur initial] », le versement « [des] compléments de salaires » par ce dernier et à l’occasion de cet arrêt maladie ne peuvent constituer un préjudice au détriment de ce dernier.
Sous ce rapport nous pouvons critiquer la décision en deux points distincts. Tout d’abord, il convient de relever que la salariée demanderesse avait été embauchée par les deux employeurs (son employeur initial et son employeur clandestin) pour assurer les mêmes missions, et exercer les mêmes fonctions. Une question se pose précisément au regard de la portée de l’arrêt de travail de la salariée : celui-ci, effectivement reconnu et prononcé par un médecin, lie-t-il uniquement et juridiquement un seul des employeurs de la salariée objet de cet arrêt ? Cette question est pleine de sens d’autant plus que les faits de l’espèce rapportent qu’elle exerçait les mêmes fonctions pour chacun d’entre eux.
Ensuite, quid de la conception même de la notion de l’obligation de loyauté ? Celle-ci est-elle sciemment bafouée et cette méconnaissance ne devrait-elle pas être justement réprimandée ?
Notons, pour clore cet exposé, que cette décision pourrait laisser songeur également au regard de la sécurité sociale. Rappelons que la salariée bénéficiait en effet des indemnités journalières pendant son arrêt de travail en sus de son salaire perçu et versé par le second employeur. N’y aurait-il pas, dans le cas de l’espèce, la constatation d’un enrichissement sans cause au seul profit de la demanderesse ?

Ces questions demeurent cependant en suspens mais une chose est sûre : l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation a tranché sur la question du travail par un salarié au profit d’un autre employeur pendant son arrêt maladie…

Références

https://www.village-justice.com/articles/incidences-maladie-contrat-travail,15261.html
https://www.tf1info.fr/vie-pro/litiges-reclamations-pendant-votre-arret-maladie-vous-pouvez-travailler-dans-une-autre-entreprise-2242511.html
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F18724