Quels sont les faits de l’espèce ?

Un individu était invité à une réception dans les locaux d’une entreprise. Alors que celui-ci y circule, il est victime d’une chute, due à la présence de neige et de verglas sur le chemin qu’il a emprunté pour se rendre dans la salle de réception. La victime a donc décidé d’assigner l’assureur de la société qui avait organisé cet évènement en basant son action sur la responsabilité du fait des choses. La Cour d’appel a décidé de reconnaitre la responsabilité civile de l’entreprise en ce que celle-ci est gardienne du sol.
Devant les juges de la Cour de cassation, et afin de contester l’arrêt d’appel, l’assureur de l’entreprise a argué du fait que les choses dites sans maître, c’est-à-dire les res nullius, donc la neige et le verglas, sont insusceptibles d’être appropriées ou détenues par quiconque. Ainsi, pour lui, ces choses ne peuvent être sous la garde de personne. Il a également argué le fait que la preuve du caractère anormal de la chose et donc du chemin pris par la victime, précision faite selon lui que la fonction de ce passage n’était pas d’accéder à la salle de réception, n’avait pas été rapportée.


À consulter :

Cour de cassation, 1re chambre civile, 9 septembre 2020, n°19-11.882 - Le dommage causé par une chose inerte peut-il engager la responsabilité de l'exploitant du magasin ? - Plan détaillé

Cour de cassation, deuxième chambre civile, 5 mai 2015 - La responsabilité du fait du dommage causé par une chose inerte


La décision de la Cour de cassation

Pour les juges de la Cour de cassation, dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté, les juges de la Cour d’appel ont bien caractérisé l’anormalité de la chose. Pour eux, le rôle causal de la chose dommageable a bien été démontré, le verglas ayant été recouvert par la neige et le sol ayant donc été fortement glissant. Plus exactement c’est parce que la victime a chuté en empruntant ce passage que le rôle causal de la chose dans la survenance du dommage dont elle se plaint est établi.
La Cour de cassation a également relevé le fait que la chose inerte est effectivement en position dite normale dès lors qu’elle sert au passage d’individus : il s’agit là de sa destination fonctionnelle. Toutefois la chose inerte est en position anormale pour le cas où l’emprunt dudit chemin est dangereux expressément par l’état dans lequel il se trouve. Pour rétorquer l’argument tenant à ce qu’un autre passage avait été déneigé afin de permettre un accès à la réception, les juges ont relevé le fait que l’accès au chemin emprunté par la victime n’avait pas été fermé.
Par voie de conséquence, la Cour de cassation retient que la Cour d’appel a en effet caractérisé le fait que la société était gardienne du sol, que celui-ci se trouve au sein de sa propriété, et enfin qu’il présentait un état de dangerosité anormal compte tenu de sa destination. Partant, la société a bel et bien engagé sa responsabilité du fait des choses, et plus spécifiquement du fait du sol enneigé et verglacé, un dommage ayant été subi par la victime.
On le voit bien, dans cette décision, les juges de la Deuxième chambre ont appliqué de manière classique le critère de l’anormalité afin de démontrer que la chose, même si celle-ci est en effet inerte, a eu un comportement actif dans la survenance du dommage dont se plaint la victime.

À consulter :

Cour de cassation, 2e chambre civile, 29 mars 2012 - L'anormalité d'une chose inerte et la responsabilité du fait de celle-ci

Quelles sont les règles de la responsabilité du fait des choses ?

La compréhension de cette décision impose de revenir sur quelques points clés de la responsabilité du fait des choses. Il convient en premier lieu de préciser que la jurisprudence en la matière ne s’intéresse pas à la question de savoir si la chose, lors de la survenance du dommage, était en mouvement ou bien inerte. Dès 1941, et notamment deux décisions rendues les 19 février et 26 mars de la même année, il fut jugé que le nécessaire lien de causalité existant entre le fait générateur et le dommage dont se plaint la victime ne peut être écarté par le seul constat que la chose est inerte.
Néanmoins, ce constat prétorien étant effectué, nous nous devons de retenir qu’il reviendra à la victime d’apporter la preuve du rôle actif de la chose dans la survenance du dommage dont celle-ci se plaint. La jurisprudence de la Cour de cassation, sous ce rapport, distingue tout d’abord les choses en mouvement et qui sont entrées en contact direct avec la victime, ensuite les choses soit inertes, soit les choses en mouvement mais qui ne sont pas entrées en contact avec la victime. En fait, pour la première partie de cette distinction, la causalité est présumée tandis que pour la seconde partie de cette distinction, il revient à la victime d’apporter la preuve de ce rôle causal de la chose.
Il est donc attendu de la victime que celle-ci démontre que la chose inerte a eu un rôle actif dans le dommage dont elle se plaint. Dans notre cas d’espèce ici rapporté, la société n’ayant pas déneigé le chemin emprunté par la victime alors qu’elle en était la gardienne, la dangerosité de celui-ci résultait sur l’anormalité de son état. D’où la reconnaissance de la responsabilité du fait des choses.
Précisions en fin de compte que la reconnaissance de la responsabilité de la société, gardienne du sol, ne fut reconnue qu’après avoir effectué un examen circonstancié de manière à pouvoir apporter la preuve du caractère anormal de la chose, et donc du passage emprunté par la victime.

À consulter :

En quoi la jurisprudence a-t-elle influencé et a-t-elle permis de faire évoluer la responsabilité du fait des choses ?