L’importance de ce droit au respect de la vie privée a connu une émergence fulgurante au fil du développement de la protection des libertés et des droits fondamentaux pour tous les citoyens, sur le plan national comme international, ce sujet étant l’objet de nombreuses conventions telles que la CEDH étant la plus importante. Le droit du travail est une discipline qui vise à encadrer les rapports dans le cadre de la relation de travail, et qui cherche à protéger cette dernière, en particulier au niveau des travailleurs, qui ont une position relativement plus faible face à l’employeur. Le pouvoir très important de l’employeur qui est en général conféré par le contrat de travail doit alors être contrebalancé par la règlementation du travail, afin de permettre à tous les salariés de se prévaloir de leurs droits et de se défendre en cas de litige ou d’abus de la part de leur employeur. Cette protection accrue des droits et libertés du salarié s’explique notamment par le fait que celui-ci est avant tout un citoyen, qui doit donc disposer des grands principes démocratiques tels que la liberté d’expression, qui doivent prévaloir peu importe l’environnement dans lequel il se place .
Ainsi, dans le cadre de cette protection particulièrement nécessaire, il convient d’étudier les pouvoirs dont dispose l’employeur, lui conférant notamment un droit de surveillance et de direction du salarié, auquel celui-ci est soumis, avant d’aborder la protection envisagée par les textes, en tant que réponse aux menaces qu’exerce le pouvoir prépondérant de l’employeur.
I. Les pouvoirs de l’employeur
A. Le droit de surveillance et de direction
Comme il l’a été cité précédemment, l’employeur dispose en principe d’un pouvoir relativement supérieur à celui du salarié, puisqu’il doit assurer la surveillance et la direction de celui-ci, ce qui correspond à un lien de subordination du salarié, devant exécuter les missions requises. La vie privée est, dans ce cadre, un élément polysémique qui peut donc fréquemment mener à litige, mais ce qui est en revanche certain est qu’en principe, cette sphère privée échappe au pouvoir de l’employeur qui ne doit avoir aucun moyen de diriger celle-ci. Le domaine privé du salarié doit ainsi être totalement extérieur au contrat de travail tant qu’il n’affecte pas le travail du salarié, et celui doit pouvoir le diriger comme il l’entend. Cependant, cela n’est pas contraire avec l’instauration récente de quelques limitations des droits privés des salariés, implantées du fait de la position primordiale de la productivité professionnelle pour l’employeur et pour l’ensemble de l’entreprise. En général, pour que l’employeur puisse mener à bien son droit-devoir de surveillance et de direction, et que l’entreprise soit stable socialement, le plus important est alors la proportionnalité et la justification des mesures restrictives de liberté envisagées pour ne pas contrevenir à la protection de la sphère privée des salariés. L’employeur ne dispose donc pas d’un pouvoir absolu dans ce cadre, même s’il reste très développé, puisqu’il doit respecter certaines limites en termes d’étendue de ces restrictions. Ainsi, même les informations surveillées ou contrôlées par l’employeur dans le cadre de la relation de travail doivent faire l’objet d’une vérification de leur proportionnalité. Certaines autres manoeuvres ont été utilisées pour limiter ce pouvoir parfois démesuré de l’employeur, par exemple en mettant en place une charte informatique de l’entreprise, qui vise à réglementer les nouveaux enjeux de l’accès aux données et à limiter l’abus de pouvoir éventuel.
B. Le devoir d’obéissance du salarié
Dans le domaine du droit du travail, la relation entre l’employeur et le salarié est réglementée par la signature du contrat de travail, qui admet ainsi une soumission du salarié à l’employeur, en vue d’accomplir un travail défini selon des conditions établies. Le salarié se place alors sous l’autorité de l’employeur et doit en principe répondre à ses demandes, mais dispose alors aussi d’une protection par la signature de ce contrat, puisqu’il peut l’invoquer en cas de dépassement de ses pouvoirs initiaux par l’employeur. De plus, l’employeur n’a en principe jamais le droit de faire naître une quelconque atteinte sur la vie privée du salarié, étant assimilée à la jouissance de droits civils, civiques et autres, appartenant à la sphère extérieure au travail. L’employeur dispose tout de même du droit de contrôler l’activité du salarié, par exemple en ayant accès aux documents contenus sur son ordinateur professionnel, mais cela va également de pair avec certaines limites, pour éviter un abus de la part de ce dernier. Sur ce plan, l’employeur doit également répondre à un devoir d’information et de transparence s’il décide de mettre en oeuvre une telle mesure, et il doit en informer certains organes, souvent le CSE, pour que celui-ci accepte ou non la mesure entreprise par l’employeur pour contrôler et surveiller le salarié. En outre, le droit à la vie privée inclut pour le salarié certains aspects en principe hors du cadre du travail, mais qui peuvent affecter celui-ci, comme la liberté vestimentaire, qui ne peut en principe pas être utilisée par l’employeur comme motif de licenciement, sauf si cette mesure est proportionnée par la gravité de l’action dans le cadre du travail en question. D’autres restrictions au droit à la vie privée ont été mises en place au profit de l’employeur, et reconnues par la Cour de cassation, telles que le droit de récupérer les informations de l’un des salariés sur son compte privé sur les réseaux sociaux, mais si cela est justifié par exemple en l’espèce, pour des questions d’entente entre entreprises.
II. La protection de la sphère privée
A. Les menaces sur la vie personnelle du salarié
Le pouvoir très étendu de l’employeur fait l’objet d’une tentative de rééquilibrage par le contrat de travail, en faisant primer la protection individuelle du salarié de l’entreprise. En effet, outre certains principes fondamentaux du droit civil tels que la responsabilité de l’employeur pour les fautes du salarié qui ne seraient pas des fautes graves, et qui excluent également les fautes personnelles, d’autres principes sont mis en oeuvre pour renforcer la protection des droits et libertés du salarié. Cela peut passer par des interdictions de mener certaines actions par l’employeur, lui interdisant par exemple de recourir à la vidéosurveillance en principe, sans un contrôle très abouti de justification et de proportionnalité. Si l’employeur peut disposer d’un pouvoir relatif de restreindre les libertés des salariés, celui-ci doit être très circonscrit afin d’empêcher d’éventuels abus et dimensions absolues de ce pouvoir qui seraient très défavorables aux droits et libertés des salariés. La définition de la sphère privée qui doit être hors d’atteinte de la part de l’employeur entraîne aussi le développement de certains enjeux essentiels, tels que la question de la laïcité, puisque les salariés n’ont ici en principe pas le droit de porter des signes religieux distinctifs, ou plutôt ostentatoires, ce qui peut être perçu comme une restriction de leur liberté personnelle, mais justifiée dans le cadre du lieu de travail. Toutefois, pour restreindre ces libertés, l’employeur est confronté à certaines limites plus poussées, qui justifient la solution selon laquelle il n’a pas le droit en principe de s’immiscer dans la sphère strictement privée de ses salariés malgré son pouvoir de surveillance et de direction qui doit être limité au domaine strictement professionnel. Le pouvoir de direction de l’employeur pourrait en effet être interprété comme un droit d’utilisation de certains mécanismes tels que la surveillance, ou encore la géolocalisation des salariés, ce qui est difficile à mettre en place dans le cadre de la relation de travail, et surtout, totalement interdit hors de celle-ci.
B. Le corollaire du pouvoir large de l’employeur
Pour contrer le pouvoir quasiment absolu de l’employeur vis-à-vis du salarié, un certain nombre de mesures visent à protéger les droits et libertés fondamentaux de ce dernier en réponse aux pouvoirs du premier. Certains droits en particulier sont alors très protégés pour restreindre le contrôle de l’employeur, par exemple dans le cadre de la vie privée, qui ne doit dépendre que de la volonté propre du salarié et de son libre choix. Le plus important est alors dans ce domaine de parvenir à une conciliation entre liberté et contrainte pour atteindre une relation de travail la plus harmonieuse possible. Ce droit personnel du salarié dans le cadre de sa protection, s’est donc construit en rempart face au pouvoir étendu de l’employeur qui risque de peser sur la liberté privée du salarié dans certains cas relativement isolés. L’article 9 du Code civil, qui dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée est alors tout aussi essentiel dans la vie quotidienne en société, que dans le cadre de l’entreprise et doit alors être respecté en tout temps, même lors du travail, le salarié étant avant tout un citoyen comme les autres. Sur ce plan, l’employeur est alors limité pour ne pas affecter de façon disproportionnée la vie privée du salarié, par exemple, en ce qu’il ne peut pas avoir accès aux documents strictement privés de ce dernier, et doit justifier effectivement cette dimension si cela est nécessaire pour le bien-être de l’entreprise, ce qui sera soumis à un contrôle par la suite. De plus, l’employeur n’a en principe pas le droit de sanctionner le salarié pour une raison qui appartiendrait à la vie privée de celui-ci, et qui ne ressortirait donc pas de sa relation de travail. La définition de la sphère privée repose aussi sur l’acception propre au salarié, lors d’un litige, puisque c’est en premier lieu à lui de décider s’il considère que les éléments atteints font partie de sa vie privée ou non.
Pour conclure, le contrat de travail est associé à un pouvoir relativement prépondérant de la part de l’employeur, que l’on cherche donc à contrebalancer à travers le renforcement de la protection des droits et libertés des salariés, sous son emprise. Certaines dimensions sont ainsi exclues du contrôle de l’employeur, pour les protéger, malgré le devoir de surveillance et de contrôle dont celui-ci détient le monopole. Le salarié peut ainsi se prévaloir de règles du Code civil, restreignant les possibilités de contrôle de l’employeur, afin de préserver sa vie personnelle, et de l’écarter du domaine strictement professionnel, qui peut, quant à lui, être contrôlé. Si l’employeur peut récupérer et surveiller des informations dans le cadre de ce domaine professionnel, concernant ses salariés, il n’y est en revanche pas autorisé pour tout ce qui touche au domaine strictement privé du salarié.