Quelques propos introductifs

Pour rappel, les salariés bénéficient d’une liberté d’expression dans toutes les sphères de sa vie. Ainsi ils en bénéficient dans le cadre particulier de leur exercice professionnel. Celle-ci est notamment protégée par les dispositions des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, et 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Cependant, à tout principe son exception, selon l’article L. 1121-1 du Code du travail, il est possible dans certains cas à l’employeur de limiter les droits et libertés attribués aux salariés afin d’assurer l’exécution de leur travail dans de bonnes conditions. Autrement dit, les salariés sont en mesure d’user de leur liberté d’expression uniquement si cet exercice ne résulte pas sur des cas de diffamation ou encore des propos injurieux.

Il est intéressant de noter que la Cour de cassation, en sa Chambre sociale, a déjà pu démontrer une certaine indulgence à l’égard d’un salarié critique envers son employeur (cf. Cass. soc., 14/12/1999, n°97-41.995) mais il en est rarement le cas lorsque les propos sont de nature raciste, ou sexiste par exemple : ce fut le cas lorsque ces mêmes propos furent considérés comme ayant un caractère fautif (cf. Cass. soc., 02/06/2004, n° 02-44.904).

Quels étaient les faits de l’espèce ?

Dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Chambre sociale de la Cour de cassation, il s’agissait de propos tenus par salarié qui s’est montré critique vis-à-vis de son employeur et qui, selon ce dernier, revêtaient la nature d’un « racisme anti-blanc ». La lecture de l’arrêt rendu par les juges d’appel nous renseigne sur les propos tenus (cf. CA, Paris, Pôle 6, chambre 7, 17/12/2020, n° 19/03677). Ainsi il ressort de la lettre de licenciement que, selon l’employeur, le salarié a tenu des propos qui « [outrepassaient] allégrement » aussi bien sa liberté d’expression que « le respect dû à [son] supérieur hiérarchique », l’employeur précisant que la référence au colonialisme était déplacée et que le salarié avait témoigné d’un racisme contre les personnes blanches. Les différents propos qui ont été tenus s’inscrivent dans le cadre d’un conflit social au sein de l’entreprise, témoignant ici d’un contexte somme toute particulier. D’autant plus que le salarié évincé précisait être dans une situation de conflit avec son ancien employeur à l’égard de revendications portant sur l’organisation du travail. En l’espèce, les juges d’appel avaient retenu la faute grave, considérant principalement que les références auxquelles faisait allusion le salarié étaient « excessifs dans le cadre d’une relation de travail » et que celles-ci « [outrepassaient sa] liberté d’expression ». Mécontent de cette décision, le salarié évincé décida de se pourvoir en cassation.

Qu’a décidé la Chambre sociale de la Cour de cassation ?

En l’espèce, et au vu de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, les juges de la Chambre sociale ont tout d’abord retenu qu’elle n’a pas été en mesure de donner une base légale à sa décision. En effet, celle-ci n’a pas précisé les éléments de preuve sur lesquels elle a fondé sa décision et partant, pour retenir la tenue de tels propos de nature raciste « dans le contexte des revendications exprimées par le salarié ». Se faisant, les juges de la Cour de cassation se sont positionnés en faveur du respect de la liberté d’expression du salarié. C’est sur le moyen de la preuve que la Chambre sociale décida de casser l’arrêt d’appel considérant également qu’il n’apparait pas entendable de se fonder uniquement sur le contenu d’une lettre de licenciement sans pour autant s’appuyer sur des éléments de fait permettant de confirmer la tenue de tel ou tel propos.

Par ailleurs, la Chambre sociale de la Cour de cassation considère que les juges d’appel n’ont pas été en mesure de déterminer et de définir « l’emploi de termes injurieux, diffamatoires ou excessifs » et retient en fait la situation singulière dans laquelle se trouvait l’entreprise et ses salariés, puisqu’il ressort en effet qu’il existait un conflit social en son sein. Par voie de conséquence, et compte tenu de ce qui précède, les propos qui ressortent uniquement de la lettre de licenciement (dont le contenu est somme toute imparfait et approximatif) ne sauraient permettre la caractérisation d’une faute de quelque nature que ce soit de la part du salarié, faute d’établissement préalable et non équivoque d’un caractère aussi bien injurieux, diffamatoire qu’excessif.

En fin de compte, il convient de noter que la Cour de cassation décida de renvoyer l’affaire devant la même cour d’appel, autrement composée, et qui devra juger ces mêmes faits. La tâche ne sera pas si simple pour les juges de la Cour d’appel de Paris en ce qu’ils seront amenés à se fonder sur tel ou tel élément du dossier afin d’apporter la preuve que les faits allégués par l’employeur sont réels mais aussi que le caractère injurieux, diffamatoire ou excessif dont il fut question dans notre développement antérieur est lui aussi démontré. Si tel n’est pas le cas, et conformément aux dispositions contenues au sein du Code du travail, le doute devra nécessairement profiter au salarié évincé.

In fine, ce qui est important à retenir dans cette décision rendue le 20 mars dernier réside précisément dans le fait que les juges de la Chambre sociale de la Cour de cassation ne remette aucunement en considération le fait que puisse être apportée la preuve qu’un salarié a pu tenir des propos qui relèvent d’un racisme « anti-blanc » ; ce qu’ils ne sauraient cependant accepter réside tout spécifiquement dans le fait qu’il n’apparait pas possible pour les juges du fond de ne pas apporter des éléments de preuve suffisant qui permettraient de déterminer la commission d’une faute grave par un salarié dans une pareille hypothèse.