Souvenez-vous le 4 mars 2020, dans sa décision Uber (n°19-13.316), la Chambre sociale de la Cour de cassation avait décidé de requalifier le contrat de partenariat des chauffeurs de VTC avec la société Uber en contrat de travail. Le 19 avril dernier, la presse française a relayé une décision du Tribunal correctionnel de Paris (n°19/22811) qui a décidé de condamner la société Deliveroo au paiement d’une amende de 375 000€ pour travail dissimulé. Néanmoins il nous faut, sous ce rapport, rappeler que la Cour de cassation a décidé, dans un arrêt du 13 avril 2022 eu égard à la situation d’un chauffeur VTC « Le Cab », de préciser que toute personne travaillant pour une plateforme n’est pas automatiquement considérée comme salariée. Alors qu’en est-il ? Décryptage.


Affaire « Le Cab », les faits de l’espèce

Un individu a conclu un contrat de location longue durée d’un véhicule avec une société et a également conclu un contrat d’adhésion au système informatisé de cette société sous le nom de « Le Cab ». Ladite société ayant rompu le contrat, ce dernier a décidé d’intenter une action en requalification de la relation de travail en contrat de travail ; il a également demandé l’octroi de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour procédure irrégulière ainsi que diverses indemnités et dommages et intérêts pour travail dissimulé.
La Cour d’appel fit droit à toutes ses demandes mais son arrêt fut cassé par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 13 avril dernier (n° de pourvoi : 20-14.870), pour insuffisance de motifs. Cette dernière a considéré que les éléments qui avaient été retenus par la Cour d’appel ne démontraient pas l’existence d’un lien de subordination entre l’individu et la société.


L’absence de caractérisation d’un lien de subordination

En l’espèce, le demandeur était inscrit au répertoire des métiers. Il était alors nécessaire d’appliquer l’article L.8221-6 du Code du travail. Certaines personnes physiques effectivement immatriculées sur divers registres sont présumées ne pas être liées à un donneur d’ordre par un contrat de travail. Néanmoins la preuve contraire peut être apportée mais il faut nécessairement démontrer l’existence d’un lien de subordination.
La Cour d’appel et la Cour de cassation ont toutes les deux rappelé la caractérisation de ce lien ainsi que les indices qui peuvent la permettre en effet (cf. en ce sens, Cass. soc., 13/11/1996, n°94.13.187). L’autorité de l’employeur se traduit par les pouvoirs de donner des ordres ou directives, d’en contrôler l’exécution, et enfin de sanctionner de possibles manquements du subordonné. De même, il est rappelé que « le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail. » Or elles ont différé sur cette compréhension des indices en question.
Pour retenir la subordination, la Cour d’appel avait retenu plusieurs indices qui se rapprochaient de la décision Uber de 2020 et, entre autres, le fait que la société fixait unilatéralement le prix des courses en fonction des horaires de transport, et bénéficiait d’un pouvoir de sanction sur son chauffeur par l’utilisation du système de notation par les personnes transportées par ce dernier.
Contrairement à la décision Uber, dans notre cas d’espèce, la Cour de cassation a reproché à la Cour d’appel de ne pas avoir démontré le caractère fictif du statut de travailleur indépendant, et surtout, elle lui reproche de ne pas avoir démontré l’existence d’un lien de subordination. Ce faisant, elle s’est rapprochée d’une décision de la Chambre commerciale du 12 janvier 2022 (n°20-11.139) qui exige une « analyse concrète des conditions effective dans lesquelles les chauffeurs exercent leur activité. » La Cour semble être revenue sur une approche classique eu égard à l’identification des ordres donnés plus que sur l’environnement de travail en général. En vérité dans cette décision, le travailleur disposait d’une liberté plus étendue que dans la décision Uber puisqu’il pouvait notamment travailler pour une autre plateforme, ou encore sous-traiter les courses. On voit donc que la fictivité de l’indépendance n’était pas si flagrante et incontestable que cela.
Ce qui apparait malheureux dans cette décision réside dans le fait que la Cour de cassation n’a pas évoqué directement sa jurisprudence Uber ni expliqué ce en quoi l’organisation du travail d’un chauffeur de la plateforme Uber est effectivement différente de celle d’un chauffeur de la plateforme Le Cab. En bref, cette décision indique qu’il n’existe aucune généralisation de la situation des travailleurs chauffeurs VTC œuvrant pour une plateforme de ce type.

Quid de la condamnation pour travail dissimulé ?

Dès lors qu’un donneur d’ordre du travail se rend responsable d’une mauvaise qualification de la relation de travail, celui-ci peut être exposé à une condamnation à la fois pénale et civile pour travail dissimulé. En vertu de l’article L.8221-5 du Code du travail, le fait de ne pas procéder à une déclaration préalable à l’embauche revêt la nature d’un des éléments matériels du travail dissimulé. Toutefois si un chauffeur est déclaré au répertoire des métiers, par principe il n’y a pas lieu pour la plateforme de procéder à cette déclaration. L’élément matériel de l’infraction est automatiquement avéré. Concernant son élément intentionnel, d’après la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 27 septembre 2005 (n°04.85.558), « la seule constatation de la violation en connaissance de cause d'une prescription légale ou règlementaire implique de la part de son auteur l'intention coupable exigée par l'article 121-3, alinéa 1er, du code pénal. » Le fait qu’un individu travaille en qualité de travailleur indépendant alors qu’il travaille en vérité sous l’égide d’un contrat de travail résulte sur des condamnations pénales.
En droit du travail maintenant, d’après l’article L.8223-1 du Code du travail, la reconnaissance d’un travail dissimulé résulte sur le versement d’une indemnité forfaitaire de 6 mois de salaire. Or cette condamnation n’est pas obligatoirement prononcée (cf. en ce sens Cass. soc., 3/06/2009, L’île de la tentation, n°08-40.981 et Cass. soc., 18/02/2016, Koh Lanta, n°14-23.396, 14-25.763, 14-25.764).
Comme explicité dans notre développement, eu égard à la situation des chauffeurs VTC, la situation diffère selon qu’il s’agisse d’un chauffeur Uber ou d’un chauffeur Le Cab. Ici il apparait scabreux de condamner une plateforme à verser ladite indemnité pour travail dissimulé dans la mesure où la requalification en contrat de travail relève du cas par cas, de chaque situation distincte.
Enfin, la mise en œuvre volontaire d’une situation fictive pourrait être de nature satisfaisante afin de démontrer la véritable intention de dissimulation du travail.


Références
Cass. Soc., 13 avril 2022, n°20-14.870
https://www.courdecassation.fr/decision/62566d623b20a89542a2c16c#:~:text=7.-,Le%20lien%20de%20subordination%20est%20caract%C3%A9ris%C3%A9%20par%20l'ex%C3%A9cution%20d,les%20manquements%20de%20son%20subordonn%C3%A9.
https://www.mggvoltaire.com/travailleurs-des-plateformes-rappel-de-la-definition-du-contrat-de-travail/
https://www.invictae-avocat.com/post/pr%C3%A9cisions-sur-les-crit%C3%A8res-de-requalification-en-contrat-de-travail-pour-les-chauffeurs-vtc