En d’autres termes, la sanction de la règle de droit est assurée par l’État, qui peut en imposer l’exécution contrainte ou exiger la réparation des conséquences de son irrespect. Le terrain d’élection de la règle de droit est par essence la loi, qui, telle qu’évoquée précédemment, correspond à l’expression de la volonté générale et de la souveraineté populaire propre à la démocratie ; mais le corpus de règles pourvues d’un caractère obligatoire dépasse en réalité ce seul cadre.
Concomitamment - et parfois concurremment - à la loi, d’autres règles de droit régissent en effet les individus : coutume, jurisprudence et doctrine contribuent tout autant à l’application de la loi qu’elles peuvent s’en distinguer en acquérant une portée normative autonome. Ce phénomène conduit à l’interrogation suivante : quelles sont, en droit positif, les différentes sources de la règle de droit ?
Ces sources peuvent faire l’objet d’une classification entre, d’une part, les sources non discutées de la règle de droit (I) et, d’autre part, celles dont la portée normative demeure contestée (II).
I) Les sources non contestées de la règle de droit
En droit français, la loi (A) et la coutume (B) constituent des sources incontestables de la règle de droit.
A. La loi
La Constitution de 1958 ne définit pas la loi, mais son article 3 confie la souveraineté nationale au peuple, qui doit l’exercer « par ses représentants et par la voie du référendum » ; l’article 24 énonce quant à lui que « le Parlement vote la loi ». Dans cette conception, la loi correspond aux textes normatifs adoptés par le pouvoir législatif, expression de la souveraineté du peuple par l’intermédiaire de ses représentants. En réalité, conformément à la classification pyramidale de l’agencement juridique théorisée par le juriste austro-américain Hans Kelsen (1881-1973), la loi s’entend non seulement de celle délibérée par le Parlement, mais aussi, par ordre hiérarchique, du bloc de constitutionnalité, des conventions internationales régulièrement ratifiées par la France et des normes prises par le pouvoir réglementaire en application de l’article 37 de la Constitution. La norme de valeur inférieure se doit alors d’être conforme à la norme de valeur supérieure.
Par principe, le caractère obligatoire de ces textes ne fait aucun doute ; aux sanctions pénales constituant le plus flagrant exemple de la coercition, s’ajoutent la possibilité d’un contrôle de légalité et l’impérativité de la loi pour les individus comme pour l’État lui-même. Pour autant, la normativité de la loi est parfois atténuée. Ainsi distingue-t-on la loi impérative, qui relève de l’ordre public et à laquelle l’individu ne peut se soustraire, de la loi supplétive, dont l’application peut être écartée par un accord de volonté entre les individus, notamment dans le cadre d’un contrat. Par le truchement de la loi, qui le dote d’effets juridiques, ce contrat joue également un rôle normatif ; il constitue, aux termes de l’article 1103 du Code civil, la loi des parties, et ses stipulations s’imposent à elles. Le contrat a ainsi force obligatoire et son respect peut être assuré par la coercition étatique.
B. La coutume
La coutume désigne « la règle issue d'un usage général et prolongé et de la croyance en l'existence d'une sanction à l'observation de cet usage ». En ce sens, elle suppose un élément matériel (un usage général et prolongé) et un élément psychologique (la croyance dans le caractère obligatoire de cet usage).
La coutume constitue une source non contestée de la règle de droit. À titre d’illustration, il convient ainsi d’évoquer l’article 590 du Code civil, qui fait obligation à l’usufruitier d’observer, en matière de taillis de la végétation, « l’usage constant des propriétaires ». Il s’agit dans ce cas d’une coutume « secundum legem », c’est-à-dire à laquelle la loi renvoie elle-même ; mais il existe également la coutume « praeter legem », à savoir celle qui vient combler une lacune de la loi, et dont la multiplicité des usages en droit international privé et public constitue un exemple. Enfin, la coutume « contra legem » est celle qui est contraire à la loi. Ainsi en va-t-il de la présomption de solidarité passive en matière commerciale, qui constitue une règle coutumière contraire à l’article 1310 du Code civil selon lequel « la solidarité ne se présume pas ».
Mais la coutume n’est pas seule à contribuer à l’application de la loi ou en pallier les lacunes : les sources contestées de la règle de droit peuvent également remplir ce rôle.
II) Les sources contestées de la règle de droit
La jurisprudence (A) et la doctrine (B) figurent au nombre des sources contestées de la règle de droit.
A. La jurisprudence
Témoin d’une défiance héritée des puissants parlements de l’Ancien régime, l’article 5 du Code civil fait interdiction au juge de « se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire ». Cet article prohibe les arrêts de règlement, à savoir les arrêts par lesquels le juge donnerait une règle générale et impersonnelle contraignante pour les juges ultérieurement saisis d’un différend similaire. La jurisprudence exclut ainsi que le juge ne fonde son jugement ou son arrêt que sur la seule décision rendue dans un litige différent. Le caractère de source de la règle de droit de la jurisprudence demeure donc contesté.
Le juge ne peut ainsi édicter de norme générale ou impersonnelle. Pour autant, il n’est nullement exigé de la règle de droit qu’elle soit générale et impersonnelle pour valoir comme telle, mais bien qu’elle soit obligatoire. À cet égard, la prohibition des arrêts de règlement connaît deux tempéraments importants. D’abord, l’article 4 du Code civil fait obligation au juge de juger, sous peine de se rendre coupable d’un déni de justice ; or, lorsque la loi est muette, le juge n’a d’autre choix que de se livrer à une interprétation créatrice des règles de droit existantes, et donc de rendre obligatoire cette création. Par ailleurs et surtout, le pouvoir de cassation confié aux juridictions suprêmes - la Cour de cassation pour l’ordre judiciaire et le Conseil d’État pour l’ordre administratif - oblige en pratique les juridictions du fond à se conformer à leur interprétation. Il est ainsi tentant de considérer que la jurisprudence, au moins s’agissant de celle de ces juridictions suprêmes, revêt un caractère obligatoire. Reste que nul n’a de droit acquis à jurisprudence constante, et l’interprétation retenue par les juridictions de cassation aura vocation à revirer.
B. La doctrine
L’on entend par « doctrine », du latin docere, « enseigner », l’opinion commune de ceux qui enseignent le Droit ou écrivent sur lui. La doctrine est incontestablement dénuée de normativité en elle-même ; elle ne reflète que l’avis de ses auteurs et cet avis, même unanime, ne peut servir de fondement à la jurisprudence. Là encore, ce constat subit deux tempéraments. D’une part, la doctrine est parfois impérative : en droit international privé, l’Institut international pour l’unification du droit privé propose des règles substantielles en matière de commerce international, au travers des principes Unidroit.
D’autre part, les tribunaux ne sont assurément pas imperméables à la doctrine, laquelle influence tant les juridictions de cassation que les juridictions du fond. De même, les auteurs de doctrine sont très souvent consultés lors de l’élaboration d’un nouveau texte législatif ou réglementaire. Ainsi, bien que l’on ne puisse concevoir la doctrine comme constituant une source à part entière de la règle de droit, elle nourrit la jurisprudence et les travaux du législateur par ses travaux de classification et de mise en cohérence de l’ensemble de l’ordonnancement juridique.
Sources :
- J. LOCKE, Second traité du gouvernement civil, 1690.
- Selon la définition retenue par l’Association Henri Capitant ; V. G. CORNU (dir.) & Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 7e éd., PUF, coll. « Quadridge », 2005.
- Dalloz, Coutume, Fiche d’orientation, avr. 2021.
- Cf. Cass. soc., 27 févr. 1991, n 88-42.705.