L’estoppel est un système sanctionnant une personne qui, par la représentation qu’elle a faite, en a induit une autre à croire l’existence d’un certain état de fait et à modifier sa position à son préjudice.
L’estoppel est un principe de droit issu du droit anglais tendant à irriguer le droit français.
Une partie de la doctrine française a adopté ce principe sous le nom de principe de cohérence.
Ce principe a été consacré aussi bien en matière contractuelle, notamment, en droit bancaire, relativement à la mise en place d’une convention d’unité de compte (Com. 8 mars 2005, Bull. civ. IV, n° 44 ; D. 2005. AJ. 883, obs. Delpech, et Pan. 2843, obs. Fauvarque-Cosson), qu’en matière processuelle, dans le domaine de la procédure arbitrale. Par un arrêt du 6 juillet 2005, la Haute Juridiction a pour la première fois visé expressément « la règle de l’estoppel » (Civ. 1re, 6 juill. 2005, Bull. civ. I, n° 302 ). En l’espèce, a été jugée irrecevable la demande de procédure d’arbitrage d’une personne ayant participé plus de 9 ans à cette procédure, au titre du principe de cohérence, que la juridiction arbitraire aurait statué sans convention d’arbitrage.
En somme, par un arrêt du 27 février 2009, rendu en assemblée plénière, la Haute Juridiction a adopté pour la deuxième fois le principe d’estoppel. Même si elle n’a pas reconnu en l’espèce une fin de non-recevoir, il n’en demeure pas moins qu’elle en a admis la possibilité en soulignant que « la seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui n'emporte pas nécessairement une fin de non-recevoir ».
Même si la Cour de cassation se réfère au principe de l’estoppel, elle entend « se réserver ... le droit d'en contrôler les conditions d’application » (communiqué de presse de la Cour de cassation). Autrement expliqué, cette notion de droit est une notion à part entière impliquant une marche de manœuvre qui n’est pas laissée à la seule appréciation souveraine des juges du fond. Parallèlement à son arrêt de cassation de la Cour d'appel qui avait entendu déclarer les nouvelles demandes irrecevables, la Haute Juridiction se réserve le droit de limiter le champ d'application de la règle du principe de cohérence.
Ainsi, un doute est permis quant à la réelle consécration de cette théorie d'origine anglaise. Il est vrai qu’elle vise l'estoppel, mais uniquement dans l'attendu résumant l'arrêt d'appel cassé ; sinon, il n’y a plus de référence à ce principe dans le visa de l'arrêt, ni dans le chapeau qui suit. En effet, il est possible d’affirmer que la Haute Juridiction se satisfait de consacrer sa version à la française (une partie ne peut « se contredire au détriment d’autrui » de l’estoppel. En dépit du fait, qu’il s’agisse d’un arrêt de cassation, ce principe de non-contradiction est une notion faisant partie du droit positif.
En ce qui concerne la Haute Juridiction administrative, le Conseil d’État rejette fermement ce principe de cohérence pour le moment. La problématique s’est posée à la suite de la remise en cause par l’Administration d’un dégrèvement accordé à un contribuable. Dans cette espèce, l’Administration est revenue sur ses pas, en rejetant la demande de restitution de l’impôt du contribuable. Ce dernier a alors saisi le Tribunal administratif au titre du principe de cohérence en demandant une décharge. Par un avis rendu le 1er avril 2010, la Haute Juridiction administrative se montre très réticente face à ce nouveau mécanisme. Elle argue notamment que peu important les « contradictions éventuelles », le comportement et la position de l’Administration « ne peuvent faire obstacle à l'application par le juge de l'impôt de la loi fiscale ». Elle ajoute que « les changements de position » de l’Administration « sont encadrés par des garanties, dont le juge de l'impôt assure le respect ». Le contribuable peut s’il le souhaite opposer à l'administration l'interprétation d'un texte fiscal qu'elle a formellement admise ou une prise de position formelle de sa part au titre des articles L. 80 A et L. 80 du livre des procédures fiscales. Elle termine en rappelant que « lorsque l'administration a prononcé le dégrèvement d'une imposition, elle ne peut établir, sur les mêmes bases, une nouvelle imposition sans avoir, préalablement, informé le contribuable de son intention de l’imposer ». C’est pourquoi l’introduction d’un fondement nouveau impliquerait un débat contradictoire. (CE avis, 1er avr. 2010, no 334465, SAS Marsadis).
Le Conseil d’État a confirmé son rejet du principe de cohérence dans un arrêt en date du 23 décembre 2015 relatif à une demande de sentence arbitrale (CE, 23 décembre 2015, n°376018).
Un questionnement subsiste : est-il utile d’intégrer en droit français une notion d’origine étrangère ? En effet, il existe déjà des règles explicitant une interdiction de se contredire. Toutefois, l’article 16 du code de procédure civile reconnaît la prétention de nouveaux moyens sous réserve d’un débat contradictoire même s’il n’est pas question de se contredire comme dans le mécanisme de l’estoppel.