La hiérarchie des normes est un terme indissociable du nom de Hans Kelsen, alors même qu'il s'agit d'un concept créé par Adolph Merkl, disciple de Kelsen. Au sens de Kelsen, il s'agit d'une vision dynamique, de production des normes. Une norme est inférieure à une autre norme si la première norme prévoit les conditions de production de la seconde. La Constitution sera donc supérieure à la loi parce qu'elle prévoit la procédure législative.

Dans un sens plus français, la doctrine juridique considère la hiérarchie des normes comme est vu comme un enchevêtrement statique de normes. Une norme est hiérarchiquement supérieure à une autre s'il existe une obligation de conformité de la deuxième norme à la première.

La Constitution, en tant que norme ou qu'ensemble de normes, reçoit généralement de multiples définitions doctrinales. Elle peut être écrite ou coutumière ou partiellement coutumière, formelle ou matérielle. Au sens matériel, il peut s'agir des normes régissant l'organisation des pouvoirs publics, la forme de l'État et les droits fondamentaux. Dans un sens plus strict et plus précis, il peut aussi s'agir de l'ensemble des normes qui prévoient la procédure d'adoption des normes générales et abstraites, qu'elles soient législatives ou réglementaires. Enfin, dans un sens formel, la Constitution désigne l'ensemble des normes contenues dans un document et dont la procédure de modification est politiquement plus difficile à mettre en oeuvre que la procédure législative. C'est ce sens que l'on retiendra ici.

Pendant longtemps, la question de la place de la Constitution ne se posait pas. Elle est supérieure aux lois, elles-mêmes supérieures aux règlements. Le développement du droit international multilatéral et, surtout, des communautés européennes a pu remettre en cause cette vision simplifiée.

La question se pose alors de la place de la Constitution dans la hiérarchie des normes.

La vision classique de la Constitution au sommet de la hiérarchie des normes reste présente en doctrine (I), mais elle ne peut écarter les débats et la réalité de la soumission de la Constitution au droit international (II).

 

I. L'évidente place suprême de la Constitution dans la hiérarchie des normes du droit interne

La Constitution est considérée comme la norme suprême en droit interne (A), ce qui ne signifie pas qu'elle est intangible. Elle peut être modifiée, et la question de la supra constitutionnalité s'est posée dans la doctrine (B).

A. La Constitution comme norme suprême de l'ordre juridique interne

Tant du point de vue kelsénien que du point de vue de la doctrine traditionnelle, la Constitution est vue comme située au sommet de la hiérarchie des normes. Chez Kelsen, il s'agit ouvertement et explicitement d'une simplification, afin d'illustrer les linéaments de sa théorie pure du droit. En disant que la Constitution est supérieure à la loi, elle-même supérieure au règlement, Kelsen ne cherche pas à décrire exactement un système juridique précis. Au contraire, il cherche à schématiser le fonctionnement des systèmes juridiques du début du XXe siècle, sans tenir compte ni des spécificités de chaque système ni des interactions entre le droit interne et le droit international.

Pour Kelsen, la question de l'interaction entre le droit interne et le droit international est une problématique toute différente de celle de la hiérarchie des normes, parce que la hiérarchie des normes vise les rapports de production entre les normes. Or il n'existe pas de rapports de production entre le droit international et le droit interne, donc pas de hiérarchie. Toutefois, si l'on adopte la posture dite du monisme internationaliste, que Kelsen privilégiait, alors il n'y a qu'un seul ordre juridique et l'ordre interne n'est qu'un sous-ensemble de l'ordre international. Toutefois, dans la mesure où l'ordre international ne prévoit aucune procédure spécifique d'adoption des Constitutions, chaque groupe humain bénéficie d'une carte blanche.

Cette vision a inspiré la doctrine française, mais cette dernière l'a simplifiée à l'extrême. La Constitution est alors vue comme supérieure à la loi, car la loi doit respecter son contenu matériel, l'avènement du contrôle de constitutionnalité permettant de réaliser pleinement cette hiérarchie. C'est alors en 1958, avec le Conseil constitutionnel, que la France s'est réellement dotée d'une Constitution normative.

 

B. La question de la supra constitutionnalité

Cette vision de la Constitution comme norme suprême n'a pas empêché les débats relatifs à ce qui pourrait se trouver « au-dessus » de la Constitution dans la hiérarchie. Deux séries d'éléments ont pu être considérées comme supérieures à la Constitution. La supra constitutionnalité aurait été ainsi constituée soit d'une certaine forme de jusnaturalisme, soit d'une série de normes intangibles.

L'idée d'une supra constitutionnalité contenant des normes naturelles intangibles a pu se répandre un peu parmi la doctrine constitutionnelle. Ces normes seraient constituées notamment des droits fondamentaux, ou encore les principes démocratiques. Si cette vision a pu être développée par certains auteurs, elle n'a jamais réellement réussi à s'imposer. En effet, rien dans le droit positif ne semble montrer que certaines normes s'imposeraient à la Constitution, et aucune juridiction n'a jamais tranché en ce sens. Si politiquement il semble difficile de se départir de ces normes, juridiquement rien n'impose de les respecter lors d'une révision.

Plus juridique est la vision de la supra constitutionnalité comme contenant des normes positives intangibles. Il s'agit de ce qu'on a pu appeler les « clauses d'éternité ». Ainsi en France, l'article 89 de la Constitution interdit de modifier la forme républicaine du gouvernement. Toutefois, il s'agit plus d'une sorte de constitutionnalité à plusieurs niveaux que d'une supra constitutionnalité, puisque les normes intangibles sont des normes inscrites positivement dans la Constitution.

De ce point de vue, la Constitution reste donc bien suprême. Toutefois, les choses semblent différentes lorsque l'on intègre les normes issues du droit international dans la hiérarchie.

 

II. La place discutée de la Constitution par rapport à la hiérarchie des normes incluant le droit international

Si la doctrine française considère la Constitution comme supérieure au droit international, jurisprudence à l'appui (A), les données du droit international sont loin d'être aussi tranchées (B).

 

A. La Constitution vue comme supérieure au droit international par la doctrine française

La doctrine française présente la Constitution comme étant supérieure non seulement à la loi, mais également aux traités internationaux. C'est ce qui résulterait pour la doctrine de l'article 55 de la Constitution. En effet, en prévoyant que les traités et accords ont une valeur supérieure aux lois, la Constitution se place elle-même au-dessus des accords. L'article 54, en interdisant l'approbation ou la ratification d'un traité que serait déclaré contraire à la Constitution, est parfois également mobilisé pour avancer la supériorité de la Constitution.

À l'appui de cette vision peuvent aussi être avancés les arrêts du Conseil d'État Sarran de 1998 et SNIP de 2001, et l'arrêt Fraisse de la Cour de cassation de 2000. Dans toutes ces décisions, les juridictions affirment la prévalence de la Constitution sur le droit international et, surtout, le droit des communautés européennes, maintenant droit de l'Union européenne.

Ces arguments doivent toutefois être sinon rejetés, au moins précisés et contextualisés. L'article 55 de la Constitution n'est pas relatif à une hiérarchie au sens de Kelsen, mais à une priorité en cas de conflit de normes. Il ne permet alors pas de tirer argument de hiérarchie entre Constitution et traités. Il en va de même de l'article 54. La Constitution n'est pas supérieure aux traités précisément parce que le traité ne peut entrer en vigueur en cas de contrariété. Le conflit est prévenu avant qu'il ne puisse intervenir et il n'existe pas de norme de résolution d'un conflit entre Constitution et droit international lorsque les deux normes sont en vigueur. Enfin, la jurisprudence est à relativiser. D'abord, le juge ne pose ici pas de normes, mais argumente pour justifier son choix. Ensuite, et surtout, il s'agit pour ces juridictions de justifier leur préférence d'application de la Constitution. Tirant leur légitimité de la Constitution, elles la considèrent comme suprême. Dans la mesure où il s'agit d'un argument, et pas d'une norme juridique, on ne peut en tirer argument quant aux liens hiérarchiques entre la Constitution et les traités.

 

B. La Constitution soumise au droit international dans la sphère internationale

Sur le plan du droit international, et notamment du droit européen, il est acquis que les Constitutions nationales ne sont que des normes parmi d'autres, et sans passe-droit. Sur le plan des droits fondamentaux et de la Cour européenne des droits de l'homme, même une Constitution peut être considérée comme violant la convention. Dans un tel cas, si la Constitution ne peut pas être interprétée en conformité avec la Convention, alors elle doit être modifiée.

De même, du point de vue du droit de l'Union européenne, la Constitution ne peut être mobilisée pour ne pas appliquer les normes de l'Union. C'était même précisément ce qui était en cause dans la décision de la Cour de justice des communautés européennes de 1964 Costa contre ENEL, qui visait en creux la position italienne qui souhaitait soustraire sa Constitution à l'application du droit communautaire. Si en 1964 la Constitution n'était pas visée, la Cour de justice a ensuite précisé que même une norme constitutionnelle ne peut être utilisée pour refuser l'application du droit de l'Union.

De ce point de vue, il est alors possible de considérer que la Constitution est inférieure au droit international dans la vision doctrinale française de la hiérarchie des normes.

 

Sources :

- R. Bonnard, « La théorie de la formation du Droit par degrés dans l'œuvre de A. Merkl », RDP, 1928. p. 689 et s.
- D. de Béchillon, « Sur la conception française de la hiérarchie des normes. Anatomie d'une représentation », RIEJ, 1994, vol. 32, p. 81-127.
- L. Favoreu (dir.), Droit constitutionnel, 22e éd., Dalloz, 2020.
- H. Kelsen, Théorie pure du droit, 2e éd., Bruylant, LGDJ, 1999.