Cass. civ., 1ère, 23 mai 2006

Après avoir divorcé sur requête conjointe, en date du 12 mars 1984, le couple a repris la vie commune en 1988 sans pour autant se remarier. Ils se sont à nouveau séparés en 1996. Entre le mois de novembre 1995 et juin 1996, le concubin a versé une somme mensuelle de 6 000 francs réduite jusqu'au mois de mai 1997 à 3 000 francs.

Le 12 mai 2000, la concubine assigne son ex-concubin en paiement d'une pension sur le fondement de l'article 1235 du Code civil au motif que l'obligation naturelle, consentie par son ex-concubin, s'est transformée en obligation civile.

L'ex-concubine fait grief à l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence rendu le 18 mai 2004 de l'avoir déboutée de sa demande qui tendait à obtenir une pension alimentaire sur le fondement d'une obligation naturelle transformée en obligation civile. Elle intente alors un pourvoi.

Elle invoque comme moyen, le fait que la transformation d'une obligation naturelle en obligation civile peut résulter non seulement d'un engagement pris exprès ou d'un commencement d'exécution.

Dans quelle mesure le fait d'octroyer à autrui une aide financière sans écrit préalable peut résulter un engagement volontaire implicite ou explicite ?

La Première chambre de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu en date du 23 mai 2006, rejette le pourvoi intenté par l'ex-concubine au motif qu'il ne résulte aucun engagement unilatéral et volontaire implicite ou explicite de la part de son ex-concubin à poursuivre les versements mensuels de la pension, à défaut de tout écrit en ce sens et sans limitation de temps. Le comportement de son ex-concubin ne constitue pas une obligation civile qui résulterait d'une obligation naturelle.


Cass. Civ., 1ère, 03 octobre 2006

Le 25 juillet 1997, une action en recherche de paternité naturelle à l'encontre de Mr. Y a été engagée par Mr. X. Or Mr. X s'est désisté de son action dès lors que Mr. Y s'est engagé à lui verser une somme de 3 000 francs mensuelle, à titre de subsides, jusqu'à la fin de ses études aux termes d'un accord formulé. Mr. Y a cessé les paiements à partir du mois d'aout 2001 et donc, Mr. X a de nouveau saisi le juge aux affaires familiales afin de voir condamner Mr. Y à reprendre les versements mensuels et agir en recherche de paternité.

La Cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans son arrêt rendu le 23 octobre 2003, a déclaré irrecevable la demande de Mr. X car l'action de subsides n'a pas été intentée dans les délais prescrits à l'article 342 du Code civil et que l'accord pourtant formalisé entre l'appelant et l'intimé ne constitue pas une véritable transaction. Un pourvoi est alors formé par Mr. X.

Dans quelle mesure un engagement volontairement pris par une personne de verser à autrui une somme mensuelle constitue ou non une obligation civile ?

La Première chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 03 octobre 2006, casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 23 octobre 2003, au motif que la demande de Mr. X en paiement d'une somme mensuelle a été déclaré irresponsable par la Cour d'appel d'Aix-en-Provence. Elle n'a pas recherché si Mr. Y n'avait pas voulu exécuter un devoir de conscience et n'avait pas ainsi transformé une obligation naturelle en obligation civile.


Affaire des loteries, la valse des qualifications

1ère espèce : Cass. civ., 1ère, 28 mars 1995

En mai 1990, Mr. X a reçu une lettre accompagnée d'une attestation lui certifiant qu'un numéro (parmi les douze mentionnés et tous gagnants), lui était attribué, par la société Inter-Selection qui est une entreprise par correspondance. Le gagnant a réclamé le paiement de la somme de 150 000 francs qui a été révélée après le grattage et qui correspondait selon lui au numéro gagnant attribué. Par ailleurs, cette somme est assortie de la remise d'une automobile car il a répondu dans le délai fixé. Toutefois pour la société Inter-Selection, ledit numéro a participé à un prétirage au sort pour des prix en espèces encore en jeu.

La société Inter-Selection intente un pourvoi en cassation et reproche à l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Douai, le 10 février 1993, d'avoir accueilli les demandes formulées par le gagnant.

Le moyen unique, pris en ses quatre branches, déclare :
1. La Cour d'appel prive sa décision de base légale (1101 et 1382 du Code civil) car elle relève que les documents reçus par le gagnant pouvaient légitimement laisser penser qu'il avait gagné sans rechercher si ce sont bien lesdits prix qui devaient lui revenir, après tirage au sort effectué par huissier.
2. La Cour d'appel viole les articles 1101 et 1382 du Code civil, car elle considère que l'attestation constitue un engagement unilatéral qui l'oblige à reconnaitre au gagnant ladite qualité des lots litigieux.
3. Il appartenait à la Cour d'appel de Douai de rechercher si les documents excluaient le fait que la volonté de l'organisateur du jeu aurait pu s'interpréter différemment et non de d'énoncer que le consommateur pouvait en déduire l'attribution des prix.
4. La Cour a dénaturé l'attestation faite par la société « tirage au sort préalable » en déclarant que celle-ci pouvait s'entendre comme informant son destinataire que le tirage le désignait gagnant.

Dans quelle mesure une attestation mentionnant un numéro gagnant peut-elle constituer un engagement unilatéral de volonté ?

La Cour de cassation, en sa Première chambre civile rejette le pourvoi aux motifs que la Cour d'appel a retenu et interprété souverainement l'engagement de la société Inter-Selection de payer au gagnant du tirage le prix en espèce représenté par la somme de 150 000 francs qui a été révélée lors du grattage et puis correspondant au numéro gagnant et certifié qui avait été attribué au consommateur.


2ème espèce : 2ème civ., 11 février 1998

Une consommatrice a reçu de la part d'une entreprise, la société France direct service (FDS) qui est une entreprise de vente par correspondance, la notification officielle d'un gain de 250 000 francs le 25 mars 1992. La consommatrice a réclamé (en vain) le paiement de ladite somme, a assigné la société FDS.

La Cour d'appel de Toulouse, le 14 février 1996, a rendu un arrêt confirmatif du jugement rendu en premier degré.

La société FDS a formé un pourvoi contre l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Toulouse. La société FDS invoque comme moyen le fait que cet engagement contractuel de payer ne peut être retenu contre elle que si l'offre ferme et définitive de payer la somme est dépourvu de toute ambigüité ou condition. Aussi, selon elle, la Cour d'appel avant de dire droit avait rendu un arrêt analysant la lettre de la société FDS et releva que la consommatrice n'était qu'une des possibles gagnantes du prix dont la somme sera partagée avec d'autres. Cette lettre portait notification de participation et non notification officielle de gain. Alors la Cour d'appel de Toulouse aurait violé les articles 1134 et 1147 du Code civil.

Dans quelle mesure un engagement contractuel de payer une somme déterminée peut-il être retenu ?

La Deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs qu'il se déduit des termes affirmatifs et non ambigus utilisés par la société qu'elle laissait entendre à la consommatrice qu'elle avait bien gagné la somme promise et qu'elle n'avait pu se méprendre sur la portée d'un engagement qui était aussi clairement affiché. La Cour d'appel a alors pu déduire que du fait de la rencontre des volontés, la société FDS était tenue par son engagement, lui-même accepté par la consommatrice à payer à celle-ci ladite somme.


3ème espèce : 2ème civ., 03/03/1988

MM. X et Nicolet ont tous deux reçus un courrier personnalisé sur lequel était noté que le destinataire avait gagné un chèque de 250 000 francs à l'ordre de leur ordre et une lettre de félicitations du directeur de la société France direct service (FDS). Les gagnants s'estimant lésés par cette correspondance factice ont assigné la société FDS en réparation du préjudice qu'ils ont subi près le tribunal d'instance de Longwy qui a rendu son jugement le 17 juin 1986. Ce dernier a condamné la société à des dommages et intérêts et au paiement d'une somme aux demandeurs au procès. La société FDS a intenté un pourvoi contre le jugement rendu par le tribunal d'instance aux motifs que le tribunal d'instance aurait omis de répondre aux conclusions de la société et n'aurait caractérisé ni la faute qu'aurait caractérisé l'envoi des documents aux intéressés ni le préjudice qu'ils auraient subi. Ainsi, il n'aurait pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil qui traite des délits.

Dans quelle mesure l'envoi d'une correspondance portant mention d'un nom gagnant à l'obtention d'une somme d'argent peut-il être de nature à engager la responsabilité de l'expéditeur ?

La deuxième Chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi aux motifs que le tribunal d'instance de Longwy a répondu aux conclusions formulées par la société FDS. Il a pu relever que le document envoyé débutait par l'affirmation que le destinataire avait gagné la somme de 250 000 francs et a déduit qu'en présentant cet évènement hypothétique de manière affirmative, la société a commis une faute de nature à engager sa responsabilité car il a été également justifié que les destinataires ont subi un préjudice dû à la personnalisation du document qui leur a été envoyé et leur croyance dans l'acquisition de ladite somme. Ainsi le tribunal d'instance a justifié sa décision au regard de l'article 1382 du Code civil.


4ème espèce : Mixte, 06 septembre 2002

Un consommateur a reçu de la part d'une société de vente par correspondance, Maison française de distribution, deux documents le désignant de manière nominative et répétitive et en gros caractères comme ayant gagné la somme de 105 750 francs. Il était aussi noté que le consommateur "gagnant" serait payé immédiatement à condition qu'il renvoie dans les délais fixés un bon de validation joint aux documents, ce qu'il a aussitôt fait. Or la société de vente n'a fait parvenir au consommateur ni réponse ni lot et donc, il l'a assigné en délivrance du gain et en paiement de l'intégralité de la somme de 105 750 francs pour publicité trompeuse qui est née d'une confusion entre "gain irrévocable" et "pré-tirage au sort". L'Union fédéral des consommateurs Que Choisir a quant à elle demandé le paiement d'une somme de 100 000 francs de dommages-intérêts en réparation de l'atteinte portée à l'intérêt collectif des consommateurs. La Cour d'appel de Paris, le 23 octobre 1998, a accordé les sommes de 5 000 francs à titre de dommages et intérêts au consommateur et un franc à la UFC Que Choisir.

Un pourvoi est alors intenté par l'Union fédérale des consommateurs Que Choisir. Il est alors fait grief à l'arrêt de la Cour d'appel de Paris d'avoir limité à la somme d'un franc la réparation de son préjudice au motif que les juges doivent évaluer le préjudice d'après les éléments qui leur sont fournis sans pouvoir allouer une indemnité symbolique en raison d'un montant incertain du dommage. De plus, UFC Que Choisir qui poursuit la réparation de préjudices subis par des consommateurs, invoquait le préjudice causé à ces derniers du fait des procédés agressifs et mensongers des sociétés par correspondance qui ont pour but de faire croire aux consommateurs qu'ils ont gagné pour que ceux-ci passent commande. L'Union évalue le préjudice à 100 000 francs.

Dans quelle mesure le fait d'envoyer une lettre à destinataire nommé et désigné gagnant constitue-t-il une faute de la part de l'expéditeur [et de nature à engager sa responsabilité] ?

La Cour de cassation casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris, en date du 23 octobre 1998, en ce qu'il a condamné la société de vente par correspondance MFD aux motifs que la Cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil en retenant que la société avait commis une faute délictuelle constituée par la création de l'illusion d'un gain important et le préjudice ne saurait correspondre au prix que le destinataire de la lettre nominative reçue avait cru gagner. De plus, le fait que l'expéditeur de la lettre, c'est-à-dire la société, n'a pas mis en évidence l'existence d'un aléa, et donc d'un doute, ne s'est pas par ce fait volontaire, engagé à délivrer la somme prétendument gagnée par le consommateur.


5ème espèce : Cass. civ., 1ère, 19 mars 2015

Deux consommatrices ont reçu de la part de la société Délices et gourmandises une lettre annonçant qu'elles avaient gagné la somme de 9 000 euros après qu'une loterie publicitaire les a désignées. Ces consommatrices ont assigné la société Délices et gourmandises pour obtenir le paiement de ces sommes. La société a été condamnée à payer la somme de 9 000 euros à chacune des demanderesses.

La société a intenté un pourvoi en cassation. [Il est fait grief, sur le deuxième moyen, à l'arrêt attaqué de la Cour d'appel de Colmar, en date du 4 novembre 2013, de rejeter l'exception tirée de l'incompétence du tribunal d'instance. En effet, selon la société, les prétentions formulées par les consommatrices étaient fondées sur des faits distincts mais connexes et donc la compétence devait être déterminée au regard de la valeur totale de leurs prétentions. Cependant les demandeurs sont dépourvus de titre commun et donc le taux du ressort est déterminé à l'égard de chacun d'eux par la valeur de ses prétentions.]

Il est fait grief, sur le troisième moyen, à l'arrêt attaqué de condamner la société à payer 9 000 euros à l'une des consommatrices "gagnantes". Selon le moyen, la qualification de quasi-contrat, prévu à l'article 1371 du Code civil, doit être écartée dès lors que l'organisateur d'une loterie publicitaire met en évidence l'existence d'un aléa, à première lecture. Dans le bon de participation, il était expressément écrit que le jeu était soumis à un aléa et d'ailleurs, la consommatrice a signé le bon. De plus, lorsqu'une partie dénie son écriture ou dénie sa signature, il revient au juge de mettre en oeuvre une procédure de vérification d'écriture alors que la Cour d'appel de Colmar ne l'a pas entrepris et a tenu pour acquise la dénégation de signature de la défenderesse. Enfin, il a été relevé par la Cour que la société a répété sans aucune nuance donnant à penser à un quelconque aléa, son engagement de payer la somme attribuée à la consommatrice qui était déclarée gagnante sous contrôle d'un huissier. Seule une lecture minutieuse permettait de découvrir quelques rares allusions au caractère hypothétique du gain promis. Aussi, la case à cocher mentionnant l'existence d'un aléa était suivie d'une autre case, mise davantage en évidence qui visait à réclamer l'attribution immédiate du gain annoncé. Le règlement était trop peu apparent et trop confus pour lui permettre de déduire l'existence d'un aléa.

La société fait grief, sur le quatrième moyen, à l'arrêt attaqué de la condamner à verser le somme de 9 000 euros à l'autre consommatrice. Selon elle, la qualification de quasi-contrat doit être écartée dès lors que l'organisateur d'une loterie publicitaire met en évidence à première lecture l'existence d'une aléa. De plus, selon la société, seul celui qui a participé au jeu publicitaire conformément aux modalités fixées par l'organisateur de la loterie peut se prévaloir de l'existence d'un quasi-contrat de loterie publicitaire. Dans le cas présent, la consommatrice n'a pas renvoyé le bon de participation rempli par ses soins. Finalement, pour la société, la mauvaise foi du réclamant le prive du droit de se prévaloir de l'existence d'un quasi-contrat. En l'espèce, la consommatrice n'a pas passé commande ni renvoyé le bon de participation et a réclamé son gain par une lettre de mise en demeure par l'intermédiaire de son avocat.

Dans quelle mesure l'organisateur d'un jeu publicitaire annonçant à une personne nommée un gain s'oblige-t-il par ce fait purement volontaire à le délivrer ?

La Première chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par la société Délices et gourmandises aux motifs que la Cour d'appel de Colmar, dans son arrêt rendu le 4 novembre 2013, [a constaté que le tribunal d'instance était compétent pour connaitre de l'affaire dans la mesure où les deux consommatrices ont fait l'objet de propositions commerciales distinctes mais qu'elles agissaient en leur nom propre, ne réclamaient pas une somme supérieure à 10 000 euros / le moyen ne peut être accueilli]. De plus, il résulte de l'article 1371 du Code civil qui attrait au quasi-contrat, que l'organisateur d'un jeu publicitaire qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence, à première lecture, l'existence d'un aléa, s'oblige par ce faire purement volontaire, à le délivrer. La Cour d'appel a, selon la Première chambre civile, retenu qu'à première lecture, les documents envoyés à la première consommatrice ne mettaient pas en évidence, l'existence d'un aléa et donc la société était tenue de lui délivrer le gain annoncé. En outre, l'organisateur du jeu publicitaire était tenu de délivrer à la deuxième consommatrice le gain qu'il lui avait annoncé en dépit du fait qu'elle n'ait pas renvoyé le bon de participation car ces circonstances ne sont pas de nature à faire obstacle à la délivrance du gain annoncé.