Retour sur la décision du Conseil Constitutionnel de déclarer la réforme des retraites conforme à la Constitution française.


Un pouvoir indépendant et effectif

Il nous faut débuter cet article en précisant la théorie élaborée par Hans Kelsen, juriste autrichien, qui au tout début du XXe siècle est intervenu afin de démontrer l’ensemble des marqueurs qui permettent de garantir que le contrôle de constitutionnalité des lois, et donc la conformité de la norme inférieure à la norme supérieure, est à la fois affranchi du pouvoir politique mais aussi et surtout effectif. Pour ce faire, il considérait que ce contrôle devait revenir uniquement à une juridiction spécialisée et indépendante qui n’aurait pour autre mission que celle de garantir ce contrôle de constitutionnalité. Aussi, il convient pour lui de partager le pouvoir de nomination de cette juridiction entre différents détenteurs des autorités. Enfin, pour lui, les membres de cette juridiction doivent détenir un mandat dont la durée est relativement étendue dans le temps, mais aussi que ce mandat ne soit pas reconductible et surtout qu’un système d’incompatibilités soit instauré.
A la lecture de ces marqueurs l’on voit que notre Conseil constitutionnel, créé en même temps que la Constitution du 4 octobre 1958, les respecte entièrement : le Conseil constitutionnel français est donc parfaitement indépendant. Pourquoi pouvons-nous affirmer cela ? Il faut, pour répondre à cette question, se reporter à sa composition : ce dernier revêt en effet la nature d’un organe collégial, composé de neuf membres. Toutes les décisions prises par le Conseil constitutionnel sont édictées en collégialité, une voix ne primant pas sur une autre, sauf en cas de partage, et auquel cas particulier il reviendra à son président de trancher. Au titre de la durée des mandats, ceux-ci sont relativement longs puisque les membres sont nommés pour neuf ans et leur mandat est non renouvelable. Ici ces précisions sont importantes puisqu’elles garantissent l’indépendance du Conseil constitutionnel, conformément aux dispositions de l’article 56 du texte constitutionnel suprême. On voit surtout que ses membres disposent d’un mandat qui passe les limites du quinquennat présidentiel et, parce que celui-ci n’est pas renouvelable, ils sont indépendants car ils n’ont pas besoin de satisfaire aux exigences politiques du moment.


Documents sur ce sujet :

Le Conseil Constitutionnel est-il une juridiction ? - politisation progressive et évolution juridictionnelle

L'impact des décisions du Conseil constitutionnel sur la législation française



Quid du pouvoir de nomination ?

Ce pouvoir est partagé entre diverses autorités. Ainsi, il revient au Chef de l’Etat mais également aux Présidents des deux assemblées de nommer chacun trois de ses membres. Cela permet de la sorte d’obtenir une composition qui est indépendante, d’autant plus qu’il existe un renouvellement des mandats tous les trois ans, et donc, un renouvellement de ses membres relativement récurrent.
Finalement, il est utile de souligner les dispositions de l’article 3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 qui prévoient des règles devant être respectées par les membres du Conseil constitutionnel. Ainsi il est notamment prévu que ces derniers jurent de remplir leurs fonctions fidèlement, et de ne prendre part à aucune position de manière publique. De même, il convient de relever les incompatibilités qui existent entre un mandat de membre du Conseil constitutionnel et certaines positions, certaines fonctions. En effet, celles-ci impliquent, dans la pratique, que ses membres se consacrent presque exclusivement à leur mandat, selon les dispositions de l’article 57 de la Constitution. Finalement, un vote pourra être organisé, en interne, relativement au mandat d’un de ses membres si des difficultés venaient à apparaitre et ce, de manière à garantir le caractère indépendant de cette juridiction.
Ceci étant dit, il n’en demeure pas moins que certains observateurs penchent plutôt du côté d’un constat bien différent…

Pourquoi certains observateurs considèrent que le Conseil constitutionnel est politisé ?

Il est indéniable que certains membres du Conseil constitutionnel (et non la majorité d’entre eux) sont bien des personnalités politiques. Ceci étant, leurs opinions politiques respectives divergent entièrement, de la gauche à droite, en passant par la République en marche. Ce qui apparait intéressant également sous ce rapport est que tout membre du Conseil constitutionnel est en mesure de se déporter, et par voie de conséquence, de ne pas siéger à l’occasion d’une séance qui porterait sur une loi avec laquelle ce dernier considérerait qu’il existe un conflit d’intérêts.


Quid de la présence des anciens Chefs de l’Etat ?

Ces derniers sont membres de droit à vie du Conseil constitutionnel. Cette règle, contenue à l’article 56 susmentionné, est vivement critiquée par certains observateurs, et peut par ailleurs accentuer les critiques apportées contre cette juridiction. Or il convient immédiatement de retenir que ces derniers choisissent la plupart du temps de ne pas y siéger.


Quid du contenu des décisions prises par le Conseil constitutionnel ?

En vérité, il faut comprendre que cette juridiction juge en droit, selon un contrôle de constitutionnalité dit abstrait. Ainsi, il est opéré un contrôle entre la norme inférieure soumise à son examen par rapport à des règles supérieures, que sont en fait les droits et les libertés garantis par le texte constitutionnel.


Quid de la portée de ses décisions ?

La portée des décisions du Conseil constitutionnel est importante puisque selon les dispositions de l’article 62 de la Constitution, celles-ci ne sont pas susceptibles de recours et surtout ces dernières s’imposent à toutes les autorités.
La mise en place du Conseil constitutionnel, en 1958, en tant qu’organe indépendant permet au système juridictionnel français de respecter l’Etat de droit et permet in fine de garantir un système protecteur des droits et libertés garantis par la Constitution. Le Conseil constitutionnel, et donc le gardien de la Constitution, la norme suprême dans l’ordonnance juridique français, se voit donc pleinement garantir son indépendance et son impartialité par rapport à la politique.


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