La méthodologie du commentaire d'arrêt

L'introduction du commentaire

L'introduction de votre commentaire d'arrêt débute par une phrase d'accroche en rapport avec le sujet traité par l'arrêt, et le reste de l'introduction correspond à une fiche d'arrêt.

Ainsi, il faut y retrouver : les faits, la procédure (quelles sont les juridictions précédemment saisies ? Quelles ont été leurs décisions ?), les prétentions des parties (ce qu'attendent les demandeurs, les défendeurs ?), la solution de la juridiction concernée, le ou les problèmes de droit, et enfin l'annonce du plan de votre commentaire.

Cette première étape est importante, car elle démontre que vous avez compris l'arrêt et donc les faits, l'ensemble des étapes de la procédure ainsi que les griefs des parties.

Le contenu/le développement du commentaire

Le commentaire d'arrêt doit comprendre les deux parties principales citées dans l'introduction du commentaire (I/ et II/) et deux sous-parties citées dans les chapeaux introductifs de chacune de ces parties principales (A/ et B/).  Il faut que les titres de ces parties et sous-parties soient qualifiés (n'utilisez pas de verbes conjugués, mais des adjectifs qualificatifs).

À l'intérieur de ces sous-parties (I/ A/ et B/ ; II/ A/ et B/), vous devez partir de l'arrêt à commenter afin de confronter vos connaissances théoriques (notions, évolutions prétoriennes, etc.) à son contenu.

Tout ce que vous avancez dans votre développement doit être argumenté à l'aide de l'arrêt puis de vos connaissances (attention, si vous ne mentionnez pas l'arrêt dans ces sous-parties, vous risquez le hors-sujet puisque vous procéderez davantage à une dissertation qu'à un commentaire) afin de démontrer le sens, la portée, la valeur de la décision rendue et ce qu'elle apporte d'un point de vue prétorien.

Enfin, ne concluez pas votre commentaire d'arrêt.

Voyons maintenant un exemple de commentaire d'arrêt rédigé.

Exemple de l'arrêt Nicolo du Conseil d'Etat du 20 octobre 1989

Le Conseil d'Etat considère depuis l'arrêt Nicolo, rendu le 20 octobre 1989, que les traités internationaux ont une valeur supérieure aux lois nationales.

Dans le cas d'espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d'Etat en date du 20 octobre 1989 un électeur, le sieur Nicolo, avait contesté les résultats des élections européennes qui avaient eu lieu dans le courant du mois de juin de la même année. Ce dernier arguait en effet qu'une loi française (n°77-729) intéressant l'élection des représentants de la France à l'Assemblée des communautés européennes était incompatible avec le contenu de l'article 227-1 du traité de Rome. Plus précisément, le requérant considérait que les électeurs français des départements et territoires d'Outre-mer ne pouvaient pas participer au scrutin en question, ces derniers ne résidant pas sur le continent.

Par un parfait revirement de jurisprudence, le Conseil d'Etat rejettera la requête du sieur Nicolo en considérant que le traité international dispose d'une valeur supérieure à celle des lois nationales et que la loi française est conforme aux stipulations conventionnelles visées.

La question de droit qui était posée à la Haute juridiction de l'ordre administratif était celle de savoir dans quelle mesure le juge administratif peut opérer un contrôle de conventionnalité des lois aux traités internationaux.

Le Conseil d'Etat, dans cet arrêt d'Assemblée, a considéré qu'il est en mesure de contrôler la compatibilité des lois françaises avec les stipulations conventionnelles, même si les lois nationales sont postérieures aux traités internationaux (I). Le Conseil d'Etat décide donc d'appliquer pleinement les dispositions de l'article 55 de la Constitution, actant de fait la fin de la théorie de la loi-écran (II).

I. La reconnaissance prétorienne d'un contrôle de la compatibilité d'une loi avec les traités internationaux

Si d'abord le Conseil d'Etat n'a pas admis cette possibilité de contrôler la compatibilité d'une loi française par rapport à un traité international (A), celui-ci a finalement opéré un revirement de jurisprudence parfait (B).

A. La supériorité hiérarchique de principe des lois françaises sur les traités internationaux

Le Conseil d'Etat n'a pas toujours considéré que le traité international disposait d'une valeur supérieure à la loi nationale. En effet, dans son arrêt du 1er mars 1968, Syndicat général des fabricants de semoule de France, le juge administratif suprême considérait que les traités internationaux ne disposaient pas d'une valeur supérieure aux lois françaises puisque, dans le cas d'espèce, le traité était intervenu antérieurement à la loi.

Le Conseil d'Etat considérait, en effet, que la loi qui intervient postérieurement au traité international peut y déroger selon le principe de la règle spéciale (ici, la loi) dérogeant à la règle générale (ici, le traité). Le Conseil d'Etat considérait en effet que s'il appliquait les dispositions de l'article 55 de la Constitution, il deviendrait le juge de la constitutionnalité de la loi en ce qu'il serait amené à censurer la loi française contraire à ce même article. Pour lui, seul le traité international intervenant postérieurement à une loi nationale pourrait abroger implicitement cette dernière.

B. Un revirement de jurisprudence parfait opéré par le Conseil d'Etat

Les juges du Conseil d'Etat ont décidé, pour des raisons purement pragmatiques, de revenir sur leur jurisprudence de principe : si ces derniers ne font pas prévaloir, selon les dispositions de l'article 55 de la Constitution, le traité antérieur sur une loi nationale postérieure, celui-ci ne pourrait jamais lui être effectivement supérieur sur le plan hiérarchique. La même difficulté qu'à l'occasion de l'arrêt des Fabricants de semoule de France s'est posée : si le Conseil d'Etat censure la loi française en vertu des dispositions constitutionnelles, cela ne reviendrait-il pas à faire de ce dernier un juge constitutionnel ?

En vérité, les juges du Conseil d'Etat ont écarté cette question en considérant que l'article 55 précité les habilite à exercer ce contrôle particulier de la conventionnalité d'une loi par rapport à un traité international. Pour eux, cette habilitation leur permet d'écarter une loi nationale (et donc son application) tant que celle-ci sera incompatible avec les dispositions conventionnelles. Ainsi, pour tous les cas où une loi postérieure à un traité international serait contraire à un traité, la première sera nécessairement écartée au profit de l'application du second. Peu importe que la loi intervienne antérieurement ou postérieurement à un traité international, toutes les fois où celle-ci est contraire à un traité international, son application est écartée.

Ce revirement de jurisprudence parfait a également été l'occasion pour le Conseil d'Etat d'acter la fin de l'application de la théorie de la loi-écran (II).

II. La fin actée de la théorie de la loi-écran par le Conseil d'Etat

Le Conseil d'Etat, en abandonnant la théorie de la loi-écran et en reconnaissant expressément un contrôle de compatibilité entre une loi française et un traité international (A), a rendu cette décision justifiée et justifiable au regard de l'évolution du droit administratif soumis à l'introduction croissante de normes internationales (B).

A. La reconnaissance prétorienne d'un contrôle de compatibilité entre une loi et un traité

C'est par ce revirement de jurisprudence que le Conseil d'Etat décida de l'abandon de l'application de la théorie de la loi-écran. En effet, en vertu de l'article 55 de la Constitution, dès que celui-ci a considéré qu'il lui appartenait de contrôler la compatibilité d'une loi interne avec des dispositions conventionnelles, peu importe le moment où intervient cette loi par rapport au traité international, celui-ci a acté la fin de la théorie de la loi-écran.  

Plus précisément, cette théorie considérait que la loi (en tant qu'expression de la volonté générale et dont la validité ne pouvait être vérifiée par le juge qui devait uniquement l'appliquer) se plaçait entre le traité international et le juge administratif. En d'autres termes et en application de cette théorie, il était impossible pour le juge administratif, sans méconnaître cette règle, de contrôler la compatibilité d'une loi française avec des dispositions de nature conventionnelle.

B. Une décision justifiée et justifiable par l'évolution du droit administratif

En l'espèce, en décidant d'accepter la possibilité d'écarter l'application d'une loi nationale postérieure à un traité international et qui lui est incompatible, le Conseil d'Etat a rendu une décision justifiée et justifiable à l'égard de l'évolution du droit administratif français. Ce dernier est en effet impacté par l'introduction croissante de normes internationales transformant la hiérarchie des normes et l'ordre juridique interne.

En acceptant de censurer une loi qui méconnaît effectivement le champ d'application des dispositions de l'article 55 de la Constitution, les juges du Conseil d'Etat ont permis d'introduire en droit français l'ensemble du droit de l'Union européenne : à la faveur du principe selon lequel les traités disposent toujours d'une autorité supérieure, et donc d'une valeur hiérarchique supérieure aux lois, il en est de même si ces derniers leur sont postérieurs.