Dans sa décision du 15 juin 2022, la Chambre sociale de la Cour de cassation (cf. n° de pourvoi : 21-10.572) a décidé qu’un employeur est en mesure de licencier son employée pour faute après que celui-ci ait appris qu’elle avait porté des critiques à son égard dans la sphère privée. Pourquoi la Chambre sociale en a-t-elle décidé ainsi ? Réponse.


Les faits et la procédure

Une salariée a été engagée par une société en tant que secrétaire en 2003. Elle a été licenciée par son employeur pour faute grave après avoir tenus certains propos dans la sphère privée à l’encontre des dirigeants de la société qui l’emploie. En effet cette dernière avait indiqué à un de ses collègues, et présence de tierces personnes à la société, que leurs employeurs auraient déclaré que ce dernier était « le plus mauvais peintre qu’ils avaient pu voir. » Avant de procéder au licenciement de cette salariée, les dirigeants concernés avaient d’abord nié avoir tenu de tels propos à l’encontre de son collègue de travail, et l’avait mise à pied.
La salariée a donc décidé de saisir le Conseil des prud’hommes puis la Cour d’appel de Poitiers en contestation de son licenciement en arguant que celui-ci était sans cause réelle et sérieuse, les propos tenus l’ayant été, selon elle, dans le cercle strictement privé et non professionnel.
Cette première juridiction ainsi que la Cour d’appel de Poitiers, le 24 septembre 2020, se sont rangées derrière les arguments apportés par les dirigeants de la société. Elles ont en effet toutes deux retenu que la demanderesse avait déclaré certains propos dénigrants contre les dirigeants de sa société et ce, en présence d’un collègue de travail et de tierces personnes dans un cadre privé. La tenue de tels propos, ont retenu les juges saisis, est de nature à créer un malaise entre l’employeur et les membres du personnels de la société, qui caractérise une violation de l’obligation de loyauté qui découle directement du contrat de travail. De surcroit le fait de tenir ces propos, bien que dans la sphère strictement privée et donc en dehors du lieu de travail mais aussi en dehors du temps de travail, constitue un manquement à cette obligation de loyauté précitée. Par conséquent, l’image de l’entreprise fut atteinte et cette atteinte est de nature à justifier le licenciement dont la demanderesse a fait l’objet. Ce licenciement fut donc considéré comme non dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Mécontente de la décision rendue par les juges d’appel, la salariée évincée a décidé de se pourvoir en cassation.

Liberté d’expression des salariés, propos tenus en public et dénigrement de la société

Dans notre affaire, la Cour de cassation a décidé de rejeter le pourvoi formé par la salariée licenciée. Pourquoi en a-t-elle décidé ainsi ? En vérité dans le cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Chambre sociale de la Cour de cassation, les juges ont retenu des différentes constatations opérées par les juges d’appel que ces propos tenus en public, même dans le cadre de vie privée, mais surtout cette affirmation de la salariée en vertu de laquelle les dirigeants de la société auraient tenu ces propos revêt la nature d’un dénigrement. De ce fait, la Cour de cassation a donné raison à la Cour d’appel qui a pu démontrer le caractère diffamatoire des propos concernés et qui en a déduit que la demanderesse n’avait pas seulement usé de sa liberté d’expression mais avait surtout abusé de cette liberté en décidant de tenir de tels propos, même dans la sphère privée. Finalement, le dénigrement fut caractérisé par une intention de nuire à l’image de la société.
Cette affaire fut par ailleurs une occasion de plus pour la Chambre sociale de la Cour de cassation d’affirmer et confirmer ses jurisprudences en matière de limites nécessairement apportées à la liberté d’expression des salariés. Chaque propos diffamatoire justifie un licenciement disciplinaire dans la mesure où de tels propos résultent sur un trouble effectivement caractérisé à l’encontre de l’image de la société.
Il peut être également noté que bien que tous les salariés disposent en effet de la liberté d’expression dont ils peuvent user, aussi bien sur leur lieu de travail et pendant les heures de travail que dans une sphère strictement privée et donc en dehors de tout cadre professionnel, cet exercice de la liberté d’expression n’est en rien absolu. Il connait effectivement un certain nombre de limites.
Parmi les limites qui y sont apportées se retrouve celle visant à interdire que des propos diffamatoires ou injurieux soient tenus. En vertu des dispositions de l’article L.1222-1 du Code du travail, la tenue de tels propos, dès lors que la preuve est apportée, est considérée comme contraire à l’obligation de bonne foi et à l’obligation de loyauté. C’est notamment une jurisprudence que la Cour de cassation rappelle chaque année (cf. en ce sens, Cass. soc., 30/09/20, n° de pourvoi : 19-10.930 ou encore Cass. soc., 23/06/21, n° de pourvoi : 19-21.651). On peut donc relever que tous les salariés se voient imposer l’interdiction de nuire à leurs employeurs ou à leur réputation peu importe le cadre dans lequel de tels propos peuvent être tenus.

En bref, que peut-on retenir de cette décision ?

Le dénigrement de l’employeur par une salariée constitue une limite apportée à la liberté d’expression dont bénéficie chaque salarié. Attention, cependant, il nous faut préciser ici que tout salarié doit être en mesure d’apporter la preuve de ce qu’il apporte dès lors qu’il déclare des éléments ou des propos prétendument attribués à son employeur et ce, même dans le cadre particulier de la sphère privée.
Il revient en fin de compte au juge de procéder à l’appréciation entre la liberté d’expression des salariés et un dénigrement fautif pouvant servir de fondement à un licenciement pour cause réelle et sérieuse.

Références
https://www.dalloz.fr/documentation/Document?id=CASS_LIEUVIDE_2022-06-15_2110572#entete
https://veberavocats.com/fr/liberte-dexpression-du-salarie-le-denigrement-de-lemployeur-dans-la-sphere-privee-constitue-une-limite/
https://www.cadreaverti-saintsernin.fr/actualites/critique-employeur-en-prive-173.html#:~:text=Un%20arr%C3%AAt%20de%20la%20Cour,soient%20assimil%C3%A9s%20%C3%A0%20du%20d%C3%A9nigrement.
http://cardinal-avocats.eklablog.com/