Le statut qui est celui de la magistrature n'est pas particulier et unique au monde judiciaire, il est également le statut qui va s'attacher à des personnes qui sont affectées à d'autres administrations monarchiques. Il y a un parallèle à faire entre les institutions financières (cour des comptes) et les intuitions judiciaires.
Au départ, ces personnes affectées aux administrations royales (les institutions centrales) occupent un office. C'est donc l'évolution de l'office et des détenteurs de ses offices, les officiers, qu'il y a lieu d'étudier.
Le terme d'officier désigne sous l'Ancien régime un statut particulier qui évolue progressivement et se démarque d'autres statuts concurrents, parallèles, mais qui se développent dans une seconde partie de l'Ancien régime. Les offices de judicatures sont occupés par des officiers.
Pendant pratiquement deux siècles, ces officiers sont des délégations de service public. Ce terme de délégation est important : ce sont des missions de services, des compétences, des prérogatives de services publics déléguées par le monarque envers des juges ou des officiers des finances. Ils sont liés à la personne du monarque. En fait, ils n'ont à l'origine aucun statut particulier, sauf celui d'être considérés comme des conseillers du roi. Ces officiers sont révocables selon le bon vouloir du prince. Leur office, la fonction qu'ils occupent, est par essence une fonction temporaire. Ils n'ont pas de droits particuliers, ni de statut particulier, mais tout dépend du bon vouloir du roi en tant que personne physique, et non en tant que fonction monarchique. Ils sont tous considérés comme démissionnaires quand le roi décède. Il n'y a pas de continuité de leur statut.
(Insérer les lois fondamentales du royaume) : Ce sont des règles établies à la fin du XVe siècle et permettent la distinction entre la personne physique du roi et la fonction royale en assurant la succession et la continuité dynastique pour prévoir une continuité au-delà de la personne physique du roi, selon la formule « le roi est mort, vive le roi », et une expression qui veut que le roi ne meurt jamais. L'État est distingué de la personne physique du roi.
Dans un premier temps, ces officiers, détenteurs d'un office, sont révocables selon le bon vouloir du roi et en même temps ils n'ont de cesse de demander un nombre de garanties pour être maintenus en fonction lorsque le roi décède ou en tout cas ne pas être soumis à « l'arbitraire » du nouveau roi.
I. Le principe de l'inamovibilité
La date importante dans l'évolution de ces officiers et du statut de la magistrature est 1467, et l'ordonnance promulguée par Louis XI qui instaure une première étape, un premier principe, pour la magistrature est le principe de l'inamovibilité. Cette ordonnance intervient après la guerre de Cent Ans au cours de laquelle il y a eu beaucoup de difficultés. Le Parlement royal, à Paris, se retrouve sous le contrôle des ducs de Bourgogne et des rois d'Angleterre. Un grand nombre de conseillers, de magistrats va quitter Paris, et le roi va instaurer un Parlement français à Poitiers. Ceux ayant été fidèles au roi attendent d'être récompensés pour cette fidélité. À partir de là, ils n'ont de cesse de demander que leur statut soit affermi. Ils obtiennent ce principe dans des circonstances particulières, car Louis XI, contrairement à ses prédécesseurs, avait décidé de révoquer tous les officiers. Il était persuadé que tous les officiers de son père allaient comploter contre lui, mais il s'est rendu compte qu'il n'était pas aussi évident de trouver des remplaçants pour les institutions financières en particulier, et il est très dangereux de se mettre à dos ces personnes en les renvoyant, mais en les contrôlant.
Ces officiers ont alors insisté pour obtenir l'inamovibilité, garantie à partir de 1467. Elle est la date de l'apparition d'une fonction publique au sens moderne du terme par l'inamovibilité ; pour d'autres historiens, le développement de l'apparition de l'État moderne correspond à cette date, et donc, le moment où on abandonne l'idée médiévale de l'attachement des conseillers du roi attachés à la personne physique du roi et que l'inamovibilité prélude à la distinction entre la figure monarchique et une réalité plus abstraite que serait l'État monarchique : on pourrait alors commencer à parler de l'État.
Cette ordonnance prévoit que les officiers ne pourront cesser, ou être amenés à cesser leurs fonctions dans trois cas précis : la mort ; la démission volontaire ; et, la forfaiture (abus dans l'exercice de la fonction qui doit être sanctionné par une décision judiciaire). Hormis ces trois cas, un officier régulièrement installé devra rester en fonction. Ce qui est important est de constater que cette inamovibilité a surtout été interprétée comme une étape vers la garantie de l'indépendance des officiers, et plus particulièrement, comme l'élément essentiel garantissant l'indépendance de la magistrature.
Pour donner un autre exemple, Bonaparte a hésité à réintroduire l'inamovibilité de la magistrature, mais le fera, car on demande une indépendance de cette magistrature garantie par l'inamovibilité en contrepartie de la nomination des magistrats.
À la fin du XVe siècle, tous les magistrats du siège bénéficient de cette inamovibilité à l'exception du Premier président de la Cour : il continue à être nommé par le roi et être révocable selon son bon vouloir.
Quant aux membres du parquet, ils ne bénéficient pas de ce principe, ils sont désignés par le roi et révocables par lui. Ce qu'on retrouve pour l'Ancien régime a une influence sur la magistrature contemporaine.
On aurait pu se contenter de ce principe, mais les offices vont évoluer, et la deuxième étape intervient au début du XVIe siècle, sous le règne de François Ier, il s'agit de la vénalité des offices.
II. La vénalité des offices
Il faut donc payer pour avoir sa charge : cela intervient à l'occasion des guerres d'Italie qui constituent une ruine pour les finances publiques, mais aussi à cause du développement de l'État moderne qui a un coup par le développement d'ambassades, la vie internationale, ou le personnel (coûts liés au développement et à la construction de l'État moderne).
Pour faire entrer de l'argent dans les caisses, en 1522, le bureau des parties casuelles est créé : lorsqu'un office est créé ou qu'un ancien office est vacant, il faut s'adresser à ce bureau et payer une somme d'argent pour être investi de l'office. Dans les faits, le développement de ce bureau va instaurer une vénalité officielle qui se substitue à une vénalité occulte qui existait déjà auparavant. On constate en effet que lorsque les institutions royales, judiciaires et financières essentiellement, s'étaient développées, s'était mise en place une habitude empruntée aux traditions, à l'Église et le droit canonique concernant les bénéfices ecclésiastiques. Dans le droit de l'Église, il existe en effet la possibilité de résignation en faveur de quelqu'un (c'est la resigniatio in favorem) qui permettait à un ecclésiastique détenteur d'un bénéfice (un revenu) de le résigner en faveur de quelqu'un. Le droit canonique précisait qu'il fallait un délai de 40 jours entre la résignation et la mort du résignant et aucun versement d'argent ne pouvait intervenir. Mais on sait que ces résignations allaient presque toujours de pair avec le versement d'une somme d'argent au résignataire qui pouvait en disposer et en faire profiter ses neveux et ses nièces.
Cette pratique prévue et encadrée par le droit canonique s'était progressivement développée pour les charges laïques. Beaucoup d'officiers démissionnaient et proposaient un successeur afin de reprendre la charge. Cela se faisait avec l'accord du monarque, en faveur d'un membre de la famille, ou bien avec le versement d'une somme d'argent occulte dont les caisses de l'État ne bénéficiaient pas. D'où l'idée du roi d'officialiser la pratique existante et introduire le principe de vénalité des offices.
Ce système de vénalité va avoir des conséquences importantes : il devient une source de moyens financiers pour la monarchie. À chaque fois qu'elle en a besoin, elle crée de nouveaux offices. Si on prend l'histoire du Parlement de Paris, il suffit de créer une chambre supplémentaire, chaque chambre étant composée de 10 conseillers et d'un président, cela permet de créer 11 offices. Le prix dépend toutefois du prestige de l'office.
On est pratiquement certains que c'est la question de la vénalité qui va conduire à la fin du XVIe siècle à la création des présidios. Les appels des juridictions seigneuriales sont connus par les baillis ou les prévôts. Puis un appel peut être fait devant le Parlement. À la fin du XVIe siècle, une instance intermédiaire entre les bailliages et les prévôtés et le Parlement est créée : les présidios. Il permet de rapprocher la justice royale des justiciables, mais aussi d'éviter aux justiciables des coûts. Sauf que ces présidios jugent en dernier ressort pour les affaires de moindre importance, mais leurs décisions sont susceptibles de recours concernant des affaires dépassant une certaine somme. La limitation des coûts n'est donc pas remplie. La véritable raison est de créer des centaines d'offices et permet à la monarchie de faire entrer de l'argent dans les caisses.
Pourquoi acheter un tel office ?
L'accès à ces offices de judicature est anoblissant. On voit apparaître avec l'inamovibilité, mais surtout avec la vénalité des offices, la noblesse de robe, c'est-à-dire des personnes accédant à la noblesse en raison des offices qu'elles occupent (offices de magistrature ou de judicature), à côté de la vieille noblesse dite « d'épée ». Il y a bien le prestige lié à la noblesse plus qu'à l'exercice de la fonction. Le fait d'appartenir à l'ordre de la noblesse est un premier facteur qui va conduire certaines familles à vouloir acquérir ces offices.
Quand on accède à la noblesse, des privilèges sont octroyés et parmi ceux-ci existent des privilèges fiscaux (impôts indirects dont les membres de la noblesse sont exemptés). Il y a un intérêt de prestige, un intérêt social, et, un intérêt fiscal liés aux privilèges liés au statut de noblesse. Il ne faut pas oublier que la question des préséances est importante.
Il y a des questions d'acquisition d'office pour obtenir d'autres offices supérieurs.
III. Le principe de l'hérédité
La dernière étape découle d'une manière logique de la deuxième : le principe de l'hérédité qui sera accordé par Henri IV en 1604. Le roi va accorder la possibilité aux officiers de transmettre ces offices à leurs héritiers sous réserve de payer un droit annuel égal à 1/60e de la valeur légale de l'office. Si l'officier en place paye ce 60e de la valeur, il pourra transmettre l'office à un successeur qui obtiendra un dégrèvement. Ce 60e s'explique par le fait qu'une génération correspond à 30 ans et que la plupart des officiers occuperont leur office pendant une trentaine d'années. Si on paye 1/60e, il reste 30/60e qui seront payés, il en restera autant à payer auprès du bureau.
On voit donc bien l'intérêt financier pour faire rentrer de l'argent dans les caisses. Par étape progressive, les officiers deviennent patrimoniaux à partir du XVIIe siècle, patrimonialité qui résulte qu'on a accordé à ces officiers l'inamovibilité, la vénalité et l'hérédité.
Ce système va s'appliquer sans interruption ou presque jusqu'à la Révolution française. Sous le règne de Louis XV, une réforme sera tentée, par le chancelier Maupeou, mais elle échouera.
L'office est devenu une dignité avec exercice d'une parcelle de puissance publique : telle est la définition donnée par Charles Loyseau dans son Traité des offices. L'office s'inscrit pleinement dans la fonction publique.
Quel est alors le problème de cette inscription dans la fonction publique ?
Le problème est qu'il existe des difficultés d'un point de vue juridique avec la délégation de la puissance publique à une acquisition privée. L'officier a fait rentrer l'office dans son patrimoine. Charles Loyseau considère que l'office est un bien immeuble, susceptible d'hypothèque, voire susceptible de saisi. Comment considérer que ce bien s'inscrit dans une délégation de puissance publique ? Pour sortir de cette difficulté, les juristes vont distinguer le titre et la finance.
Le titre est le droit d'exercer une fonction publique et donc pour la magistrature le droit de rendre la justice. Ce titre est par définition de nature publique. La chancellerie royale remet à chaque nouvel officier une lettre de provision d'office qui donne lieu au paiement d'une redevance d'honneur et cette lettre doit faire l'objet d'un enregistrement par la juridiction compétente. C'est au moment de l'enregistrement que sont vérifiées les conditions d'exercice de la charge.
Il existe essentiellement trois conditions : les détenteurs d'un office public devront remettre un certificat de catholicité ; un âge légal minimum pouvant faire l'objet d'une dispense ; avoir les compétences requises (licence en droit).
Tout cela relève des lettres de provision, qui doivent être entérinées, qui vont donner au détenteur de l'office le droit d'exercer une fonction publique - le titre.
Les auteurs distinguent la finance, qui est la somme déposée au bureau des parties casuelles, au trésor royal, qui pour éviter ce problème qui semble incompatible entre une appropriation privée d'un office et la puissance publique va être présenté non pas comme une somme d'argent pour acquérir un office, mais bien comme un trait d'honneur consenti au roi, trait d'honneur donnant droit au détenteur de l'office de présenter son successeur. Légalement, le roi détient toujours le droit imprescriptible de récupérer un office au moment du décès d'un détenteur ou de sa démission, mais ce droit est conditionné par le remboursement de la finance. Cependant, dans la réalité, la monarchie est incapable de procéder à ce remboursement. Ce qui va empêcher toute réforme est que le trésor royal n'aura jamais le moyen de récupérer les offices.
Si le système a l'avantage de permettre à la monarchie d'avoir des ressources financières, il a l'inconvénient de constituer au sein de l'État un ensemble d'officiers sur lequel la monarchie n'a plus aucune emprise.
Quelles sont les conséquences de ce statut d'officier et de ses principales caractéristiques ?
D'un point de vue social, les offices sont prisés, recherchés sous l'Ancien régime. Beaucoup d'argent a été investi, car ils procurent un prestige social, voire permettent d'accéder à la noblesse pour les offices plus importants. Certaines familles ont alors pu s'élever dans la société. L'objectif est de finir au niveau le plus élevé, notamment dans les offices parlementaires. C'est aussi un moyen de renouvellement de la noblesse française, surtout dans le XVIIe et XVIIIe siècle, avec des sommes extrêmement importantes, car la valeur moyenne des offices est multipliée par 5.
L'inconvénient est que l'investissement dans ces offices se fait au détriment d'autres investissements. On voit que ces familles nobles ont continué durant tout l'Ancien régime à investir dans la terre, parallèlement à l'acquisition des offices. Les seules terres qui retiennent leurs intérêts sont les seigneuries, car s'y rattachent des titres. En revanche, il y a eu très peu d'investissements en France dans l'industrie, l'artisanat, la manufacture contrairement à l'Angleterre.
D'un point de vue purement fiscal, au début du XVIIe siècle, le produit des offices représente près de la moitié des finances royales et elle va créer des offices dans tous les domaines.
La seule chose où il faut atténuer est la création des Parlements. Si la création des présidios est clairement une réponse aux besoins de faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État, la multiplication des parlements répond à une autre logique même si finalement elle va aussi contribuer à l'augmentation des offices et des recettes fiscales pour la monarchie.
Au départ, il n'existe qu'un Parlement. Il a son siège à Paris. Le deuxième parlement apparaît à Toulouse en 1445, soit 200 ans après la création du Parlement de Paris. Il a été créé en raison de l'extension du royaume par le rattachement du Languedoc au domaine royal. On justifie cette création par deux raisons principales : rapprocher la justice royale auprès des justiciables ; au sud de la Loire, il y a des pays de droit écrit, des coutumes ont été rédigées, et elles sont fortement imprégnées du droit romain. Pour une bonne administration de la justice, il valait mieux que les pays de droit écrit relèvent de Toulouse et de ses juges qui ont une meilleure compréhension de ce droit.
À partir de la fin du XVe siècle, on voit se créer d'autres parlements : Bordeaux et Dijon au XVe siècle ; Aix-en-Provence, Grenoble, Rennes au XVIe siècle ; l'Alsace, le Roussillon, la Flandre au XVIIIe siècle. Le dernier apparaît à Nancy quelques années avant la Révolution française. La création des parlements est avant tout politique : ce ne sont pas des territoires conquis, mais ont toujours relevé de la souveraineté royale.
Aussi, par le serment du sacre, le monarque s'engage à respecter les usages, les coutumes et les privilèges de ses sujets. Lors des rattachements de ces territoires, les habitants sont soucieux du maintien de leurs usages, de leurs coutumes, de leurs privilèges, ils veulent garder leur particularisme. Il faut qu'ils soient jugés sur place, par des habitants du pays, en tant que meilleurs garants pour le maintien des droits, des privilèges, des coutumes, des privilèges de ces habitants. Le roi crée donc des parlements pour la garantie de ces particularismes. Ils sont français, mais sont jugés par des juges locaux, plus à même de respecter les coutumes locales.
Ces parlements sont indépendants les uns des autres, sans hiérarchie entre eux. Une théorie se développe au XVIIe siècle, la théorie des classes : les différents parlements constituent les différentes classes d'une même institution. Il y a un Parlement en France, composé de différentes classes. Dans la réalité, évidemment, il y a un prestige accru pour le Parlement de Paris, car il est le plus ancien, mais aussi c'est aussi celui qui a le ressort le plus étendu pendant 200 ans sur le territoire royal.
Les cours souveraines créées sous Louis XIV ont reçu le nom de conseils souverains, et non de parlements. Une des raisons de cela est due au rapport difficile qu'il entretient avec les Parlements qu'il a rendus responsables de la fronde pendant sa minorité, et a voulu réduire leur pouvoir et leurs prétentions dans le processus législatif. Il a réduit la faculté pour les cours souveraines d'exercer leurs droits de remontrance qui est le droit de s'opposer à l'enregistrement des ordonnances royales.
À l'origine, il devait s'agir de montrer des erreurs matérielles dans les ordonnances royales, mais ce droit est progressivement devenu un moyen d'opposition. Toutes les réformes fiscales ont d'ailleurs été refusées par les Parlements en menant une référence au sacre, et donc, comme contraires à l'usage, coutume du pays. Louis XIV limite ce droit : dans un premier temps, il va permettre à un représentant du roi lors des enregistrements des ordonnances d'y être présent, et en 1675, il maintient ce droit de remontrance, mais il ne peut être invoqué qu'après l'enregistrement des ordonnances. Ce droit n'a donc plus aucun sens. C'est aussi dans ce contexte-là que la création de nouvelles cours souveraines, qui se nomment des conseils souverains.
Il les a créés dans les territoires conquis dans le cadre de la guerre de succession d'Espagne, en Flandre, d'abord à Tournai avant d'être rétrocédés aux Autrichiens, puis à Cambrai et enfin à Douai où le Parlement siègera jusqu'à la fin de l'Ancien régime. Lille pendant la guerre a choisi le parti des Hollandais et pour punir cette infidélité, le Parlement ne sera pas établi dans la ville. Un conseil souverain a été établi à Colmar après le traité de Westphalie. Un autre a été établi à Québec en 1663 et un autre en Martinique. Ces conseils sont aussi exportés dans les colonies, sauf à la Réunion.
La particularité de ces conseils est que lorsqu'ils sont établis, on n'y instaure pas l'hérédité et la vénalité des offices et cela s'explique pour les conseils métropolitains par la tradition antérieure, c'est-à-dire que les territoires sur lesquels sont établis ces conseils sont des territoires qui relevaient de l'Espagne ou l'Empire germanique, là où ces principes ne sont pas reconnus : par respect pour les particularismes locaux, ces principes ne sont pas prévus. Cela a aussi un avantage pour le roi, car il peut y nommer qui il veut et par conséquent s'assurer qu'il y a des juges qui maîtrisent les coutumes de ces territoires et assurent pleinement la reconnaissance de la souveraineté royale dans ces territoires qui pour certains étaient au départ hostiles à un rattachement au domaine royal.
Dans les conseils d'outre-mer, on n'y instaure pas ces principes : la vénalité n'est pas introduite par manque de personnel qualifié, on a du mal à trouver des juges compétents, qualifiés, formés, prêts à partir dans des contrées lointaines. Les premiers juges nommés à Québec ne sont pas des juristes, ce sont des autorités politiques ou religieuses, par exemple. Aussi, les conseils souverains d'outre-mer ont été des lieux d'expérimentation pour la monarchie, que le poids de la tradition en métropole ne permet pas d'introduire.
Par exemple, il y a le fait d'imposer en Amérique du Nord la coutume de Paris comme seule coutume applicable. Il y a alors là-bas une unification du droit, ce qui n'était pas facile du fait de la présence de colons de métropole.
S'il interdit ces principes, c'est peut-être aussi un prélude de la volonté de supprimer l'hérédité en métropole.
Cette absence de vénalité et d'hérédité est une tentative, une préfiguration de réforme qui sera tentée dans les années 1770. Pour la Flandre, en 1690, on y introduit contre l'avis des magistrats locaux l'hérédité et la vénalité des offices puisqu'ils devaient acheter leur office, mais la pression fiscale qui pèse sur le roi le conduit à introduire ces principes en contrepartie d'accorder à ce conseil souverain le titre de Parlement, ce qui accroît le prestige de leur office.
Cette politique est une politique qui a véritablement marqué la magistrature de l'Ancien régime jusqu'à la Révolution française, mais la monarchie créera parallèlement aux offices un autre statut : le commissaire du roi. Les commissaires contrairement aux officiers ne bénéficient pas de l'inamovibilité, de la vénalité et l'hérédité, ce ne sont pas des officiers, mais bien des commissaires, car ils reçoivent une commission délégation de puissance publique circonscrite dans le temps. Il y a aussi les intendants de justice, de police et de finances : donc, par le développement de ces commissaires et de ces intendants, qui ont des compétences de police, d'ordre public, en matière de justice (pénale et administrative), ils constituent une sorte de réseau parallèle sans bénéficier du titre d'officier et du statut attaché aux offices. Ce que l'on constate aux XVIIe et XVIIIe siècles est que l'on vide les offices de leurs prérogatives et leurs pouvoirs au profit des commissaires, révocables selon le bon vouloir du roi. Les offices sont maintenus du fait de nécessités fiscales.
Les seules compétences non transférées aussi facilement sont les compétences judiciaires en matière civile, car elles nécessitent des connaissances du droit. Il s'agit d'un privilège, en tout cas d'une compétence gardée jalousement par les parlements.
Sources :
- Charles Louandre, "Les origines de la magistrature française", Revue des Deux Mondes, 3e période, tome 34, 1879, pp.432-451
- Benoit Garnot, Histoire des juges en France de l'Ancien régime à nos jours, Paris, éd. Nouveau Monde éditions, 2014
- Jean-Claude Farcy, Histoire de la justice en France. De 1789 à nos jours, Paris, éd. La Découverte, collection "Repères", 2015