Propos introductifs : la définition de la voie de fait
La voie de fait renvoie une action de l’administration sans justification juridique mais qui a pour conséquence de porter une atteinte grave soit à un droit de propriété, soit à une liberté fondamentale. Par sa décision du 17 juin 2013, le Tribunal des conflits précise cette notion en décidant qu’en cas d’atteinte portée contre la propriété par une autorité publique, la compétence est exclusivement judiciaire (n°13-03911).
Il convient surtout de noter que cette notion a pour résultat de confisquer au juge administratif la compétence pour connaitre d’un litige qu’il est d’ailleurs le seul à même de pouvoir connaitre du fait de ses connaissances. Ce constat n’est pas exagéré puisqu’il a notamment été partagé par Marie-Aimée Latournerie qui considère que le juge administratif est seul en mesure de considérer un comportement « normal » ou « anormal » de la part des « institutions publiques ». Sous ce rapport, Etienne Picard considère que le juge administratif est « familier avec tours et les détours de l’action administrative », et qu’in fine lui est finalement en mesure d’apprécier ces mécanismes qui sont « moins impénétrables » que pour le juge judiciaire.
Quid de la réparation des compétences administratives et judiciaires ?
En fait, outre la spécialisation des juges des deux ordres dans des domaines déterminés, il conviendra de noter qu’il apparait relativement compliqué de définir de manière sans équivoque si tel ou tel comportement de la part de l’administration est effectivement constitutif d’une voie de fait, et partant, entrainant la compétence exclusive du juge judiciaire pour en connaitre. Ce constat impacte donc négativement l’administration de la justice mais également la protection des libertés et des droits fondamentaux.
Au surplus, il est utile de souligner le fait que de cette notion de voie de fait peut résulter un délai plus ou moins conséquent dans les sanctions devant être prononcées suite à une atteinte aux droits et libertés individuelles. Les procédures sont, autrement dit, ralenties du fait même d’une incertitude sur la compétence de l’un ou l’autre des juges des deux ordres, résultant sur des préjudices causés aux demandeurs. De ces ralentissements et incertitudes peuvent dans la pratique découler des déclarations d’incompétence : le justiciable n’est que le témoin d’atteintes portées à ses droits et ses libertés sans que ne soit mis fin à celles-ci faute de s’être tourné vers le juge effectivement compétent dans son cas. De plus, ce retard peut également découler d’une décision de l’autorité préfectorale qui choisirait d’élever le conflit en cause. En effet, dès lors que le préfet décide d’opposer un déclinatoire de compétence à l’encontre de l’autorité judiciaire, le juge judiciaire n’est plus en mesure de connaitre de l’affaire jusqu’à ce que le Tribunal des conflits se soit prononcé sur la compétence juridictionnelle. Ici, l’attente de la décision du Tribunal des conflits augmente d’autant plus la durée de la procédure que ce dernier ne respecte que bien trop peu le délai pourtant fixé à trois mois pour se prononcer sur le conflit de compétence. Le résultat est le suivant : le justiciable perd du temps et la possible censure du comportement de l’administration s’en trouve nécessairement repoussée dans le temps. Notons que pour le cas où le déclinatoire porté par le préfet est établi, il reviendra au justiciable de saisir le juge administratif, lui faisant de nouveau perdre du temps.
Cette protection des libertés et des droits fondamentaux scindée entre le juge judiciaire et le juge administratif semble bel et bien dommageable au justiciable.
Nous pouvons en fin de compte relever l’utilisation de la voie de fait par le juge judiciaire. Avant que n’intervienne la réforme du 30 juin 2000, rare n’étaient pas les cas où le juge judiciaire intervenait en effet pour la résolution d’un contentieux ordinaire de la légalité, s’appuyant pour ce faire sur des voies de fait souvent fallacieuses. En effet, les comportements en cause ne correspondaient pas, dans la pratique, aux définitions qui avaient été apportée par la Cour de cassation mais aussi et surtout par le Tribunal des conflits. En d’autres termes, la notion de même de voie de fait était interprétée par le juge judiciaire de telle manière qu’elle ne correspondait plus aux hypothèses posées, lui permettant de fait de s’accaparer de l’ensemble des atteintes apportées aux libertés et droits des administrés.
S’il fallait s’en convaincre, relevons un cas parmi bien d’autres où le juge judiciaire a sanctionné des mesures prises par les autorités administratives dans l’exercice de leurs pouvoirs : l’expulsion d’un ressortissant étranger (cf. Tribunal des conflits, Madaci et Youbi, 20/06/1994), mais retenons surtout que, les concernant, les conflits positifs d’attribution avaient majoritairement abouti.
A l’issue de la réforme du 30 juin 2000, permettant la refonte des référés administratifs, il est utile de noter que ces cas ont certes diminué mais n’ont pas totalement disparu de la pratique judiciaire. Il a ainsi été nécessaire depuis cette date au juge répartiteur, c’est-à-dire au Tribunal des conflits, de rappeler que le juge judiciaire et le juge administratif ne sont pas compétents dans les mêmes domaines et que l’un doit comprendre et respecter ses propres limites pour ne pas nuire au travail et aux missions de l’autre.
Par voie de conséquence, nous pouvons conclure que la notion de voie de fait comporte un certain nombre d’inconvénients qu’il n’apparait pas possible de passer sous silence, d’autant que ces derniers impactent négativement la situation des justiciables.