Ce que l’on appelle communément les « droits de l’Homme » désigne un ensemble de règles ou de principes, issus de la philosophie et traduits en droit. On distingue en général les « droits fondamentaux » des « droits de l’Homme » ou « droits humains » sur le plan de la protection juridique : les droits fondamentaux sont nécessairement protégés au niveau constitutionnel ou international. Par définition, il s’agit de droits individuels protégés à ce niveau de la hiérarchie des normes. Les droits de l’homme, en revanche, désignent des droits subjectifs, quel que soit le niveau de protection, qui peut alors être législatif. De fait, cependant, la très grande majorité des droits de l’homme sont des droits fondamentaux, ce qui autorise le mélange des expressions.

On distingue classiquement trois générations de droits. La première concerne les droits politiques, la deuxième les droits économiques et sociaux et la troisième les droits relatifs à la nature.

Le caractère universel de ces droits peut s’entendre sur le plan philosophique. Il s’agirait alors d’analyser le caractère universel ou universaliste des droits de l’homme tels qu’ils résultent de la philosophie des lumières. Nul besoin de disserter longuement sur le sujet, c’est précisément l’une de leur caractéristique principale, tirée de la renaissance, que d’être universels. En droit, en revanche, ce caractère universel appelle une analyse différente. Il s’agit alors d’interroger les différents droits positifs à travers le monde, tant sur le plan interne qu’international, afin de regarder si les droits garantis sont les mêmes. Une telle étude, exhaustive, serait ici impossible. On illustrera alors de grandes tendances, sans entrer dans le détail de chaque législation nationale.

La question qui se pose est alors celle de savoir si, sur le plan juridique, il est possible de parler d’universalisme des droits de l’homme, dans un contexte d’internationalisation toujours plus important des droits fondamentaux. On étudiera la question au regard des traités régionaux, mais également internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme.

Le droit positif des droits de l’Homme révèle-t-il un universalisme des droits consacrés et garantis ?

L’observation révèle alors une absence d’universalisme des droits de l’homme (I). Toutefois, la tendance est à une unification des prescriptions juridiques relatives aux droits humains, qui tend vers une forme d’universalisme (II).

 

I. L’absence factuelle d’universalité juridique

Les droits fondamentaux sont basés sur des cultures juridiques différentes (A) ce qui explique le développement d’instruments de protection régionaux (B).

A. Des droits fondamentaux distincts basés sur des cultures juridiques différentes

Le droit positif est toujours basé sur un terreau culturel. Le droit n’est jamais hors sol, il a toujours une histoire, un passé, et le droit d’aujourd’hui est le reflet de cette histoire et des diverses influences politiques. Partant, les droits positifs présentent, selon les régions, des garanties différentes. Ainsi, la peine de mort est autorisée dans certains États, mais interdite dans d’autres, ce qui illustre le caractère hautement relatif des droits de l’Homme. De même, le droit à l’avortement est encore très inégalement développé. À l’heure actuelle, c’est également le sujet de la fin de vie et du droit à l’euthanasie ou au suicide assisté qui divisent. Quoi que l’on en pense sur le plan philosophique, il faut reconnaître une absence absolue d’universalisme sur ces questions.

En revanche, un élément semble aujourd’hui universel, c’est celui du concept même de droits de l’Homme. Ainsi, les États semblent s’accorder tous sur le fait de reconnaître aux Hommes certains droits en raison même de leur caractère d’Hommes. Le contenant est alors universel, à défaut du contenu.

 

B. Le développement des instruments régionaux sectoriels

Cette absence de caractère universel des droits de l’Homme s’illustre parfaitement avec le développement fragmentaire d’outils régionaux de protection des droits fondamentaux. Le plus abouti en termes de protection juridictionnelle est indéniablement la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, avec sa Cour européenne des droits de l’Homme. Il ne faut toutefois pas oublier l’existence de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, de la Convention américaine relative aux droits de l’Homme de San Jose, et enfin de la Charte asiatique des droits de l’Homme. D’autant plus que la Charte africaine et la Convention américaine disposent toutes deux d’une cour, qui s’inspire souvent de la CEDH. Plus récemment, on a même vu naître une Charte arabe des droits de l’Homme.

Pendant la Guerre froide, même l’ONU a pu voir s’affronter deux blocs régionaux de droits de l’Homme à travers ses deux pactes, le Pacte international relatif aux droits civiques et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC).

Chacun des pactes régionaux met l’accent sur certains éléments, et c’est avec la Charte africaine que cela est le plus flagrant : l’idée de droits collectifs, de peuples, y tient ainsi un rôle majeur. Cette idée est totalement absente de la Convention européenne, qui se refuse à reconnaître des droits spécifiques à des minorités ethniques, conformément à la philosophie universaliste qui l’anime.

 

II. La tendance à l’universalisation marginale de certains éléments

On remarque une tendance minimale à une universalisation des droits fondamentaux, à travers des principes similaires repris dans différentes conventions régionales (A) ainsi que des textes internationaux à portée générale (B).

A. Des principes similaires repris dans les différents instruments

Bien que l’absence d’universalisme soit à souligner, le juriste ne peut s’empêcher de voir des similitudes dans les droits conférés par les différents instruments régionaux.  Les principes d’égalité, notamment d’égalité entre les hommes et les femmes, se retrouvent ainsi dans tous les instruments régionaux précédemment mentionnés. Il en va de même du droit à la liberté, et notamment de la liberté de croyance et d’opinion, ou encore de l’interdiction de la torture ou des traitements inhumains.

La liste serait fastidieuse à dresser, mais en apparence au moins, les outils régionaux de protection des droits de l’Homme affichent certaines similarités. Des différences existent toutefois, à divers degrés. D’abord, tous les traités n’ont pas la même valeur contraignante dans les faits. L’application de ces principes similaires reste en outre suffisamment diffuse dans certains États pour qu’il soit difficile de parler d’autre chose de que leur travestissement.

Il n’empêche, les grands principes apparaissent, au moins pour certains, similaires, voire identiques. Il s’agit indéniablement de discours politiques, mais on trouve une tendance notable à une universalisation de certains concepts généraux des droits de l’Homme.

B. L’existence d’instruments internationaux à vocation générale

Il existe aussi de nombreux instruments internationaux dont la portée est générale ou, du moins, à vocation générale. Ainsi, le droit international public a pu créer la notion de jus cogens, ou normes impératives, qui se veulent des normes s’imposant aux États même sans qu’ils n’y aient consenti. Parmi ces normes, dont l’existence est, certes, contestée par certains États et une partie de la doctrine, on retrouve beaucoup de normes relatives aux droits de l’Homme. Se retrouve ainsi l’interdiction de la torture, de la discrimination raciale ou de l’esclavage. Si l’on admet l’existence du jus cogens, il existe alors certains droits de l’Homme au moins, qui sont universels.

De même, le PIDCP et le PIDESC, bien qu’imaginés dans un contexte de Guerre froide, sont aujourd’hui deux instruments juridiques très largement ratifiés par la quasi-totalité des États du monde, seuls certains États dictatoriaux n’ayant pas encore ratifié les deux pactes.

L’on pourrait également citer la convention de New York relative aux droits de l’enfant de 1989, signée et ratifiée, là encore, pour l’extrême majorité des États, même dictatoriaux. C’est une avancée historique, quand on pense que la Déclaration universelle des droits de l’Homme, adoptée en 1949 par l’Assemblée générale des Nations-Unies, avait pu voir l’abstention de l’Afrique du Sud en raison de sa pratique de l’Apartheid, contraire à l’égalité devant la loi sans prise en compte de l’origine, ou de l’Arabie Saoudite qui ne reconnaissait pas l’égalité entre les femmes et les hommes.

Pas d’universalisme, donc, mais une évolution vers des standards communs minimums, que l’on pourrait ainsi qualifier de socle universel des droits de l’Homme (et de la Femme !).

 

Sources :

- X. Bioy, Droits fondamentaux et libertés publiques, 6e éd., LGDJ, 2020, 1020 pages.
- ONU, Quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) présenté par Dire Tladi, 2019.