La conception traditionnelle de la hiérarchie des normes impactée par les normes internationales
Le développement effectué dans notre précédent article sur la hiérarchie des normes présentait la conception traditionnelle de celle-ci. Toutefois force est bien de constater que les normes internationales en impactent le contenu, et plus particulièrement les règles issues du droit européen. Pourquoi ? Car l’ordre juridique européen est pleinement intégré dans l’ordre juridique français. Cette conception moniste de l’ordre européen fait que notre ordre juridique national ne fait qu’un avec celui-ci.
Ce constat impacte donc considérablement la hiérarchie des normes telle qu’elle est conçue de manière traditionnelle, résultant notamment sur un certain amenuisement des règles constitutionnelles et légales internes.
- Dissertation juridique : dans quelles mesures peut-il exister une hiérarchie des normes en droit international ?
- Hiérarchie des normes et jurisprudence - Dissertation de droit
- Dissertation juridique : existe-t-il une hiérarchie des normes en droit international, administrant une autorité supérieure à certaines sources et textes législatifs ?
Les lois ordinaires impactées par la nouvelle conception de la hiérarchie des normes
Intéressons-nous tout d’abord à la supériorité des traités internationaux, plus spécifiquement le droit originaire de ces traités. Cela renvoie aux dispositions de l’article 55 de la Constitution française. Si un conflit intervient, celui-ci est résolu par la primauté du traité international impliquant l’abrogation implicite de la loi en question. Cette règle maintenant confirmée n’a pas été facile à mettre en place par la jurisprudence : en effet, au départ, il était surtout question, en cas de conflit, d’utiliser la chronologie de la norme la plus récente, résultant parfois sur la primauté d’une loi prise postérieurement à un traité international conformément au principe lex posterior derogat priori. Progressivement cependant, et le Conseil d’Etat et la Cour de cassation ont permis par deux décisions importantes de garantir que les traités sont bien hiérarchiquement supérieurs aux lois, même intervenues postérieurement (cf. respectivement CE, Ass., 20/10/1989, Nicolo ; et, Cass. ch. Mixte., 24/05/1975, Société des Cafés Jacques Vabre).
Il convient de garder en tête qu’une loi considérée comme contraire à un traité n’est pas abrogée, elle est simplement écartée du litige concerné. Toutefois, il appartiendra aux parlementaires de modifier le contenu de cette loi pour la mettre en conformité avec le traité international, pour que celle-ci soit donc compatible avec lui (cf. CE, Ass., 08/02/2007, Gardelieu). Sous ce rapport, pour le Conseil constitutionnel, le fait qu’une loi française ne soit pas compatible avec un traité international constitue une violation pour les parlementaires de leur obligation tirée de la constitution de respecter les stipulations des traités internationaux « régulièrement ratifiés ou approuvés » (cf. Cons. const., 31/07/2017, Accord économique et commercial global CETA, n°2017-749DC).
Retenons enfin que le droit dérivé est également supérieur aux lois ordinaires, c’est-à-dire que les directives et les règlements européens sont supérieurs aux lois, même si ces normes sont prises postérieurement aux celles-ci.
La Constitution en tant que norme suprême impactée par les règles internationales
Cette hypothèse de conflit entre la Constitution française et un traité international fut considérée par le pouvoir constituant de 1958 mais ce dernier s’y est intéressé indirectement. En d’autres termes, selon l’article 53 dudit texte constitutionnel, la majorité des traités prennent utilement effet lorsqu’ils ont été ratifiés ou bien approuvés par une loi. Selon son article suivant, pour le cas où le Conseil constitutionnel est saisi d’une autorisation de ratifier ou d’approuver un traité, et qu’il juge que ce dernier contient une ou plusieurs dispositions contraires au texte constitutionnel, alors l’autorisation ne pourra intervenir que si la Constitution est modifiée.
L’on peut alors considérer que c’est bien le traité international qui est supérieur à la Constitution car celle-ci doit être révisée pour que le traité intègre les règles internes. Toutefois il convient de noter que si cette ratification suppose une telle modification du texte constitutionnel et que le pouvoir constituant ne souhaite pas y procéder, alors le traité n’est pas ratifié. De même, si la Constitution est soumise au traité par sa nécessaire mise en conformité, il n’en reste pas moins que celle-ci est une soumission directement prévue par le texte constitutionnel lui-même. Parce que la Constitution en prévoit ainsi, par elle-même et dans ses dispositions, elle est donc supérieure aux traités internationaux (cf. CE, Ass., 30/10/1998, Sarran et Levacher, et, Cass. Ass. Pl., 02/06/2000, Fraisse) : cependant cette supériorité n’est pas absolue, elle est tout simplement relative. Au surplus, la supériorité susmentionnée ne vaut que pour l’ordonnancement juridique interne et nullement pour l’ordre juridique international. Il n’est alors pas possible pour un Etat d’arguer de sa propre constitution dans le but de refuser d’appliquer une convention internationale.
La Constitution française est-elle supérieure au droit de l’Union européenne pleinement intégré dans notre ordre juridique ? Cette question est très importante dans la mesure où le droit européen, distinct de l’ordre juridique international, s’applique de manière directe aux Etats membres ainsi qu’à leurs juridictions nationales (cf. CJCE, 15/07/1964, Costa c/ ENEL ; Cass. ch. Mixte., 24/05/1975, Société des Cafés Jacques Vabre, et, Cons. const., 19/11/2004, n° 2004-505 DC). Cette intégration du droit européen dans l’ordre juridique français résulte-t-elle sur une infériorité de la Constitution ? Conformément au droit européen, il est possible que le droit dérivé (directives, règlements) pris par les institutions européennes soient en contrariété avec une ou plusieurs constitutions nationales (dont la France). La nécessaire application du droit européen résulterait donc sur la reconnaissance d’une supériorité du droit européen sur la Constitution française. A cet égard, les juges français et les juges européens ont retenu des solutions distinctes.
Ainsi pour les juges européens, le droit dérivé prévaut sur les constitutions étatiques (cf. CJCE, 17/12/1970, Internationale Handelgesellschaft). Néanmoins, les juges français ne sont pas d’accord avec cette conception. Ainsi, même si le Conseil constitutionnel accepte l’intégration en droit français du droit européen, c’est pour affirmer la place hiérarchique supérieure de la Constitution dans l’ordonnancement juridique français (cf. Cons. const., 19/11/2004, Traité établissant une Constitution pour l’Europe, n° 2004-505 DC, et, 20/12/2007, Traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, n° 2007-560 DC).
Dans une autre décision, tout en considérant que l’article 88-1 du texte constitutionnel prévoit une exigence de transposition, il s’agit là d’une possibilité offerte afin de contrôler indirectement la constitutionnalité des directives européennes (cf. Cons. const. 10/06/2004, Loi pour la confiance dans l’économie numérique, n° 2004-496 DC). Finalement, celui-ci a pu juger qu’une loi de transposition d’une directive puisse être censurée pour le cas où celle-ci contrarierait soit « une règle », soit « un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » si le pouvoir constituant n’y aurait pas consenti (cf. Cons. const., 27/07/2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, n° 2006-540 DC). Le texte constitutionnel primerait par conséquent sur le droit dérivé.
Références
https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-reconnait-elle-le-droit-international
https://www.vie-publique.fr/fiches/19550-la-place-de-la-constitution-dans-la-hierarchie-des-normes-juridiques
https://www.vie-publique.fr/infographie/23806-infographie-la-hierarchie-des-normes
https://www.vie-publique.fr/eclairage/277625-hierarchie-des-normes-principe-de-faveur-derogations