La superposition et la multiplication de normes écrites fait naître naturellement des difficultés d’articulation et des conflits. La pyramide de Kelsen représente le classement hiérarchisé (I) de l’ensemble des normes constituant le système juridique d’un État de droit.
C’est un outil essentiel qui permet de régler les conflits de loi, cela même si sa conception traditionnelle est de plus en plus altérée (II).
I. La hiérarchie des normes
Dans notre système juridique, la hiérarchie des normes[1] est un principe fondamental qui organise et régit le droit français : chaque norme juridique ne peut s'insérer dans la hiérarchie juridique que si elle est conforme et respecte la norme supérieure (principe de légalité). Le droit du travail n'y déroge pas. Les relations de travail, qu'elles soient individuelles ou collectives, sont régulées par ce principe.
Dans le cadre d’un contentieux juridique, la hiérarchie des normes permet de faire prévaloir une norme d’un niveau supérieur sur une autre norme qui lui est inférieure.
A. Le bloc de constitutionnalité
Au sommet de la pyramide, le bloc de constitutionnalité regroupe les normes les plus importantes de notre état de droit telles que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946[2] et la Constitution du 4 octobre 1958, qui a créé les institutions de l’actuelle Ve République, qui se réfère aux droits de l’homme de 1789 et confirme les « droits sociaux de l’Homme » de 1946[3]. Le juge constitutionnel a également identifié les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, notion évoquée dans le préambule de la Constitution de 1946.
Plus récemment y a été intégrée la Charte de l’environnement[4] portant sur le développement durable et la responsabilité intergénérationnelle.
B. Le bloc de conventionnalité
Au-dessous du bloc de constitutionnalité se trouve le bloc de conventionnalité qui regroupe les traités internationaux (dont ceux de l’Union européenne). Ce lien hiérarchique a tendance à être remis en question par la jurisprudence internationale notamment.
C. La loi organique
Arrive ensuite la loi organique, catégorie particulière de loi dont la finalité est l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, en application d’articles de la Constitution.
D. Le bloc de légalité
La loi organique est suivie du bloc législatif constitué en majeure partie de textes juridiques émanant du pouvoir législatif.
a. La loi
« Expression de la souveraineté populaire », elle détermine les principes fondamentaux du droit. Elle résulte soit d’un projet de loi, préparé par le gouvernement soit d’une proposition de loi déposée par un membre de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Le projet ou la proposition est examiné par l’Assemblée nationale et le Sénat.
Des amendements peuvent être adoptés qui modifient le projet initial.
La loi est votée par le Parlement, puis promulguée par le président de la République et publiée au Journal officiel de la République française.
b. L’ordonnance
Le gouvernement (pouvoir exécutif) intervient dans un domaine réservé au pouvoir législatif, en vertu de pouvoirs spéciaux[5] que lui a accordés le Parlement.
E. Les Principes généraux du droit et la jurisprudence
Ensuite, les Principes généraux du droit (PGD) sont des règles non écrites de portée générale qui ne sont formulées dans aucun texte, mais que le juge considère comme s’imposant à tous.
La jurisprudence représente l’ensemble des décisions des juridictions qui constituent une source de droit ; ainsi que les principes juridiques qui s'en dégagent (droit coutumier).
F. Le décret et le règlement
Ils relèvent du seul pouvoir exécutif, sans intervention du Parlement, et sont destinés à apporter des précisions à une loi. La loi n’est parfois pas applicable tant que les décrets d’application n’ont pas été publiés.
Sur certains points, les ministres, les préfets ou les maires peuvent prendre des arrêtés[6].
G. Les actes administratifs
Enfin, il y a les circulaires et les directives qui sont des prescriptions générales, plus ou moins précises, adressées aux fonctionnaires par leur chef de service.
Au-delà se retrouvent d’autres normes juridiques (conventions collectives issues du droit négocié, contrat individuel comme le contrat de travail, les « soft laws »…) soumises en principe aux normes supérieures, même si ce principe (principe de légalité) souffre d’exceptions.
II. L’altération de la hiérarchie des normes au sens traditionnel
La conception traditionnelle de la hiérarchie des normes se trouve altérée sous des influences internationales comme nationales, et notamment dans le cadre de la négociation collective.
A. Les engagements internationaux
Par exception, dans le cadre de l’Europe, la Cour de justice de l’Union européenne[7] et la Cour européenne des droits de l’homme donnent la primauté aux engagements internationaux. Cette position a pu être partagée par le Conseil d’État même[8].
B. Les accords dérogatoires et le principe de faveur
Le droit interne, et en particulier, le droit du travail, remet également en question la hiérarchie des normes.
Le principe de faveur, posé à l’article L2251-1 du Code du travail, permet à une norme inférieure de déroger à une norme supérieure à condition qu’elle soit plus favorable aux salariés et qu’elle ne touche pas à l’ordre public (Ex. : un contrat de travail peut prévoir que la durée de la période d'essai soit plus courte que celle prévue par la loi).
En effet, le monde de l’entreprise a besoin de flexibilité et de normes adaptées, la loi a ainsi aménagé un espace pour la négociation collective et ses textes afin que les partenaires sociaux puissent améliorer les conditions et relations de travail individuelles et collectives, et non plus seulement les réguler.
Le principe de faveur est une exception à la hiérarchie des normes qui ne procède pas à une inversion, puisqu'il ne prend effet que sous réserve du respect des dispositions légales qu'il permet de supplanter.
Depuis quelques années, l’État envisage une refonte du droit du travail et des changements législatifs récents ont inversé la hiérarchie des normes. Aujourd’hui, les accords dérogatoires, qui permettent de déroger à une norme supérieure, même de manière moins favorable, se multiplient[9].
Principalement appliqué dans des secteurs jugés essentiels à la sûreté nationale ou à la continuité de la vie économique et sociale, le contexte économique mondial a conduit à favoriser la compétitivité des entreprises plutôt que la protection du salarié (loi du 20 août 2008[10] permettant aux accords d’entreprise de déroger aux accords de branche dans un sens moins favorable en ce qui concerne : le contingent d’heures supplémentaires, l’aménagement du temps de travail, les conventions de forfaits, le compte épargne-temps).
Il s'agit là d'une inversion de la hiérarchie non structurelle : la loi sélectionne seulement certains sujets et donne à l'accord d'entreprise la primauté sur l'accord de branche. Ce n'est que récemment que le législateur a entrepris d'introduire dans le droit et le Code du travail une inversion de la hiérarchie des normes d'une portée véritablement structurelle.
[1] Théorie du pur droit
[2] Consacrant des droits sociaux tels que l’égalité entre hommes et femmes
[3] Décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971
[4] Loi constitutionnelle du 1er mars 2005
[5] Loi d’habilitation et de ratification
[6] Arrêté interministériel fixant le nouveau taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance
[7] CJCE, 17décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, C/ 11-70, C/ 11-70
[8] CE, 20 octobre1989, Arrêt NICOLO
[9] Loi du 4 mai 2004 sur le dialogue social
[10] N°2008-789