De ce fait, la qualification juridique de harcèlement moral n’est pas aisée dans la pratique. Il reviendra toutefois à l’employeur de spécifier si les faits sont constitutifs d’un tel harcèlement et surtout de prendre toutes les mesures à même d’y mettre un terme. C’est ainsi qu’intervient l’enquête interne qui permet de déterminer si les faits dont se plaint un salarié sont constitutifs ou pas d’un harcèlement moral, mais qui sécurise juridiquement parlant l’employeur au regard de sa responsabilité civile et pénale. Décryptage.


Harcèlement moral : de quoi parle-t-on ?

Avant de nous intéresser à l’enquête interne, revenons brièvement sur la notion de harcèlement moral. Sa définition est contenue au sein de l’article L. 1152-1 du Code du travail. Il s’agit alors d’agissements répétés à l’encontre d’un ou d’une salariée et qui soit pour objet, soit pour effet « une dégradation de ses conditions de travail » pouvant par exemple compromettre ses droits, ou bien « altérer sa santé physique ou mentale ». En bref, ces agissements sont de natures différentes et peuvent résider dans des sanctions contre un salarié de manière répétée et injustifiée ou bien encore une surcharge de son travail.


L’enquête interne est-elle obligatoire ?

Il n’est pas prévu par la loi d’organiser obligatoirement une enquête interne lorsqu’un salarié dénonce de tels faits. Cependant, celui-ci doit prendre l’ensemble des mesures nécessaires pour « prévenir les agissements de harcèlement moral » au sens de l’article L. 1152-4 du Code du travail. 

Selon la jurisprudence, il reviendra à l’employeur de mettre en mouvement une telle enquête de manière à ce que soient établis la matérialité des faits et surtout pour qu’il puisse prendre les mesures que ces circonstances lui imposent. Dans un arrêt du 12 juin 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation a indiqué qu’une enquête interne n’est en réalité pas nécessaire pour le cas où l’employeur peut justifier qu’il a mis en place des mesures afin de garantir la sécurité et la sécurité de ses salariés (cf. Cass. soc., 12/06/2023, n° 23-13.975). Notons aussi que l’enquête ne lie en rien le juge lorsqu’il doit apprécier et qualifier les faits qu’il est amené à connaitre (cf. Cass. crim., 08/06/2010, n° 10-80.570). Si le salarié doit établir les faits qui laissent penser qu’il y a bien un cas de harcèlement moral, l’employeur, pour sa part, devra apporter la preuve que ces faits ne revêtent pas une telle nature. 

Il reviendra aussi à l’employeur de mettre en mouvement une telle enquête dès qu’il est porté à sa connaissance de tels faits. L’inaction de l’employeur pourra d’ailleurs être sanctionnée par les juridictions compétentes. L’employeur est donc compétent pour mener l’enquête, à l’image de son représentant ou bien les ressources humaines de l’entreprise. Toute la question de l’impartialité des enquêteurs doit néanmoins être garantie sous peine de sanction car en pareil cas il aura méconnu son obligation de sécurité (cf. décision du Défenseur des droits, 20/04/2020, n° 2020-095 ; et Cass. soc., 07/07/2022, n° 21-13.631).


Quid des salariés entendus et du recueil des témoignages ?

Tout d’abord, il revient à l’employeur ou à son représentant d’organiser une rencontre avec le salarié victime afin d’obtenir sa version des faits qu’il dénonce. Toutefois il arrive que celui-ci soit en arrêt de travail à l’occasion de l’enquête ou bien lorsque la dénonciation des faits a lieu : sous ce rapport, aucune règle n’a pour l’heure été unanimement retenu par les juridictions, et, il peut être considéré que le salarié peut se rendre sur son lieu de travail s’il considère en être capable, ou bien l’employeur ou son représentant peut attendre son retour dans les locaux de l’entreprise. Notons aussi qu’il n’est pas systématique ni même attendu d’entendre l’individu accusé de tels faits puisque les principes du contradictoire, et des droits de la défense ne trouvent pas à s’appliquer en pareil cas (cf. Cass. soc., 13/03/2021, n° 18-25.597 et Cass. soc., 08/01/2020, n° 18-20.151).

Dans le cadre de cette enquête, soulignons enfin qu’il n’est pas possible d’assurer l’anonymat des témoignages : ceux-ci doivent alors être identifiés et identifiables (Cass. soc., 04/07/2018, n°17-18.241). 


Comment se clôt une telle enquête ?

Cette enquête peut se clore par le prononcé d’une sanction de nature disciplinaire au sens des dispositions contenues au sein des articles L. 1152-6 et L. 1153-6 du Code du travail. Il conviendra néanmoins de noter que celle-ci doit être proportionnée : aussi l’employeur ne saurait être en mesure de notifier un simple avertissement à l’auteur des faits. Il devra respecter un délai de deux mois afin de convoquer le salarié pour convoquer ce dernier à un entretien préalable ou il lui adressera un avertissement dès qu’il sera porté à sa connaissance les faits en cause au sens des dispositions de l’article 1332-4 du Code du travail. En ce sens, il faut retenir que le salarié ne saurait valablement être sanctionné avant qu’il ne soit mis fin à l’enquête ; pour sa part, le délai de prescription commencera à courir dès que celle-ci est close (Cass. soc., 16/03/2010, n° 08-44.523).


Quid de la situation de salarié qui dénonce les faits ? 

Il faut bien garder en tête que tous les salariés qui dénoncent de tels faits ne sauraient valablement faire l’objet d’une sanction ou d’une discrimination suite à une telle dénonciation. Cependant, il conviendra de noter ici que la mauvaise foi du salarié peut résulter sur le prononcé d’une telle sanction, une dénonciation mensongère étant en effet constitutive d’une faute grave comme l’a retenu la Chambre sociale de la Cour de cassation dans sa décision rendue le 6 juin 2021 (cf. n° de pourvoi 10-28.345).