Des nouvelles propositions de l’exécutif
Fin novembre 2023, Elisabeth Borne, alors Première ministre, annonçait que la rupture conventionnelle pourrait disparaitre. Prévues par les dispositions des articles L. 1237-11 et suivants du Code du travail, celle-ci permet à la fois au salarié et à l’employeur de mettre un terme, d’un commun accord, à la relation de travail qui les lie, à savoir : un contrat de travail à durée indéterminée. Le salarié est ainsi sécurisé et elle permet, in fine, au salarié de ne pas avoir à déposer sa démission qui lui ôterait le bénéfice du chômage. Quelques semaines plus tard, l’exécutif a également annoncé son souhait de réduire considérablement le délai attribué afin de contester un licenciement : ce délai serait rabaissé à deux mois contre douze actuellement.
Ces propositions n’ont pas été sans poser de sérieux questionnements qui tiennent notamment à la protection du salarié, partie faible du contrat de travail.
La suppression de la rupture conventionnelle
A l’annonce de cette proposition, la question soulevée était celle de savoir pourquoi donc vouloir mettre un terme à ce mode de rupture de la relation contractuelle dès lors que celle-ci sied aussi bien au salarié qu’à l’employeur ? Elisabeth Borne avait avancé le constat selon lequel les salariés ont une préférence claire pour la rupture conventionnelle par rapport à la démission : ce constat est erroné en ce que la DARES se veut des plus claires dans ses comptes rendus. En effet, il en ressort que le nombre de ruptures conventionnelles est inférieur au nombre total de démissions et de licenciements… Ce constat se comprend à l’aune de la nature même de la rupture conventionnelle : celle-ci étant de nature synallagmatique, elle requiert le nécessaire accord de chacune des parties au contrat de travail. D’ailleurs, elle comprend des avantages par chacune des parties : elle sécurise aussi bien le salarié que l’employeur, ce dernier disposant d’une quasi incontestabilité de la rupture sauf dans le cas de la démonstration d’un vice de consentement qui pourrait, si la preuve en est apportée, résulter sur l’annulation de ladite rupture. En vérité, ce mode de rupture du contrat de travail constitue une véritable porte de sortie souhaitée et souhaitable pour le salarié ou l’employeur, chacun pouvant à l’issue de celle-ci vaquer à ses occupations de son côté.
Si cette suppression est officialisée, alors les salariés en souffrance au travail continueront de prolonger les arrêts de travail dont ils font l’objet jusqu’à ce que ces derniers soient en fin de compte déclarés inaptes. Cette reconnaissance aboutira sur un licenciement pour inaptitude et, dans tous les cas, les caisses publiques en seront impactées négativement.
Quid de la limitation du délai de prescription en contestation d’un licenciement ?
Poser la question de la réduction de ce délai de prescription commande de relever un premier constat, et pas des moindres : le droit des salariés d’agir en justice est considérablement atteint. Pour rappel et compte tenu du droit du travail actuel, un salarié dispose d’un délai déterminé d’un an afin d’agir en justice contre le licenciement dont il fait l’objet. Ce délai d’un an est déjà très court, alors le réduire à seulement deux petits mois impacte incontestablement le droit d’agir en justice qui leur revient. Auparavant, ce délai était déterminé à cinq ans : ce délai était alors considéré par la plupart des commentateurs comme acceptable.
Cette proposition revêt une nature particulière : un nivellement vers le bas de la protection du salarié, une sorte de régression salariale. En fait, le Gouvernement ambitionnerait de s’inspirer de certains pays, notamment nos voisins allemands, pour ne plus protéger les salariés français comme c’est le cas actuellement. La question inverse se pose : pourquoi ne pas s’inspirer de certains droits du travail tels qu’appliqués chez certains de nos voisins européens ? La réponse est incertaine par l’exécutif d’autant plus que ce nivellement vers le bas prend rarement en compte, et tel est le cas pour cette réduction de délai, du système global pris pour exemple et comme fondement pour une modification des règles assez peu protectrices mais protectrices tout de même du droit du travail français.
En fait, ce délai restreint pour agir en justice à l’encontre d’un licenciement serait également contraire aux dispositions contenues au sein de l’article 8, Section C, de la Convention de l’Organisation Internationale du Travail sur le licenciement.
Aussi, notons qu’en droit français, d’autres délais de prescription sont bien plus longs que celui dont il s’agit dans notre développement. Il s’agira, entres autres, d’évoquer le délai de prescription en matière civile relativement à l’inexécution d’un contrat : cette dernière se prescrit par cinq ans. Immédiatement, il nous faut évoquer le fait que cette réduction du délai pour agir contre un licenciement deviendrait une exception à ce principe, et que le salarié, qui est bel et bien la partie faible dans la relation de travail puisqu’il est contraint par le lien de subordination vis-à-vis de son employeur, bénéficierait d’un régime juridique défavorable au profit exclusif de l’employeur. Autrement dit, compte tenu de cette proposition, la protection de l’employeur semble bien primer pour l’exécutif…
Enfin notons que Bruno Lemaire, le Ministre de l’Economie, pour asseoir cette proposition et pour la justifier effectivement, avait déclaré qu’il s’agissait d’une simplification pour les employeurs. Néanmoins, et au vu de ce qui précède, il s’agirait plutôt d’accorder un avantage certain à leur seul bénéfice, bien plus qu’une simplification de procédure. Pour s’en convaincre davantage, rappelons que le barème Macron simplifie déjà les licenciements pour les entreprises : à quoi bon ajouter une nouvelle « simplification » si ce n’est pour restreindre incontestablement et malheureusement l’accès à la justice par les salariés évincés.
Restera à voir ce que décidera la représentante du nouveau super ministère, Catherine Vautrin, qui regroupe dorénavant le Travail, la Santé et les Solidarités.