Les faits de l'espèce et le problème de droit

La requérante, Mme Perreux, était magistrate et a contesté devant le Conseil d'État le refus du ministre de la Justice de la nommer à un poste pour lequel elle avait postulé.

Mme Perreux a estimé qu'elle était victime de discrimination dans la mesure où celle-ci appartenait à un syndicat. Comme le rapporte le Conseil d'État, la requérante a considéré qu'elle pouvait bénéficier de règles relatives à la charge de la preuve fixées à l'article 10 d'une directive (2000/78/CE datant du 27/11/2000) portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail.

Néanmoins, lorsque le ministre de la Justice a adopté ladite décision attaquée par la dame Perreux, la directive en cause n'avait pas encore été transposée en droit français et le délai pour y procéder était pour sa part expiré.

Le problème de droit ainsi posé à l'occasion de cet arrêt était celui de savoir s'il est possible pour un requérant, à l'occasion d'un recours contre une décision individuelle, de se prévaloir d'une directive non encore transposée et alors que le délai de transposition fût expiré ?


L'abandon de la décision Cohn-Bendit de 1978

Dans cette décision du 30 octobre 2009, le Conseil d'État est revenu sur une décision rendue en date du 22 décembre 1978, Ministre de l'Intérieur c/ Cohn-Bendit. Lors de cette décision, le Conseil d'État avait considéré qu'il n'est pas possible pour un justiciable d'invoquer, à l'appui d'un recours contre un acte administratif individuel, le bénéfice des dispositions d'une telle directive non transposée et dont le délai de transposition fût expiré.

Néanmoins, à l'occasion de cette décision Perreux, le Conseil d'État a précisément procédé à l'élaboration des différentes conditions pour lesquelles il est possible d'invoquer une directive devant le juge administratif.

En effet, l'invocabilité des directives communautaires devant le juge administratif a pour fondement les principes de valeur conventionnelle et constitutionnelle. Ainsi, l'obligation faite aux États membres de transposer dans leur droit interne les directives communautaires est une obligation qui résulte non seulement du Traité de Rome, mais aussi une obligation qui résulte des dispositions contenues au sein de l'article 88-1 de la Constitution.

En l'espèce, concernant les actes administratifs non réglementaires, le Conseil d'État abandonne la solution retenue à l'occasion de la jurisprudence Cohn-Bendit de 1978. Par conséquent, il est possible pour les justiciables de se prévaloir des dispositions d'une directive non transposée, à l'appui d'un recours dirigé contre de tels actes - administratifs non réglementaires.

Toutefois, cela n'est en réalité possible que lorsque le délai de transposition est expiré, et lorsque les dispositions invoquées sont à la fois précises et inconditionnelles. Le Conseil d'État a, à l'occasion de cette décision, repris une jurisprudence rendue par la Cour de justice des Communautés européennes en date du 5 avril 1979, Ratti.


En bref, que retenir de cette décision ?

Dans le cas d'espèce, l'assemblée du contentieux du Conseil d'État a décidé que les justiciables sont en mesure de se prévaloir, directement et à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions d'une directive non transposée (dispositions précises et inconditionnelles), lorsque le délai de transposition est expiré.


Sources : Conseil d'État, 30 octobre 2009, arrêt Perreux ; Conseil d'État, 22 décembre 1978, arrêt Cohn Bendit ; Légifrance


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