Fiche d'arrêt
Accroche
Le Tribunal des conflits permet de fixer la répartition des compétences entre les ordres de juridiction civils et administratifs. Dans cette décision de 2008, cette répartition est encore une fois illustrée, dans un renvoi effectué par le Conseil d'État concernant les actes juridiques de la RATP, établissement public à caractère industriel et commercial.
Faits
La RATP conclut le 30 juin 1994 un protocole d'accords avec certaines organisations syndicales, avec deux avenants en 1997 et 2000, pour la mise en oeuvre du schéma directeur de sécurité des réseaux. Par une lettre du 7 mars 2001, le directeur du département environnement et sécurité notifie aux signataires la dénonciation des accords. M. A, agent de sécurité de la RATP, demande au PDG de la RATP le retrait de la dénonciation des accords. Le silence du PDG implique un refus implicite du retrait de cette dénonciation.
Procédure
M. A saisi alors le Conseil d'État afin de demander l'annulation de la décision implicite du PDG de refuser de retirer l'annulation, et partant demande la remise en application du protocole dénoncé, en prononçant une astreinte. Loin de se prononcer au fond, le Conseil d'État saisit le Tribunal des conflits. Cette possibilité, offerte par l'article 35 du décret du 26 octobre 1849 modifié en 1960, permet en effet au Conseil d'État de surseoir à statuer et de renvoyer au Tribunal des conflits une question relevant de la répartition des compétences.
Question de droit
Le Tribunal des conflits doit alors se prononcer sur la nature administrative ou judiciaire du litige opposant M. A et la RATP. Plus spécifiquement, le Tribunal doit déterminer si le refus de retirer la dénonciation d'un accord collectif entre un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) et des syndicats relève de la compétence des juridictions judiciaires ou administratives.
Solution du litige
Pour le Tribunal des conflits, le Code du travail prévoit que les actes réglant l'organisation des conditions d'emploi et de travail dépendent des juridictions judiciaires. Le protocole litigieux est au nombre de ces accords. Or, puisque la dénonciation, et son retrait ne sont pas détachables de l'accord, le litige relève des juridictions judiciaires et le Conseil d'État n'était donc pas compétent pour en connaître.
Annonce du plan
Le protocole litigieux a ainsi pour objet l'organisation des conditions d'emploi et de travail, et relève donc de la compétence des juridictions judiciaires (I). Puisque l'acte de dénonciation, ou son retrait ne sont pas détachables de ce protocole, le juge judiciaire est également compétent pour en connaître (II).
Plan détaillé du commentaire d'arrêt
I. L'objet d'organisation des conditions d'emploi et de travail du protocole litigieux
Les actes relevant des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales des personnels des établissements publics relèvent de la compétence du juge judiciaire (A). Le protocole litigieux a cet objet et relève donc de la compétence du juge judiciaire (B).
A - Le caractère judiciaire des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales des personnels des établissements publics
« Considérant que toute contestation portant sur la légalité ou l'application et la dénonciation d'une convention collective ou d'un accord d'entreprise conclu en application de l'article L. 134-1 du Code du travail, devenu les articles L.2233-1 et L. 2233-2 du même Code, relève, sauf loi contraire, de la compétence judiciaire, hormis le cas où la contestation concerne des dispositions qui n'ont pas pour objet la détermination des conditions d'emploi, de formation professionnelle et de travail ainsi que des garanties sociales des personnels des entreprises et établissements publics visés par ces textes, mais qui régissent l'organisation du service public ».
Rappeler ici les principes de la détermination des compétences entre les ordres de juridiction. On se trouve dans la situation ou c'est la loi qui prévoit l'attribution au juge judiciaire de certains conflits, quand bien même un EPIC serait en cause. Préciser qu'il ne s'agit évidemment pas des éléments touchant à l'organisation du service public qui, dans ce cas, peuvent relever des juridictions administratives.
B - L'aménagement des conditions d'emploi et de travail objet du protocole litigieux
« [Considérant] que le protocole d'accord litigieux, conclu entre la RATP, établissement public à caractère industriel et commercial, et certaines organisations syndicales représentatives, dont l'objet était d'aménager les conditions d'emploi et de travail des agents de sécurité, constituait un accord collectif complétant les dispositions statutaires applicables au personnel de la RATP, dont la dénonciation est régie par le Code du travail ».
En l'espèce, l'accord dénoncé est au nombre de ceux que le Code du travail soumet au juge judiciaire. Souligner la subtilité que la question juridique porte non pas sur l'accord, mais sur la validité du refus du PDG de la RATP de retirer sa dénonciation de l'accord. Il n'en demeure pas moins que, jusqu'ici, c'est bel et bien le juge judiciaire qui est compétent pour connaître de ces éléments.
II. La contestation du refus de retirer une dénonciation de convention collective de la RATP, compétence du juge judiciaire
Puisque la dénonciation de la convention collective, et le retrait de celle-ci, n'est pas détachable de la convention (A), le juge judiciaire est compétent pour en connaître (B).
A - L'absence de caractère détachable de la dénonciation et du refus de son retrait
« [Considérant] que, […] l'action introduite par M. A à l'encontre de la décision implicite du président directeur général de la RATP, laquelle, comme la dénonciation dont elle a refusé le retrait, n'est pas détachable de l'accord collectif ».
Puisque les litiges relatifs à l'accord relèvent des juridictions judiciaires, il reste à déterminer si l'acte spécifique déféré au Conseil d'État par M. A n'est pas détachable de l'accord. Les juridictions administratives pourraient dans ce cas rester compétentes. Pour le Tribunal des conflits, ce n'est pas le cas. Illustrer avec des éléments relatifs au caractère détachable ou non d'un acte juridique.
B - La conclusion de la compétence de la juridiction judiciaire
« [Considérant que la requête de M. A] relève de la compétence de la juridiction judiciaire ».
Cette dernière partie est la conclusion logique du raisonnement du Tribunal des conflits. Puisque l'accord litigieux relève du juge judiciaire, et puisque sa dénonciation et la contestation de sa dénonciation n'en sont pas détachables, alors c'est bien le juge judiciaire qui est compétent en l'espèce. Si l'on monte en généralité, cela peut apparaître étrange, car il s'agit d'un acte d'agent public, mais cela reste dans la lignée du service public industriel et commercial considéré comme étant, de manière générale, une action de l'État régie par le droit privé dans ses grandes lignes, depuis même la décision fondatrice du Tribunal des conflits de 1921 Société commerciale de l'Ouest africain, dit Bac d'Eloka.
Sources :
- C. Broyelle, Contentieux administratif, 8e éd., LGDJ, 2020.
- J. Morand-Deviller (et al.), Droit administratif, 16e éd., LGDJ, 2019.