En l'espèce, M. Teffaine, ouvrier, est décédé suite à de graves brûlures causées par l'explosion d'un remorqueur à vapeur. Sa veuve et tutrice des enfants a agi en responsabilité contre l'employeur et propriétaire de la machine ayant causé le dommage.
À l'heure de l'industrialisation, alors que l'essor des machines est là, il n'en est pas de même pour la règle de droit. Du moins, c'est ce qu'il semblait au premier abord. En effet, le dommage trouvait sa source dans un vice de construction de la machine qui ne permettait ni de reconnaître la responsabilité de M. Teffaine, ni celle personnelle du propriétaire. Il était difficile de rapporter la preuve d'une faute sur l'ancien article 1382 du Code civil pour indemniser les victimes du dommage.
Pourtant la Cour d'appel a retenu la responsabilité du propriétaire du remorqueur en se fondant sur l'analogie de la responsabilité du propriétaire du bâtiment en ruines. L'analogie consistait à reconnaître sa qualité de gardien de la chose.
Le problème posé à la Cour de cassation était donc de savoir si le gardien d'une chose pouvait être responsable du dommage causé par celle-ci en l'absence d'une faute de sa part.
À cette période, les incidents se multipliaient déjà et les victimes ne pouvaient être indemnisées. La Cour a choisi de reconnaître la responsabilité du propriétaire du remorqueur, mais en lui donnant un fondement juridique plus solide qu'une simple analogie.
Cet arrêt Teffaine a donné naissance aux débuts de la responsabilité objective du fait des choses, dans la lecture novatrice de l'article 1384 alinéa 1er du Code civil (I). Mais cette première jurisprudence avait donné lieu à l'époque à de nombreuses incertitudes, auxquelles a répondu l'arrêt Jand'heur en 1930 (II).
I. Le nouveau fondement des prémices d'une nouvelle responsabilité
II. Les incertitudes créées par Teffaine, écartées par Jand'heur
I. Le nouveau fondement des prémices d'une nouvelle responsabilité
Le régime de responsabilité était insuffisant en 1896 pour répondre à l'évolution de la société. Il n'y avait que l'article 1382 sur lequel pouvaient se fonder les victimes en établissant une faute comme cause du dommage, pour obtenir réparation.
L'article 1384 tel que conçu en 1804 lors de la rédaction du Code civil n'avait pas de vocation normative. Il avait seulement de fonction introductive des articles 1385 et 1386, soit respectivement la responsabilité de l'animal dont on a la garde ou du bâtiment en ruine, qui causeraient un dommage.
Les juges de la Cour de cassation ont eu une lecture novatrice de cet article dans l'arrêt Teffaine, sous l'impulsion de la doctrine, notamment des auteurs Saleilles et Josserand. Il était question de développer une responsabilité écartée de la notion de faute, une responsabilité objective.
La formulation de l'article 1384 alinéa 1er se prêtait à une telle lecture quant à la responsabilité du dommage causé par « les choses que l'on a sous sa garde ». L'arrêt Teffaine a consacré sa valeur normative réelle pour la première fois.
Mais il n'y a pas encore de réelle responsabilité du fait des choses. La Cour se contente de changer le fondement de la motivation des juges pour écarter le pourvoi du propriétaire du remorqueur. Il ne s'agissait pas ici de reconnaître une responsabilité objective pleine et entière. Ce n'était que les prémices de la reconnaissance d'une présomption de responsabilité de plein droit.
La seule précision des juges était que le gardien de la chose ne pouvait s'exonérer de sa responsabilité en prouvant la faute d'un tiers (le constructeur) ou le caractère inconnu du vice de la machine.
L'arrêt Teffaine a pu alors apparaître comme l'ouverture à de nouveaux développements dans le domaine de la responsabilité. Cependant, il laissait place à de nombreuses incertitudes et questions.
II. Les incertitudes créées par Teffaine, écartées par Jand'heur
Les accidents de travail, comme l'espèce de l'arrêt Teffaine, étaient réguliers, ce qui a poussé le législateur à prendre une loi entrée en vigueur le 8 avril 1898. Il a créé une responsabilité objective et sans faute de l'employeur dans le cas où un dommage était causé à un ouvrier du fait d'une machine lors de son travail. Il ne pouvait pas être exonéré en prouvant son absence de faute. Cette nouvelle responsabilité reposait désormais sur le droit du travail, avec un régime spécial.
De ce fait, l'arrêt Teffaine n'aurait plus eu à s'appliquer avec un retour à l'article 1382 du Code civil et sa responsabilité pour faute. Cependant, la brèche ouverte par les juges du fond quant à la valeur normative de l'article 1384 n'a pas été refermée. Les juges en ont profité pour développer la responsabilité dépourvue de faute du gardien de la chose qui aurait créé un dommage.
Les incertitudes et les questions se sont manifestées à ce niveau. Quelles étaient les limites de cette responsabilité ? Quelles choses étaient concernées ? La lettre de l'article 1384 était trop générale pour les juges qui ont cherché à limiter la portée de son application entre 1986 et 1930. De nombreuses distinctions ont été faites comme la responsabilité du fait des choses qui devait être dangereuse ou non actionnée par la main de l'homme.
C'est l'arrêt Jand'heur qui a mis un terme à ces incertitudes. Rendu le 13 février 1930, il a pleinement consacré la responsabilité du fait des choses. Il n'est pas nécessaire qu'il soit reconnu une faute, seulement que la personne responsable soit gardienne de la chose et que celle-ci ait causé un dommage à la victime.
La Cour exprime clairement que cela concerne toute chose quand elle exprime qu'il n'y a pas lieu de réaliser de distinction quant à la chose. Qu'elle soit ou non dangereuse ou actionnée par la main de l'homme ou non, il suffit qu'elle ait causé un dommage et ait été sous la garde de quelqu'un.
La présomption a été reconnue. Elle n'était pas irréfragable, mais dans le but d'indemniser les victimes, les causes exonératoires étaient limitées. En effet, l'arrêt Jand'heur a suivi l'arrêt Teffaine en ce que le propriétaire ou gardien de la chose ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant une cause inconnue ou l'absence d'une faute de sa part. Il ne peut qu'apporter la preuve d'un cas fortuit, de la force majeure ou d'une cause étrangère, aucun ne devant lui être imputable.
L'arrêt Teffaine a été l'origine de la valeur normative de l'article 1384 du Code civil, aujourd'hui l'article 1242. Il n'était que le prélude de la reconnaissance d'une présomption de responsabilité du fait des choses, dépourvue de faute. C'est l'arrêt Jand'heur qui a pleinement consacré cette responsabilité objective en 1930.
Sources : Code civil, Légifrance, Loi du 9 avril 1898 sur les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail (Bulletin de l'Inspection du travail, n 2, 1898)
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