Le Conseil constitutionnel avalisant, par-là même, la « force de frappe » juridique que constitue les droits et libertés fondamentaux en droit international, communautaire (puis européen) et, désormais, interne français, droits et libertés fondamentaux pouvant être définis comme des droits opposables au juge et ayant une valeur supralégislative. Dès lors, dans quelle mesure les libertés fondamentales sont-elles effectivement passées de droits purement déclaratoires à du droit pratique et vivant ? Si les sources des droits et libertés fondamentaux doivent être au préalable présentées (I), c’est pour mieux confirmer leur effectivité contemporaine qui passe par une consécration réelle : leur opposabilité aux diverses juridictions (II).
I. Les sources des droits et libertés fondamentaux
« La République n’entendait pas tolérer la moindre remontrance de la part de ses juges », écrit le professeur Jean-Pierre Machelon à propos de l’attitude de la Troisième République face à l’institution judiciaire. De fait, les républicains français ont longtemps tenu la bride haute aux juges, dans la mesure où ils s’étaient eux-mêmes rendus coupables, sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, d’entrave au bon fonctionnement de l’Exécutif par la censure des actes les plus libéraux du roi - et par la suite, de la précipitation des événements situant la fin de la période d’Ancien Régime. Si cette méfiance de la République a progressivement été résorbée au profit d’une assimilation des droits et libertés fondamentaux au corpus juridique légitime du juge et du justiciable (A), il n’en demeure pas moins que c’est par la consécration internationale de ces droits et libertés fondamentaux que leur rayonnement a également contribué à leur pénétration dans le droit interne (B).
A. Les sources internes
C’est traditionnellement avec le bloc de constitutionnalité, créé ou consacré par la décision « Liberté d’association » du Conseil constitutionnel (1971) qu’est admise la pénétration de la « fondamentalité » au coeur même du droit interne français. Les droits et libertés fondamentales impliquent en effet un raccrochement au bloc de constitutionnalité, qui a valeur supralégislative. Révolution, donc, dans le monde normatif du droit français où l’État républicain, légicentré, avait consacré au cours de son histoire non les libertés fondamentales, mais les « libertés publiques ». La doctrine a pu admettre deux branches au bloc de constitutionnalité, expression notamment critiquée par Agnès Roblot-Troizier qui y voit une fixité fictive, une permanence qui ne permettrait pas la souplesse nécessaire au développement des droits et libertés fondamentaux. La première branche, celle des « sources constitutionnelles » à proprement dit, comprennent tous les éléments traditionnels du bloc de constitutionnalité : Constitution de la Cinquième République (1958), Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789), Préambule de la Constitution de 1946, Charte de l’environnement (2004). Mais une seconde branche est également à l’oeuvre : les « sources de constitutionnalité », comprenant des Principes à valeur constitutionnelle (PVC), des Objectifs à valeur constitutionnelle (OVC), les Principes particulièrement nécessaires à notre temps (PPNNT), les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR), la jurisprudence du Conseil constitutionnel (et du Conseil d’État et de la Cour de cassation), ou encore les sources de constitutionnalité externes, notamment conventionnelles.
B. Les sources conventionnelles
En effet, les droits et libertés fondamentales tirent également leur source de textes conventionnels à deux échelles au moins : les textes internationaux à proprement dit et les textes communautaires, désormais européens. Les textes internationaux recoupent notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), toutefois déclarative et sans réelle portée normative, ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966). On retrouve, à échelle européenne, une plus grande prégnance des textes par rapport aux juridictions internes françaises, qui consacrent bien davantage les sources communautaires et européennes qu’internationales, même si la Constitution reconnaît, par son article 55, la supériorité des traités sur les lois nationales antérieures et postérieures. Ainsi, la Convention européenne des droits de l’homme (1953) du Conseil de l’Europe et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (2000) de l’Union européenne constituent-elles, avec les Protocoles additionnels de la Convention européenne des droits de l’homme, les grandes références des droits et libertés fondamentaux.
II. L’opposabilité des droits et libertés fondamentaux
Pour autant, c’est par leur opposabilité que le droit et les libertés fondamentaux sont réellement effectifs et sortent de l’aspect philosophique ou moral pour constituer du droit. « Protéger l’homme et protéger les droits de tous les hommes, en tout lieu de la Terre », déclarait René Cassin, rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Et pour rendre cette protection effective, l’opposabilité, non seulement devant des juridictions internes (A), mais également externes et internationales (B) est désormais rendue possible par le droit.
A. L’opposabilité devant les juridictions internes
En droit interne, les droits et libertés fondamentaux se raccrochent principalement aux juridictions suprêmes, et, surtout, au Conseil constitutionnel. Le contrôle de constitutionnalité a priori (compris dans la Constitution de 1958, élargi en 1974 par révision constitutionnelle à la minorité parlementaire) et a posteriori (par l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité via une révision constitutionnelle de 2008) a ainsi permis de rendre compte de l’opposabilité de ces droits au juge constitutionnel lorsqu’était porté atteinte aux droits et libertés fondamentaux du justiciable, partie à l’instance, ou que, du moins, l’estimait-il. Le juge judiciaire, notamment par la procédure de la voie de fait, et le juge administratif (recours pour excès de pouvoir, recours de plein contentieux, référé-liberté, référé-suspension, référé-conservatoire, référé-provision…) jouent ici un rôle essentiel.
B. L’opposabilité devant les juridictions externes
Lorsque les voies de recours internes et jugées efficaces en l’espèce sont épuisées, le justiciable peut opter pour des voies de recours externes, toujours à deux niveaux : européen et international. Le juge européen, notamment par l’intermédiaire de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), mais, surtout, de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est apte à interpréter l’affaire et la conformité des faits en fonction des textes fondamentaux, soit la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne pour la CJUE et la Convention européenne des droits de l’homme pour la CEDH. Quant au juge international, sans doute plus confidentiel pour le quidam, il opère à travers deux organes principaux de l’Organisation des Nations unies : une opposabilité devant le juge du Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CODESC) et devant le Comité des droits de l’homme (CODH) et devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye pour les atteintes relevant notamment de génocides et crimes contre l’humanité.
- Henri Oberdoff, « Les libertés fondamentales : théorie générale », Lextenso, 2016.
- Jean-Pierre Machelon, Les Restrictions aux libertés publiques sous la IIIe République. 1879-1914, Thèse de droit, 1973, p. 344.
- Frédéric Rouvillois, Libertés fondamentales, Paris, Flammarion, 2019.