Dans le cas d'espèce ici jugé et rapporté par la Cour de cassation en sa chambre civile, le 22 juin 1955, il est question d'un mariage contracté en France par l'époux, de nationalité grecque et son épouse de nationalité française le 12 septembre 1931.
Il s'avère, quelques années plus tard, que l'épouse demande le divorce, mais le mari demande pour sa part la nullité du mariage. En Grèce, seul le mariage religieux était reconnu et c'est précisément pourquoi le mari formera un pourvoi après l'arrêt rendu par la cour d'appel. Celle-ci rejeta en effet ses conclusions selon lesquelles le mariage qui le liait à sa femme était inexistant. Ainsi, l'Église orthodoxe impose "comme condition indispensable à la constitution légale du mariage, la célébration du mariage par un prêtre orthodoxe". Ici, cette exigence de fond n'a pas été respectée.
Il appartient alors à la Cour de cassation de trancher la question de la qualification, et donc, de savoir s'il y a eu violation des règles de fond ou des règles de forme. Pour elle, la forme qui est impérative à respecter est celle du lieu où le mariage est célébré. En ce qui concerne les règles de fond, celles-ci dépendent des lois nationales respectives des époux. Parce que l'époux est de nationalité grecque, et qu'il est demandeur au pourvoi, la loi de son pays s'applique. Toutefois, la Cour de cassation va décider que le caractère religieux du mariage n'est pas une condition de fond, mais une condition de forme, et ce, conformément aux conceptions du droit français. La Cour décide alors de rejeter le pourvoi ainsi formé.
Il convient alors de se demander dans quelle mesure il possible de demander la nullité d'un mariage civil célébré en violation d'une exigence religieuse.
Il revient aux juges de qualifier et, de cette qualification sera consacré un nouveau principe dans l'ordre juridique interne français.
- La qualification : des questions à résoudre
- La question de l'objet de la qualification choisie
- La question de la qualification dite "lege fori"
- La consécration expresse d'un principe inédit
- Une opposition de qualifications effectuée
- Une décision de rejet justifiée et jamais remise en cause
La qualification : des questions à résoudre
Pour la Cour de cassation, les juges doivent se poser des questions quant à l'objet de la qualification avant de coordonner la place respective des systèmes interne et externe.
La Chambre civile de la Cour de cassation énonce que le caractère religieux ou laïc du mariage est une question de forme.
Toutefois, avant de statuer ainsi, les juges de la Haute assemblée ont dû se questionner. Qu'est-ce qui sera qualifié ? Du droit ou du fait ? C'est une bien épineuse question à laquelle les avis des auteurs diffèrent : tantôt du droit, tantôt du fait. Aujourd'hui, les choses ont quelque peu évolué. Le juge, lorsqu'il qualifie, va avoir recours à un processus intellectuel et c'est précisément ce processus qui doit être analysé. Il va recourir au droit, mais pas seulement, car il va aussi recourir au fait. Il a donc recours à une opération complexe et c'est après celle-ci que le juge sera en mesure de qualifier. Dans le cas d'espèce ici rapporté, il s'agit d'un problème relatif au régime matrimonial des époux, leur divorce.
La question qui découle alors de celle de l'objet de la qualification est celle de la place du droit étranger par rapport à celle du droit interne, autrement appelé droit du for. Quelle place lui accorder ?
La place à lui octroyer est utopiste, à tout le moins, idéaliste. Cette articulation entre les deux droits, interne et étranger, est difficile à effectuer. Finalement, chaque ordre juridique voudra primer sur l'autre, et par conséquent, l'existence même d'un véritable droit international privé, ou du moins sa mise en place, est fortement contrariée.
La Chambre civile de la Cour de cassation décide que les conceptions du droit français répondront à "la question de savoir si un élément de la célébration du mariage appartient à la catégorie des règles de forme ou à [la catégorie] des règles de fond".
Qualifier lege fori, pour le juge à qui revient la tâche de qualifier, c'est appliquer la loi de son tribunal, et ce, pour résoudre le litige qui se trouve devant lui. En France, les choses sont simples : le juge français retient la compétence de la loi française. Autrement dit, il applique la loi du for.
Dans le cas d'espèce, le litige oppose deux nationalités : celle de l'époux, grecque, et celle de sa femme, française. Le litige dont il est question, et donc, la demande de nullité du mariage qui les liait, a un caractère international. Le juge doit donc choisir le système juridique sur lequel il va fonder sa décision. Et alors, le juge français, la Cour de cassation, en choisissant de qualifier les faits selon la conception qui est la sienne de l'ordre juridique, va qualifier "lege fori" ce qui a pour conséquence que le litige n'est plus international, mais il devient un litige français.
Certes, il revient aux juges de la Haute assemblée de qualifier. Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples et la Cour, en faisant le choix qu'elle a fait, a consacré pour la première fois et, de façon expresse, un nouveau principe en droit français.
La consécration expresse d'un principe inédit
La Cour de cassation opère une opposition de qualifications, et décide de n'en choisir qu'une. Le principe alors expressément consacré par la Cour ne sera pas remis en cause par les juridictions inférieures.
La Cour de cassation, dans le cas d'espèce ici jugé et rapporté, a fait le choix d'une qualification de principe en consacrant la qualification "lege fori". Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples dans la mesure où les juges de la Haute juridiction ont dû choisir entre la qualification lege fori et la qualification lege causae. Pourquoi choisir la première plutôt que la seconde ? Déjà, il faut savoir que dans le cas de la qualification lege causae, il y aura d'abord application de la loi française.
Autrement dit, n'y aurait-il pas alors déjà une qualification ? Oui, par une règle de conflit française... C'est donc une logique bancale, car avant, éventuellement, d'appliquer la qualification de la loi étrangère, cette qualification suppose qu'il faut procéder à la qualification de la loi française...
N'y aurait-il pas aujourd'hui un regain de cette qualification ? Il semblerait que cette question puisse être répondue par l'affirmative. Surtout, la véritable question est "pourquoi" ? Parce que la qualification lege causae présente cet avantage par rapport à l'autre qualification qui veut qu'il y ait une certaine ouverture des conceptions nationales ou internes sur des conceptions étrangères ou externes.
Néanmoins, la Cour motive cette décision en ce que le mariage passé entre les époux était valable en vertu de la règle "locus regit actum".
La Cour de cassation, dans cet arrêt, a justifié sa décision de rejet en ce que, parce qu'il s'agit d'une question de forme, et qu'elle fait par-là prévaloir le principe de laïcité auquel la France est fortement attachée, la loi française est applicable "conformément à la règle locus regit actum".
En effet, cet adage et règle du droit international signifie que la forme d'un acte juridique est régie par la loi du lieu où l'acte est passé. Dans le cas d'espèce, l'acte juridique, c'est-à-dire le mariage civil contracté par les époux, est accompli en France.
Donc, par application de cette règle et après affirmation expressément faite par la Cour de cassation qui veut que "le caractère religieux ou laïc du mariage est une question de forme", sa forme est bel et bien régie par la loi française.
La Cour de cassation a affirmé expressément la consécration d'un principe qui régit les conflits de lois depuis lors : la loi française prime sur la loi grecque dans le cas d'espèce, et sur les autres lois en général. Par la suite, le 12 janvier 1966, le tribunal de grande instance de la Seine confirme cette méthode de qualification.
Pour clore l'exposé de cet arrêt, il est important de rappeler que seuls les mariages civils sont valables en France, même si une loi étrangère exige, pour sa validité, une célébration religieuse. Donc, il existe cette sacralisation du principe de laïcité sur celle du mariage, deux conceptions opposant respectivement, au moment où cet arrêt fut rendu, la France et la Grèce. La Cour de cassation, pour la première fois et de façon expresse, a consacré la qualification lege fori. Depuis cet arrêt de principe, les tribunaux français ne cesseront de recourir à cette qualification pour les litiges de ce type dont ils auront à trancher.
Sources : Assas, Lexisnexis, Laurie Mallejac, "Droit international privé", Marie-Christine Meyzeaud-Garaud (Editions Bréal, pages 71-72)
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