Selon Michel Rivally, le jus cogens n'est pas nécessairement une notion propre au droit international public. Cette notion peut en effet se retrouver en droit interne étatique, mais lorsqu'il s'agit d'étudier cette question, il s'agira le plus souvent de s'y intéresser sous le prisme du droit international public.

Le jus cogens est une expression latine qui signifie le plus souvent « norme impérative » ; norme impérative à laquelle il est impossible de déroger sous peine de quoi celui qui y contrevient, les États la plupart du temps, engage sa responsabilité internationale.

Plus précisément encore, le jus cogens est relatif à des principes de droits, des normes supposées universelles et supérieures auxquelles il est impossible de déroger.

Longtemps restée sans définition légale universelle, aujourd'hui et ce, depuis la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités, l'article 53 prévoit précisément qu'« [aux] fins de la présente Convention, une norme impérative de droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. »

La France n'est pas partie à la Convention de Vienne, et ce, en ce qu'elle a émis des réserves précisément sur la notion de jus cogens et sur la détermination des normes impératives.

Relativement peu entendue ou lue dans les médias, cette notion de droit international général n'en est pas moins importante et pourtant, elle continue d'être appliquée et usitée.

C'est ainsi qu'un article à ce sujet est apparu le 2 mai 2017 dans le journal indien The Wire concernant le refus opposé par l'Inde de reconnaitre le pogrom intervenu en 1984 (aussi appelé 1984 anti-Sikh riots) en tant que génocide. Il est d'ailleurs précisé que le droit international considère l'interdiction de génocide comme « une norme de jus cogens », norme d'une importance fondamentale de laquelle aucun État ne peut s'écarter.

Il apparait alors opportun au vu de ce qui précède de se demander : en quoi consiste plus précisément le jus cogens ?

I. Une définition universellement acceptée et reconnue

La Convention de Vienne distingue les normes internationales et opère donc une hiérarchisation de celles-ci (A). En outre, elle crée des critères intrinsèques au jus cogens qui distingue la notion d'autres concepts de droit international (B).

A. La hiérarchisation des normes internationales opérée par la Convention

À travers la lecture des articles 53 et 64 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, aussi connue par les étudiants juristes comme « le traité des traités », il est clairement identifiable qu'une hiérarchisation des normes internationales est opérée par elle. En effet, les rédacteurs et les signataires de la Convention de Vienne ont introduit en droit international la distinction entre les normes internationales impératives et « indérogeables » - les normes de jus cogens dont il est question dans ce développement, et les autres normes internationales obligatoires.

Ces autres normes internationales qui sont elles aussi obligatoires, mais non impératives concernent principalement les traités. C'est ainsi que l'on apprend à la lecture du second article que dans l'hypothèse où une nouvelle norme impérative intervient, eh bien, tout traité qui existerait et qui serait en conflit avec elle deviendrait nul et prendrait par conséquent fin.

Il est donc clairement visible ici qu'il existe des normes impératives et d'autres normes tout aussi obligatoires, mais qui leur sont inférieures puisque leur existence peut être remise en cause et à néant par la création d'une autre norme avec laquelle elles seraient en conflit.

B. Des caractéristiques intrinsèques

Les normes impératives de jus cogens sont caractérisées par des éléments tous retrouvés au sein des articles 53 et 64 de la Convention de Vienne. Ces éléments sont au nombre de quatre.

Ainsi, les normes de jus cogens étant des règles impératives, le respect de ces règles est plus important encore que ceux des autres normes dites obligatoires. La violation d'une norme impérative à laquelle un État ne peut déroger entrainera nécessairement la nullité d'un acte conclu en méconnaissance de celle-ci. De plus, ces normes impératives ont comme leur définition l'indique une portée universelle et aucunement une portée régionale, ces normes étant acceptées par l'ensemble de la communauté internationale. N'existerait-il pas pourtant des normes impératives de portée régionale ?

Par ailleurs, ces normes de jus cogens sont des normes évolutives qui vont impacter tous les traités internationaux conclus ou qui sont sur le point d'être conclus. Ils impactent l'ensemble de ces traités et deviennent certes des conditions de validité, mais aussi de terminaison desdits traités. Finalement, à la lecture de l'article 53 de ladite convention, il est clair que le processus d'acceptation et de reconnaissance des règles est proche de celui même de coutume internationale. Également, le jus cogens constitue une émanation de la communauté des Etats dans son ensemble et non pas une simple manifestation du droit international général.

Sous une apparence théorique, la notion même de norme impérative de jus cogens est effectivement employée aujourd'hui en droit international général, et ce, plus précisément dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice.

II. Une notion effectivement employée en droit international public

Il existe des mécanismes de sanction eu égard à la méconnaissance des normes impératives de jus cogens (A). D'ailleurs, il existe depuis peu des cas dans lesquels la Cour internationale de justice utilise le terme précis de « jus cogens » (B).

A. L'application des normes impératives de jus cogens

Ces règles ou normes impératives de jus cogens, renvoient véritablement à cette notion « d'ordre public international » et sont des normes impératives de droit qui renvoient plus particulièrement à la qualité de normes particulières qui sont parfois coutumières, parfois conventionnelles.

Comment s'appliquent par conséquent ces mécanismes ? Plus précisément, comment s'opère la sanction liée à la méconnaissance de ces normes impératives de droit international public ?

Lorsqu'il s'agit d'étudier les mécanismes d'application concernant la violation de ces règles, il faut se reporter à la lettre de l'article 66 de la Convention de Vienne de 1969 qui traite des procédures de règlement judiciaire, d'arbitrage et de conciliation.

Ainsi, concernant les traités qui ont été passés entre États, le conflit sera soumis à la décision de la Cour internationale de justice, conflit soumis à celle-ci qui a le monopole en ce qui concerne ce type de conflits unilatéralement par un des États parties, à moins que par un commun accord, les États parties décident de soumettre ce conflit à l'arbitrage. Il reviendra à la Cour internationale de justice de sanctionner le manquement à une telle norme impérative dans l'hypothèse d'un différend opposant deux ou plusieurs États à un traité.

B. Des cas de normes de jus cogens effectivement rendus

Les normes impératives de jus cogens ou plus simplement le jus cogens est une notion controversée en droit international public. Il s'agit certes de règles impératives, mais ne constitue en rien une catégorie de sources du droit international.

Jusqu'à la décision rendue par la Cour de justice internationale le 3 février 2006, Affaire des activités armées sur le territoire du Congo, RDC c/ Rwanda, le terme de « jus cogens » n'était pas explicitement ni officiellement employé.

Ce fut donc pour la première fois que la notion fut utilisée par les juges de la Cour internationale de justice concernant la violation d'une norme impérative de jus cogens, norme impérative de droit international public à laquelle il est impossible de déroger concernant par exemple et dans le cas d'espèce, « la caractérisation de l'interdiction du génocide, comme norme impérative de droit international général (jus cogens) », notion employée à de nombreuses reprises pour caractériser effectivement la violation de cette norme.

Sources : Persée, Convention de Vienne sur le droit des traités, The wire, Notions DIP, Cour internationale de justice


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