Le contrôle de constitutionnalité des lois, qu'il soit a priori ou a posteriori, concentré ou déconcentré, désigne le fait de vérifier la conformité d'une loi, c'est-à-dire d'un texte adopté par le Parlement et posant une norme générale et abstraite, avec la Constitution. Il s'agit d'un contrôle de norme à norme, qui peut prendre en compte la manière dont est appliquée la loi. Lorsque ce contrôle est concentré entre les mains d'une seule juridiction, comme en France, il aboutit généralement à l'abrogation de la loi inconstitutionnelle. En revanche, dans un cadre déconcentré comme aux États-Unis, la loi est généralement écartée, mais reste, au sens strict valide. Bien que l'on ne s'intéressera ici qu'au contrôle de constitutionnalité des lois, la problématique posée par le contrôle de constitutionnalité des règlements n'est pas éloignée.

Si le contrôle de constitutionnalité des lois n'est pas par essence l'apanage des démocraties, il faut reconnaître que c'est dans le cadre des démocraties libérales qu'il s'est développé. Par démocratie, on entendra tout régime politique dans lequel les normes générales et abstraites sont adoptées par les destinataires de ces normes ou des représentants directement désignés par eux.

La question du rapport entre contrôle de constitutionnalité des lois et démocratie est paradoxale. En effet, on pourrait à première vue penser qu'un organe plus ou moins juridictionnel qui écarte la loi voulue démocratiquement par le peuple ou ses représentants s'oppose à la démocratie. La réalité est plus subtile. La juridiction constitutionnelle ne décide pas pour elle en opportunité, mais en fonction du texte constitutionnel, lui-même démocratiquement adopté. De même, elle ne s'oppose pas par principe à l'adoption d'une disposition, mais elle « aiguille » (l'expression est de L. Favoreu) le législateur ou le constituant vers la procédure correcte d'adoption de la mesure, même en cas de clause d'éternité.

On peut alors voir que la tension entre démocratie et contrôle de constitutionnalité des lois se résout dans le sens du caractère démocratique de ce contrôle. Plus encore, il sert la démocratie en faisant respecter ce qui a déjà été démocratiquement décidé.

Le contrôle de constitutionnalité comme garantie des règles démocratiquement adoptées (I) et il agit comme révélateur de la procédure démocratique à adopter pour changer les règles du jeu politique (II).

 

I. Le contrôle de constitutionnalité comme garantie des règles démocratiquement adoptées

Le contrôle de constitutionnalité présente une garantie du respect de la procédure législative démocratique (A) et une garantie du respect des droits constitutionnels démocratiquement adoptés (B).

 

A - Une garantie du respect de la procédure législative démocratique

Le contrôle de constitutionnalité permet en premier lieu de contrôler la procédure législative et son respect. En effet, la Constitution prévoit nécessairement une série de règles, éventuellement complétées par les règlements intérieurs des assemblées, qui posent le fonctionnement de la procédure que doit suivre un texte pour être discuté, amandé et adopté. Toutefois, ces règles peuvent ne pas être respectées. Le contrôle de constitutionnalité des lois permet alors de garantir que la procédure législative a bien été respectée, notamment concernant les délais ou le droit d'amendement. Il permet aussi, cas très hypothétique, mais intéressant, de déclarer contraire à la constitution une loi qui n'aurait pas obtenu la majorité des suffrages exprimés, mais aurait néanmoins été considérée comme adoptée.

 

B - Une garantie du respect des droits constitutionnels démocratiquement adoptés

Outre les aspects procéduraux, le contrôle de constitutionnalité permet la garantie des droits constitutionnels, droits établis démocratiquement. La démocratie est alors favorisée puisque l'organe de contrôle précise au législateur qu'il ne pouvait adopter le texte en question sans réviser la Constitution.

De plus, le texte constitutionnel est dans la majorité des cas démocratiquement adopté, et selon une procédure particulière, plus spécifique et plus difficile à accomplir. Partant, le contrôle de constitutionnalité permet de garantir le respect de règles spécifiques, démocratiquement adoptées comme devant primer sur d'autres règles de droit.

 

II. Le contrôle de constitutionnalité comme révélateur de la procédure démocratique à adopter pour changer les règles du jeu politique

L'inconstitutionnalité agit comme simple révélateur d'une erreur de procédure (A), permettant le cas échéant un « lit de justice » afin de faire adopter la mesure souhaitée (B).

 

A - L'inconstitutionnalité comme simple erreur de procédure

Prima facie, l'on pourrait répondre que le juge constitutionnel, nonobstant ce qui vient d'être dit, s'oppose à la représentation nationale en déclarant une loi contraire à la Constitution. Rien n'est moins vrai. En effet, le juge ne fait que rappeler les règles du jeu politico-juridique. Il ne dit pas que l'adoption de telle ou telle règle n'est pas possible, il se contente de dire qu'elle n'est pas possible avec la procédure suivie.

Si la procédure législative faisait défaut, alors il faut adopter la règle en respectant les procédures de discussion ou d'amendement.

Si c'est matériellement que le problème se posait, cela signifie simplement que ce n'est pas le législateur, mais le constituant qui devait adopter la règle. C'est d'ailleurs ce qui justifie le refus de contrôler les lois référendaires du Conseil constitutionnel. Considérant que le peuple est souverain et qu'il est aussi bien législateur que constituant, il ne contrôle pas la constitutionnalité des référendums, depuis sa décision n° 62-20 DC de 1962.

 

B - Le « lit de justice » constitutionnel et l'argument contre-majoritaire

En cas d'inconstitutionnalité de fond, la seule solution est alors le « lit de justice », c'est-à-dire la révision de la Constitution. Celle-ci est parfaitement possible, et le Conseil constitutionnel refuse de contrôler les lois de révision. Même en cas de contrôle, et en cas de clause d'éternité, c'est-à-dire de limites matérielles aux révisions, cela ne signifie pas que la révision est impossible. Cela signifie simplement qu'une révision entraînera une rupture avec la Constitution en vigueur, et ne pourra pas s'en revendiquer.

Cela permet aussi d'écarter l'argument contre-majoritaire comme une atteinte à la démocratie. Cet argument consiste, en substance, à arguer que la volonté d'une minorité de juges, non élus de surcroît, ne peut s'opposer à la volonté du peuple ou de ses représentants sans porter atteinte à la démocratie. Mais c'est vite oublier que la démocratie n'est pas instantanée, mais sur la durée. Lorsque c'est la démocratie qui a donné la démocratie et le contrôle de constitutionnalité, il est parfaitement démocratique de mettre en oeuvre ce contrôle. Les volontés illibérales et restreignant les droits fondamentaux et démocratiques n'en sont alors que mieux mises en lumière.

 

Sources :

L. Favoreu (dir.), Droit constitutionnel, 22e éd., Dalloz, 2020.
I. Fassassi, La légitimité du contrôle juridictionnel de la constitutionnalité des lois aux États-Unis

Étude critique de l'argument contre-majoritaire, Dalloz, 2017.
M. Troper, « Histoire constitutionnelle et théorie constitutionnelle », CCC, 2010, n° 28.