En l'espèce, plusieurs entreprises ont été sollicitées concernant la restauration du patrimoine campanaire de la cathédrale de Rouen. Ces entreprises sont séparées en deux pour ce marché : ceux destinés à s'occuper des cloches et ceux s'occupant de prestations d'installations de la mécanique et de l'électricité.

La demande relative à ce marché de restauration a été faite par l'État en raison du caractère historique et culturel de l'ouvrage. Cet appel a été fait en avril 2000 par la direction régionale des affaires culturelles sur un marché qui a été divisé en trois lots. Les entreprises pouvaient se présenter seules ou en groupement sur un ou plusieurs lots. Plusieurs offres ont été rejetées par l'administration en raison de leurs montants largement supérieurs aux estimations faites. Le marché a été déclaré infructueux par le maître d'oeuvre. Une seconde consultation a eu lieu.

Un marché négocié a été ouvert par l'administration en application de l'article 104-1-2 du Code des marchés publics. Ce second appel a abouti aux mêmes résultats, avec les mêmes interlocuteurs. Les travaux furent différés. Le soupçon d'une entente entre les entreprises a été formulé par la direction régionale des affaires culturelles auprès de la direction régionale de la concurrence le 22 juin 2000, en raison de plusieurs coïncidences relevées lors de la première consultation. Une enquête a été ouverte sur la première consultation.

Dans le cadre de pratiques anticoncurrentielles de l'article 420-1 du Code de commerce, les institutions mises en place pour garder le marché ont un pouvoir complet et efficace pour traiter les auteurs de ces pratiques, qu'il s'agisse de la DGCCRF dans ses pouvoirs d'enquête (I) ou de l'Autorité de la concurrence dans son pouvoir de jugement (II).


I. Les pouvoirs d'enquête étendus de la DGCCRF
II. Le jugement de l'Autorité de la concurrence


I. Les pouvoirs d'enquête étendus de la DGCCRF

L'Autorité de la concurrence est un véritable gardien de la concurrence et des bonnes pratiques sur le marché. Dans ce cadre, elle dispose de plusieurs pouvoirs d'investigation notamment, dès qu'il y a le soupçon d'une pratique anticoncurrentielle comme une entente entre plusieurs entreprises sur un même marché. Elle se base sur un faisceau d'indices (décisions 01-D-17 du 25 avril 2001 : n01-D-20 du 4 mai 2001).

Ces pouvoirs ont été mis en oeuvre dans le cadre de cette décision. Parmi ceux-ci, des visites des locaux des entreprises concernés ont été réalisées. Elles ont notamment permis de dénicher une télécopie adressée par la présidente de la société Cornille Havard à la société Paccard le 5 avril avant la remise des offres. Ce document traduisait notamment la communication des détails de leurs offres pour les différents lots. Une réunion aurait également eu lieu entre Paccard et Biard Roy pour une prise de contact.

Plus que l'analyse des offres faites par les différentes entreprises litigieuses, ce véritable pouvoir d'investigation de la direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ou DGCCRF lui permet de réaliser une enquête complète et efficace, à l'instar des officiers de police judiciaire. Elle a un véritable pouvoir de perquisition.

L'audition des instigateurs est également une faculté supplémentaire offerte aux enquêteurs. Les gérants, responsables d'étude et de production et autres dirigeants des entreprises concernés ont révélé des liens entre elles.

Ainsi la DGCCRF est la première étape. Elle enquête pour fournir un rapport complet à l'Autorité de la concurrence chargée de traiter l'affaire en jugement en premier ressort pour toutes pratiques anticoncurrentielles qui relèvent de sa compétence. Les griefs d'échange d'informations avant tout dépôt d'offres ont ainsi pu être soulevés à l'encontre de ces entreprises.


II. Le jugement de l'Autorité de la concurrence

De manière constante et dans cette ligne de pensée dans le cadre de cette décision, le Conseil de la concurrence a estimé que « dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être », il y aura une pratique anticoncurrentielle susceptible de sanction (décisions n 03-D-10 du 20 février 2003 ; n 03-D-19 du 15 avril 2003).

Le jeu de la concurrence est altéré par ces échanges d'informations, que ce soit sur les prix, le personnel ou les moyens employés. La meilleure offre voulue par l'appel d'offres n'est plus choisie par le maître d'oeuvre de l'ouvrage public. Il reste soumis aux prix artificiels des entreprises en entente.

En l'espèce, le Conseil s'est penché sur le cas de chacune des entreprises prises séparément :

- Pour l'entreprise Bodet, elle n'a pas retenu les griefs invoqués en soulevant que le simple contact antérieur n'est pas prohibés s'il vise à ouvrir la possibilité de former un groupement pour répondre à l'appel d'offres.

- Pour l'entreprise Cornille Havard, le Conseil rappelle que la formation d'un groupement n'est pas en soi initiateur d'une pratique anticoncurrentielle. Il s'agit bien de l'échange d'informations en matière de prix alors que le groupement n'était pas encore formé et qui a abouti au dépôt d'offres indépendantes de chacune des sociétés Cornille Havard et Paccard. Ce qui a rendu inutile toute forme de groupement tout en faussant le jeu de la libre concurrence.

- Pour les entreprises Paccard et Biard Roy, le Conseil de la concurrence a renvoyé au raisonnement fait pour l'entreprise précédente en s'appuyant sur des preuves matérielles et des déclarations.

Ainsi, les administrations en charge de la régulation de la concurrence : la DGCCRF et l'Autorité de la concurrence ont un rôle très important et complémentaire. Ils permettent notamment de préserver la sincérité des offres au bénéfice du maître d'oeuvre et de l'utilisation de l'argent public à bon escient à terme. Elles contrôlent que la concurrence n'est pas faussée et qu'un dommage à l'économie n'en résulte du fait de cette entente.



Sources : Décision n 06-D-25 du 28 juillet 2006 relative à des pratiques relevées à l'occasion de la restauration du patrimoine campanaire de la cathédrale de Rouen



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