En l'espèce, les époux Bertin ont passé un contrat verbal avec l'administration en novembre 1944 pour fournir de la nourriture aux hébergés soviétiques dans le centre de rétention de Meaux, sous l'autorité du ministre des anciens combattants, contre rémunération. Un supplément de nourriture leur a été demandé par la suite, contre primes.
Les époux Bertin ont exécuté un recours contre cette décision de rejet de payer les primes du ministre des anciens combattants prise le 1er juin 1949. Un recours pour annulation de cette décision a été porté devant la section contentieuse du Conseil d'État.
La question posée au Conseil était de savoir si un contrat peut avoir le caractère administratif quand il ne comporte aucune clause exorbitante de droit commun.
Le Conseil d'État a statué le 20 avril 1956 sur le fait que les époux Bertin n'apportaient pas la preuve de l'engagement pris. Ils ne peuvent à ce titre pas en demander l'annulation. Le Conseil a également rajouté que l'objet du contrat d'exécuter un service public suffit à qualifier le contrat d'administratif. À ce titre, il a précisé que le fait pour les époux Bertin de nourrir des réfugiés étrangers sur le territoire français ne nécessitait pas la présence de clauses exorbitantes dans le contrat. Ce contrat était de nature administrative.
Les critères déterminants d'identification du contrat administratif sont classiquement un critère organique ou un critère matériel de clause exorbitante de droit commun en principe (I). Cependant, un nouveau critère émerge nettement de cet arrêt : l'exécution du service public comme finalité du contrat (II).
I. Le critère formel classique insuffisant
II. Le nouveau critère alternatif impliqué par la délégation de service public
I. Le critère formel classique insuffisant
En principe, un contrat reconnu comme administratif implique la présence d'une personne publique. Ce critère organique perd cependant de sa valeur aujourd'hui quand un contrat implique deux personnes privées, mais l'une sous délégation de service public. Dans cet arrêt, un ministre est impliqué, cependant le Conseil d'État ne le relève pas expressément pour qualifier le contrat d'administratif et établir sa compétence. Ce critère est insuffisant.
Le Conseil d'État soulève pourtant l'absence de présence de clauses exorbitantes de droit commun, suite à sa jurisprudence antérieure où il avait reconnu comme critère d'identification la présence de telles clauses conférant des prérogatives de puissance publique (arrêt Société Porphyroïde des Vosges, 1912). Cependant, leur absence en raison de l'oralité du contrat n'a pas permis de qualifier le contrat d'administratif.
Cependant, le Conseil d'État évoque ici un critère matériel présent dans « l'exécution d'un service public ». Il n'est plus question ici d'identifier une personne publique ou des clauses particulières dans le contrat. Ce critère suffirait à qualifier le contrat d'administratif, car il y a la présence d'une délégation de service public, soit la gestion confiée par l'Administration à une personne de droit privé d'un service public, comme il avait pu le faire lors de l'arrêt Thérond en 1910.
II. Le nouveau critère alternatif impliqué par la délégation de service public
Ce nouveau critère repose sur l'objet et la finalité du contrat : « l'exécution d'un service public ». Ce critère a également été retenu s'agissant de la confection de travaux publics financés par des fonds privés dans l'arrêt consorts Grimouard qui a été reconnu comme un contrat administratif en raison de son objet. L'arrêt époux Bertin s'inscrit donc dans ce qui va être jusqu'à aujourd'hui une jurisprudence constante du Conseil d'État : l'objet d'exécution d'un service public permet de qualifier le contrat d'administratif.
Le service public en l'espèce est analysé par le Conseil comme le fait de sustenter des ressortissants étrangers sur le territoire français en accord avec l'Administration. Il s'agit de satisfaire l'intérêt général, ce qui est la mission d'une personne publique en temps normal. Le Conseil d'État dégage ici un critère suffisant pour reconnaître le caractère administratif d'un contrat. Ce critère pouvant être étendu à l'ensemble des contrats administratifs. Il n'y a donc plus de conflit entre les arrêts Thérond et Porphyroïdes des Vosges.
Ce qu'il faut retenir :
Il est possible de qualifier un contrat administratif selon un critère organique (la présence d'une personne publique) et/ou formel (la présence de clauses exorbitantes de droit commun) et/ou selon l'objet et la finalité du contrat : l'exécution d'une mission de service public par une personne privée.
Source : Conseil d'État