Dans le cas d'espèce ici jugé et rapporté par le Conseil d'État, le requérant exploitait dans la ville d'Angers une fabrique d'allumettes chimiques en application de diverses autorisations obtenues successivement. Alors que la dernière autorisation n'avait pas été régulièrement renouvelée, et sans opposition de la part de l'administration, celui-ci continua à exercer son industrie. Or une loi de 1872 rétablit le monopole de l'État concernant la fabrication des allumettes et prévoyait une expropriation de ces fabricants contre une indemnisation, fonction d'une autorisation de fonctionner au moment où la loi était promulguée. Le requérant demanda une indemnisation alors qu'il n'avait pas obtenu ladite autorisation.
Le ministre des Finances, qui agissait dans l'intérêt de l'État et assurant l'exercice du monopole de celui-ci, demanda au préfet de Maine-et-Loire de faire cesser l'exploitation non autorisée sur la base de son pouvoir de police des établissements dangereux, incommodes ou insalubres. Le 29 avril 1874, ce dernier déclara illégale l'exploitation de l'usine et en prescrivit la fermeture. Un second arrêté, le 26 septembre 1874, ordonna la fermeture de l'usine alors que le requérant n'avait pas cessé l'exercice de son industrie comme initialement exigé. Celui-ci demanda donc au Conseil d'État d'annuler, pour excès de pouvoir, ces deux arrêtés.
Il apparaît par conséquent opportun de se demander dans quelles mesures il est possible pour le préfet d'utiliser un pouvoir de police dont il est détenteur à des fins différentes que celles auxquelles ce pouvoir est destiné.
Pour le Conseil d'État, l'autorité administrative doit respecter des principes directeurs dès qu'elle édicte une décision (I). Si celle-ci méconnaît ces principes, elle commet un détournement de pouvoir (II).
I. L'édiction d'une décision, fonction du respect de certains principes
II. La reconnaissance expresse d'un détournement de pouvoir
I. L'édiction d'une décision, fonction du respect de certains principes
Dans le cas d'espèce, le Conseil d'État considère que le préfet a commis un détournement de pouvoir. En effet, si pour lui, toute autorité administrative doit agir en vue d'un but d'intérêt général, elle ne peut agir librement : elle doit viser le but d'intérêt général adéquat.
Cet arrêt Laumonnier-Carriol fut rendu le même jour que l'arrêt Pariset (n 47544) dans lequel le Conseil d'État avait également considéré que l'édiction d'un acte par une autorité administrative dans un but d'intérêt général différent que celui pour lequel la loi l'y autorisait était entaché d'un détournement de pouvoir.
II. La reconnaissance expresse d'un détournement de pouvoir
En l'espèce, le juge administratif suprême considéra que le détournement de pouvoir découle directement de l'autorité administrative qui a sciemment utilisé au moins un de ses pouvoirs en vue d'un but d'intérêt général différent que celui-ci pour lequel lesdits pouvoirs lui ont été confiés dans le cadre de ses compétences.
Il s'agissait en effet, en l'espèce, du pouvoir de police en vue d'un but financier, et, le requérant obtint l'annulation des deux arrêtés préfectoraux.
Sources : Revue générale du droit, Lex publica