En l'espèce, un ex-dessinateur civil du génie militaire a été révoqué de ses fonctions par le ministre de la Guerre. Pour demander annulation de la décision de révocation au motif d'un excès de pouvoir, l'ancien dessinateur affirme qu'il aurait dû avoir les pièces de son dossier. De plus, il soutient que les formalités du décret du 16 septembre 1914 n'ont pas été respectées. En vertu du décret de 1914, le gouvernement avait suspendu l'application aux fonctionnaires civils de l'Été de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 qui exige la communication à l'agent de son dossier avant toute mesure disciplinaire.


La puissance publique peut-elle s'affranchir des règles habituelles en cas de crise ?


À cette question, la Cour de cassation va répondre qu'en raison de la crise que connaissait la France, c'est-à-dire une période de guerre, la puissance publique avait le droit d'agir en s'affranchissant de certaines règles de fond et de forme.

C'est en ce sens que nous verrons en première partie que la puissance publique détient des pouvoirs exceptionnels en cas de crise (I) cependant dans ce cadre exceptionnel, il existe tout de même un rôle du juge dans l'appréciation des circonstances exceptionnelles. (II)


I. Les pouvoirs exceptionnels de la puissance publique en cas de crise
A. L'affranchissement des règles de fond et de forme
B. L'affranchissement des principes de fond
II. Le rôle du juge dans l'appréciation des circonstances exceptionnelles
A. Le contrôle d'absence d'excès de pouvoir
B. Le contrôle du but d'intérêt général


I. Les pouvoirs exceptionnels de la puissance publique en cas de crise

Nous allons voir que quand est caractérisée une crise, la puissance publique a un droit de s'affranchir de certaines règles. Cet affranchissement se justifie naturellement par la situation exceptionnelle. Nous allons donc voir que l'État peut alors s'affranchir des règles de fond et de forme (A), mais également des principes de fond du droit (B).


A. L'affranchissement des règles de fond et de forme

En premier lieu, dans notre arrêt l'ex-dessinateur civil rétorque que l'administration française n'a pas respecté les règles de fond et de forme. Ce à quoi va répondre la Cour de cassation dans sa décision. Elle retient qu'en vertu de l'article 3 de la loi continuelle du 25 février 1875, le Président de la République est placé à la tête de l'administration française et est chargé d'assurer l'exécution des lois. Il doit donc veiller en ce sens qu'à toute époque les services publics fonctionnent malgré la guerre. À la date où il a révoqué l'ancien dessinateur civil, il existait un décret. Avec l'existence de ce décret, l'action de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 relative au dossier préalable à toute sanction disciplinaire était pendant cette période de nature à empêcher de nombreuses fois l'action disciplinaire de s'exercer. Donc, cette loi allait entraver le fonctionnement des diverses administrations nécessaires à la vie nationale.

Par conséquent en raison de la crise, les pouvoirs publics avaient le droit en ces circonstances d'édicter eux-mêmes les mesures jugées indispensables pour l'exécution des services publics.

En ce sens donc, l'article 65 était suspendu provisoirement dans ces conditions pendant la guerre. De plus, cette faculté se contente de s'appliquer qu'en période de guerre. Ainsi, les intéressés pourront après la guerre demander révision des décisions.

Donc, en ce sens l'article 3 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 peut être utilisé par le Président de la République. Par conséquent, la décision du ministre de la Guerre prise en vertu du décret n'est pas entachée par une nullité pour excès de pouvoir.

Nous venons donc de voir que le ministre de la Guerre avait, conformément aux dispositions relevant des périodes de crise telle que la guerre, possibilité de prendre une décision s'affranchissant des règles de fond et de forme. Cette décision est valable en ce sens où il faut une continuité des services publics même en temps de guerre. C'est pourquoi nous allons donc voir dans un second temps que la décision du ministre de la Guerre peut également s'affranchir des règles de fond en raison de la situation exceptionnelle qui entoure cette décision.


B. L'affranchissement des principes de fond

En l'espèce, l'ex-dessinateur civil rétorque que son affaire n'a pas respecté les principes de fond normalement applicable pour pouvoir instruire un dossier de révocation. Pour répondre à ce grief, le juge applique également le décret du 6 septembre 1914. Ce décret est relatif au fonctionnement des conseils de guerre. Son objet est de prévoir la constitution des conseils de guerre spéciaux aux armées avec une composition de trois membres et rend aussi la procédure plus rapide. Ce décret a pour but le maintien de l'ordre public et de la discipline avec des procédures plus expéditives.

En ce sens, une procédure a eu lieu pour la révocation de l'ancien militaire. D'après la Cour de cassation, celle-ci a parfaitement respecté les règles de procédure. En effet, d'après l'instruction la décision rendue a fait objet d'un rapport du génie de Nice. Dans cette instruction, l'ancien dessinateur civil a fait l'objet d'un interrogatoire au cours duquel il était possible qu'il appose des éclaircissements sur ce qui lui était reproché. Par conséquent, il avait eu la possibilité quand même de s'expliquer et donc d'appliquer ses moyens de défense.

Nous avons donc vu que la période de guerre permet au Président de la République de s'affranchir des règles de fond et de forme. En effet, cette période doit connaître une bonne poursuite du service public. En ce sens, des décisions d'urgence doivent être prises c'est pourquoi la période de guerre permet de s'affranchir de ces règles. Par conséquent, le ministre de la Guerre avait en ce sens possibilité de prendre des décisions urgentes telles que la révocation de l'ancien dessinateur civil.

Néanmoins, nous allons voir que malgré cette liberté octroyée en temps de guerre pour la continuité du service public et pour aller avec l'urgence de la situation, il n'en reste pas moins qu'il existe tout de même un contrôle de la part du juge. Nous allons donc voir le contrôle du juge dans l'appréciation des circonstances exceptionnelles.



II. Le rôle du juge dans l'appréciation des circonstances exceptionnelles

Nous avons vu que cette décision a été prise en période de guerre donc dans l'urgence de la situation avec des pouvoirs exceptionnels s'affranchissant des règles habituelles. Cependant, malgré la situation exceptionnelle il faut noter tout de même que le juge est là pour contrôler si les circonstances exceptionnelles sont bien respectées. En ce sens, le juge va donc vérifier l'absence d'un excès de pouvoir (A), mais également le but d'intérêt général de la décision (B).


A. Le contrôle d'absence d'excès de pouvoir

Dans notre arrêt Heyriès, la victime de révocation estime que la puissance publique commet un excès de pouvoir dans sa décision. Pour caractériser cet excès de pouvoir, le requérant peut invoquer quatre motifs ; c'est-à-dire l'incompétence, le vice de forme, le détournement de pouvoir et enfin la violation de la loi. Dans notre espèce, l'ex-dessinateur civil affirme que le ministre de la Guerre a commis un excès de pouvoir notamment pour vice de forme ou encore violation de la loi. Pour lui, il n'a pas respecté les règles de forme de la procédure de révocation, car il entend qu'il n'a pas respecté un interrogatoire avant la prise de décision de révocation enfin, il affirme que celui-ci n'a pas respecté la loi qui lui imposait des règles.

Le juge va donc contrôler ces mesures notamment celle de la révocation dans notre cas. Il va par conséquent apprécier que l'existence des circonstances exceptionnelles soit bien respectée.

Par cela, on entend que l'administration doit ne pas avoir eu la possibilité de faire autrement, c'est-à-dire que le ministre de la Guerre dans notre cas d'espèce était dans l'impossibilité de prendre la mesure en cause de manière régulière.

On peut alors affirmer par la décision de la Cour de cassation que la situation en vigueur imposait une solution plus rapide. En effet, la Cour de cassation relève la période de guerre que connaissait la France à cette époque. C'est pourquoi la Cour de cassation accepte la décision de révocation prise par le ministre qui est justifiée par une mesure urgente qui ne pouvait attendre les modalités plus longues qui sont habituellement imposées.

C'est en ce sens que nous allons voir que le juge va reconnaître des circonstances exceptionnelles telles que la guerre pour pouvoir accepter une décision urgente comme celle-ci. Non seulement il va devoir se justifier de ces circonstances exceptionnelles, mais également le juge va devoir surveiller que celles-ci ont été prises dans un but d'intérêt général.


B. Le contrôle du but d'intérêt général

Le juge doit nécessairement apprécier le caractère exceptionnel de la situation qui entraîne alors une décision exceptionnelle, elle aussi. Mais, également, le juge va devoir vérifier que la décision a été prise dans un but d'intérêt général. On aurait donc un but qui intéresse le bon fonctionnement de la société.

Dans notre cas d'espèce, le but d'intérêt général est celui de la continuité de l'État. En effet, nous avons une situation d'urgence qui ne permet pas à l'État de prendre du retard dans des décisions importantes.

C'est pourquoi la révocation d'un dessinateur civil ne doit pas trainer. En effet, il n'a pas la possibilité d'attendre que ce type d'affaires passe par les formalités habituelles en raison du caractère exceptionnel de la période qui l'entoure.

Nous avons donc vu dans notre arrêt que la Cour de cassation appose des règles exceptionnelles à une période exceptionnelle. En effet, la puissance publique et ici la décision du ministre de la Guerre s'agissant d'une révocation d'un militaire ne sera pas entaché de nullité pour excès de pouvoir au sens de l'exception de la situation dans laquelle la décision a été prise. Par conséquent en cas de guerre par exemple, les décisions de la puissance publique vont pouvoir s'affranchir des règles de fond et de forme. Cependant, celles-ci s'expliquent et doivent être contrôlées d'un point de vue de l'excès de pouvoir, mais aussi du but d'intérêt général qu'elles doivent revêtir.

D'ailleurs, nous pouvons remarquer que c'est de cette théorie des circonstances exceptionnelles que s'inspirera l'article 16 de la Constitution de 1958.