En l'espèce, une actionnaire a hérité d'actions d'une société, dont elle ne connaissait pas la valeur. Voulant les revendre, elle a demandé au président de la société de chercher un acquéreur. Le président s'est lui-même proposé comme acquéreur avec trois autres actionnaires pour le prix de 3 000 francs par action. Cependant, les titres ont été revendus peu après pour le prix de 8 000 francs à un tiers.

La cédante originelle a demandé la nullité de la cession des titres pour réticence dolosive, en raison du manque d'informations, dissimulées, qui lui auraient permis de juger la valeur supérieure des titres. Informations que le président avait. Il s'agissait notamment du mandat donné à une banque, chargée de trouver acquéreur, pour un prix minimum supérieur au prix de la cession ayant eu lieu.

La Cour d'appel de Paris a donné raison à la cédante dans un arrêt du 19 janvier 1994 en se fondant sur la réticence dolosive, caractérisée par la dissimulation du président. Celui-ci s'est pourvu en cassation au moyen que la réticence du cessionnaire ne peut porter sur les négociations en cours pour céder les titres à un tiers : soit la différence entre le prix d'achat et celui de revente.

Il était donc demandé à la Cour s'il pesait à la charge du cessionnaire d'une cession de titre une obligation d'information quant à la valeur des droits cédés.

La Cour de cassation dans un arrêt du 27 février 1996, dit Vilgrain, a rejeté le pourvoi aux motifs qu'une obligation d'information pèse sur le cessionnaire sur la valeur des actions cédées, sur le fondement « du devoir de loyauté qui s'impose au dirigeant d'une société à l'égard de tout associé ».

La Cour s'est d'abord attachée à rappeler le principe d'obligation d'information précontractuelle des informations déterminantes du consentement (I), pour ensuite expliciter son fondement (II).


I. L'obligation d'information précontractuelle sur la valeur dans la cession de titres
II. Le fondement de l'obligation précontractuelle d'information dans la cession de titres


I. L'obligation d'information précontractuelle sur la valeur dans la cession de titres

En principe, une partie qui détient une information déterminante du consentement de l'autre partie a obligation de la communiquer. Autrement, son silence peut être retenu comme de la réticence dolosive pour annuler le contrat. Cette jurisprudence est constante depuis les années 1970 (3e Civ. 2 octobre 1974, n 73-11901 ; 3e Civ., 15 janv. 1971, n 69-12180).

Une exception avait cependant été posée concernant la valeur de la chose objet du contrat, dans l'arrêt Baldus. Dans cet arrêt, la Cour a énoncé qu'aucune obligation d'information n'était à la charge de l'acheteur d'informer le vendeur sur la valeur des biens cédés. Ceci s'appliquait même s'il les avait ainsi acquis à prix dérisoire, au nom du droit de faire des bonnes affaires. C'est au vendeur d'être préalablement diligent en se renseignant lui-même sur la valeur de la chose qu'il tient à vendre.

Or en l'espèce, il est bien question de la valeur de titres cédés. Dans l'arrêt Baldus, il n'y a pourtant pas eu de remise en cause de la jurisprudence Vilgrain.

Il était question en 2000 du contrat de vente. La situation particulière du contrat de cession de titres sociaux et de la qualité des parties, notamment leur lien imposait un tel retour au principe d'obligation précontractuelle à la charge de l'acquéreur pour le coup. La jurisprudence Vilgrain a été confirmée par la suite le 25 mars 2010 par la première chambre civile (n 08-13060).

Il ne s'agit pas simplement de la dissimulation de l'acheteur de la véritable valeur d'actions qu'il achète au vendeur, mais d'un silence qui s'insère dans une relation entre le dirigeant d'une société et un actionnaire de celle-ci.


II. Le fondement de l'obligation précontractuelle d'information dans la cession de titres

La Cour résonne sur le fondement de ce premier rapport entre les parties pour justifier sa décision. La cession de titres sociaux est une situation particulière. Bien qu'il s'agisse d'une forme de vente en raison du transfert de propriété, son objet et la qualité des parties la rendent particulière.

En effet, le dirigeant est tenu d'une obligation de loyauté envers tous les associés de la société qu'il dirige. Chacun des associés est tenu de cette même obligation envers les autres associés. Ceci résulte de la nature du contrat de société qui vise un intérêt commun entre tous, caractérisé par l'affectio societatis. C'est le fait de vouloir investir en commun et de partager des bénéfices et pertes.

Cet intérêt collectif impose donc la coopération. Or, le dirigeant qui ne respecterait pas son devoir de loyauté en profitant de l'ignorance de l'actionnaire pour faire une bonne affaire, ne coopère clairement pas. Il va à l'encontre de l'intérêt commun, celui de la société. Par conséquent, le devoir de loyauté implique une exigence importante sur cette obligation d'information, même si celle-ci porte sur la valeur qui n'est pas en principe objet d'une telle obligation dans un contrat de vente.



Cette solution jurisprudentielle est particulièrement sévère à l'encontre du cessionnaire. Cependant, ceci est parfaitement logique au vue de l'intérêt commun de la société impliquée. Plus que la valeur elle-même, c'est la mésentente qui pourrait résulter de cette cession dolosive sur le fonctionnement de la société.

Il peut être pertinent de soulever que cette obligation de loyauté dans les rapports contractuels des parties mêmes est renforcée dans son fondement par la nouvelle réforme de 2016.