En l'espèce, le comparateur de prix « Kelkoo.fr » avait plusieurs partenaires avec qui des accords de référencement étaient conclus. Sa rémunération était calculée selon le nombre de clics sur les liens hypertextes de leurs sites. La société Concurrence était l'un de ces partenaires. La société Kelkoo l'a assigné devant le juge pour paiement.
Le tribunal de commerce a rendu une ordonnance contre la société Concurrence pour qu'elle paye ces factures. La société Concurrence s'est opposée à cette ordonnance en formulant des demandes reconventionnelles de dommages et intérêts et de mesures d'interdiction et d'injonction. La société Concurrence a invoqué des pratiques commerciales déloyales et trompeuses de la part de la société Kelkoo qui aurait fait croire aux utilisateurs du comparateur de prix qu'elle vendait ses produits aux meilleurs prix tout en faisant des publicités pour ses concurrents sans prix mis à jour, des articles indisponibles et des périodes de validité non définies.
La société Concurrence a interjeté appel contre l'ordonnance du tribunal de commerce. L'affaire a été portée devant la Cour d'appel de Grenoble qui a rendu un arrêt le 21 octobre 2010. Les juges du fonds ont suivi la société Concurrence en reconnaissant les pratiques commerciales déloyales et trompeuses de la société Kelkoo au visa des articles L121-1 et L120-1 du Code de la consommation. Ils ont estimé qu'elles étaient constituées dans le fait de « ne pas s'identifier comme un site publicitaire, de mettre à jour en temps réel les prix, d'indiquer les périodes de validité des offres, d'indiquer les frais de port et/ou d'enlèvement, d'indiquer les conditions de la garantie des produits, de mentionner les caractéristiques principales des produits ou services offerts ». La société Kelkoo s'est pourvue en cassation.
La question posée à la Cour de cassation était de savoir si un site comparateur de prix qui ne s'identifie pas comme un site publicitaire se rend coupable de pratiques commerciales déloyales et trompeuses au sens des articles L120-1 et L121-1 du Code de la consommation.
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt de cassation et d'annulation partielle avec renvoi devant la Cour d'appel de Lyon le 29 novembre 2011. Elle a estimé que la seule omission de l'identification de site publicitaire n'est pas constitutive des infractions pénales visées aux articles L120-1 et L121-1 du Code de la consommation. Il est également nécessaire que « ces omissions étaient susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ». Ce que la Cour d'appel de Grenoble n'a pas apprécié et a conduit son arrêt a manqué de base légale. La Cour de cassation impose donc une double condition pour que les pratiques commerciales trompeuses et déloyales soient retenues (I). Ce qui est en contradiction avec la position de la jurisprudence européenne (II).
I. La nécessité de deux conditions cumulatives
II. Une divergence de jurisprudence européenne et française sur les pratiques commerciales trompeuses
I. La nécessité de deux conditions cumulatives
L'article L120-1 du Code de la consommation porte sur les pratiques commerciales déloyales. Parmi celles-ci, l'alinéa 3 précise qu'il y a les pratiques commerciales trompeuses par renvoi à l'article L121-1 du Code de la consommation. Elles doivent donc par définition répondre aux conditions des pratiques commerciales déloyales de l'article L120-1. C'est ce que la Cour de cassation rappelle dans cet arrêt en visant ces articles dans son arrêt.
Il est donc nécessaire comme le veut la loi définissant cette infraction pénale qu'il y ait un manquement au respect des exigences de la diligence professionnelle et une altération avérée ou potentielle substantielle du comportement économique du consommateur.
Ainsi, la Cour de cassation reproche à la Cour d'appel de Grenoble de ne pas avoir effectué cette double vérification des conditions cumulatives. Il y a bien eu un non-respect aux exigences de la diligence professionnelle par la société Kelkoo dans son omission de qualité de site publicitaire, la non-mise à jour des prix en temps réel, etc. Cependant, rien n'indiquait comme le contestait la société demanderesse que cette omission avait altéré « de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service » (L120-1 Code de la consommation).
En reprenant pour partie la lettre du texte, la Cour a fait une application stricte de la loi pénale en vertu du principe de légalité de la loi pénale dans cet arrêt. Cette double condition nécessite donc de prouver également que l'omission a altéré l'avis du consommateur de manière à le tromper.
Cette application par la Cour de cassation des infractions de pratiques commerciales déloyales et trompeuses si elle suit la lettre de la loi, va pourtant à l'encontre de la position de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne.
II. Une divergence de jurisprudence européenne et française sur les pratiques commerciales trompeuses
Dans l'arrêt Kelkoo, la Cour de cassation a réaffirmé sa divergence d'appréciation des conditions des pratiques commerciales trompeuses et de manière plus générale par rapport à la CJUE. La Cour exprime explicitement que la double condition est cumulative et doit être vérifiée. Ce qui n'est pas requis par le droit européen.
Dans un arrêt du 19 septembre 2013 (affaire C-135/11), la CJUE a affirmé qu'une pratique commerciale sera qualifiée de trompeuse dès le moment où elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle de l'article 5 du paragraphe 2 de la directive 2005/29/CE du 11 mai 2005, repris à l'article L120-1 du Code de la consommation, ou si elle altère le comportement économique du consommateur.
Cette double condition n'est pas requise par la CJUE. Bien que cet arrêt ait été rendu ultérieurement à l'arrêt Kelkoo, celui-ci a été pris après l'entrée en vigueur de la directive. De plus, la position de la Cour de cassation n'a depuis pas été modifiée. Cet arrêt est donc également représentatif de la résistance de la Cour devant la jurisprudence européenne en matière de droit pénal. Pourtant sa position semble bien moins sévère que celle de la CJUE. Celle-ci en n'exigeant qu'une seule condition reste plus sévère dans une incrimination plus simple.
La Cour de cassation traduit donc dans cet arrêt une volonté de protéger le consommateur puisque l'une des conditions le vise directement et indirectement de ne pas condamner pour pratiques commerciales trompeuses et déloyales tout opérateur commercial qui se contenterait d'une omission comme en l'espèce.
En conclusion, l'arrêt Kelkoo exige une double condition pour que la pratique commerciale trompeuse et déloyale soit constituée. L'altération du comportement économique du consommateur moyen et raisonnablement attentif est nécessaire également. Ce qui est une divergence de jurisprudence par rapport au droit pénal européen.
Sources : Arrêt n 1215 du 29 novembre 2011 (10-27.402) - Cour de cassation - Chambre commerciale, financière et économique ; Legavox
Les articles suivants peuvent vous intéresser :
Dissertation juridique - Le seul monopole d'une entreprise sur un marché est-il constitutif d'un abus de position dominante ?
Commentaire d'arrêt : l'aboutissement de la saga Chronopost
9 arrêts à connaître en droit européen de la concurrence