En l’espèce, une personne avait vendu aux enchères publiques cinquante photographies pour un prix unitaire de 1000 francs. En 1989, la venderesse, dans le cadre de ventes de gré à gré, retrouva le même acquéreur et lui vendit de nouveau trente-cinq photographies et cinquante autres au même prix, prix fixé par la venderesse elle-même. Ultérieurement, la venderesse ayant appris que l’auteur desdites photographies était un photographe jouant d’une certaine notoriété, décida de porter plainte pour escroquerie contre son cocontractant. Cette action ayant résulté sur une ordonnance de non-lieu, la venderesse assigna l’acquéreur sur le terrain civil en nullité des ventes sur le fondement du dol.
Par un arrêt rendu en date du 5 décembre 1997, la cour d’appel de Versailles fit droit à la demande de la venderesse et condamna l’acquéreur à lui verser une certaine somme en restitution en valeur des photographies vendues dans le cadre des ventes de gré à gré et ce, déduction faite du prix de vente encaissé par la venderesse. L’acquéreur décida alors de se pourvoir en cassation.
Pour faire droit à la demande de la venderesse, la cour d’appel avait estimé que l’acquéreur, qui avait vendu les premières photographies à un prix sans rapport avec leur prix d’achat savait donc qu’il achetait les autres photographies à un prix dérisoire au regard de leur valeur sur le marché de l’art de sorte qu’il manquait à l’obligation de contracter de bonne foi pesant sur tout contractant et qu’il se rendait coupable de réticence dolosive en ce que si la venderesse avait été avertie de la valeur de ces photographies, elle n’aurait pas conclu ces ventes dans ces conditions.
Il était ainsi demandé à la Cour de cassation de déterminer si le silence de l’acquéreur sur la valeur réelle du bien, objet de la vente, était constitutif d’une réticence dolosive.
La Cour de cassation cassa la décision de la cour d’appel en affirmant, au visa de l’ancien article 1116 du Code civil « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur ». En conséquence, la Cour de cassation affirme l’absence de réticence dolosive en cas d’absence d’obligation d’information (I) et consacre l’absence d’une obligation d’information portant sur la valeur d’un bien acquis (II).
I. Absence de réticence dolosive en cas d’absence d’obligation d’information
Par cette solution, la Cour de cassation, en écartant la réticence dolosive de l’acquéreur (A), pose l’exigence de l’existence d’une obligation d’information au préalable (B).
A. La réticence dolosive de l’acheteur écartée
La solution de la première chambre civile repose sur une action en nullité pour dol. Le dol, en droit français est un vice du consentement, qui, puisqu’il affecte le consentement de l’une des parties au contrat, en est une cause de nullité. À ce titre, la solution de la Cour de cassation a été rendue au visa de l’ancien article 1116, relatif au dol, dans sa version alors applicable au litige qui disposait que « Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté (…) ». Pour comprendre la solution de la Cour de cassation, il convient d’évoquer les éléments constitutifs du dol, il est traditionnellement exigé un élément matériel et un élément intentionnel. Concernant l’élément matériel, si l’article mentionne des manoeuvres faisant écho à des actes positifs, la jurisprudence a fini par admettre de longue date, que le dol puisse résulter du silence gardé de l’un des cocontractants sur un élément déterminant pour le consentement de l’autre. Ainsi, dans un arrêt rendu en date du 15 janvier 1971, la troisième chambre civile a considéré que « le dol peut être constitué par le silence d’une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter ». On parle alors de réticence dolosive. Quant à l’élément intentionnel, celui-ci est caractérisé lorsqu’il est démontré que son auteur a agi « intentionnellement pour tromper le contractant » (Cass. Civ. 1ère, 12 novembre 1987).
En l’espèce, les juges du fond ont relevé que l’acquéreur connaissait la valeur réelle des photographies sur le marché de l’art et savait qu’il contractait à un prix dérisoire. Ayant dissimulé intentionnellement cette information à la venderesse, ils ont jugé que ce dernier avait commis une réticence dolosive en ce que si la venderesse avait été informée, elle n’aurait pas contracté. Ainsi, la cour d’appel a jugé que, par cette réticence, l’acquéreur avait manqué à son obligation de contracter de bonne foi. Toutefois, la Cour de cassation rejette ce raisonnement en considérant qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur affirmant la nécessité de caractériser l’existence d’une telle obligation pour caractériser la réticence dolosive.
B. Exigence de l’existence d’une obligation d’information à charge de l’acheteur
Depuis les années 80, la jurisprudence a fondé les condamnations pour dol par réticence sur l’obligation de contracter de bonne foi résultant de l’ancien 1134 du Code civil. L’exigence de bonne foi suppose notamment de délivrer toutes les informations pertinentes à son cocontractant et déterminantes pour son consentement. C’est par ce biais qu’est née une obligationprécontractuelle d'information. Ainsi « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet un dol par réticence le banquier qui omet d'aviser sa cliente caution de la situation irrémédiablement compromise du débiteur principal » (Cass. 1re civ. 10 mai 1989). Dans un arrêt plus récent en date du 13 mai 2003, la Cour de cassation a considéré que « manque à son obligation de contracter de bonne foi et commet ainsi un dol par réticence la banque qui, sachant que la situation de son débiteur est irrémédiablement compromise ou à tout le moins lourdement obérée, omet de porter cette information à la connaissance de la caution, l’incitant ainsi à s’engager » (Cass. 1ère civ. 13 mai 2003).
En l’espèce, on comprend que la cour d’appel ait jugé que par sa réticence, l’acquéreur avait manqué à son obligation de contracter de bonne foi. Toutefois, la Cour de cassation considère que les juges du fond ont violé les dispositions de l’article 1116 ancien du Code civil en ce « qu’aucune obligation d’information ne pesait sur l’acheteur ».
Ce faisant, si elle ne remet pas en cause le fait selon lequel une réticence dolosive constitue un manquement à l’obligation de contracter de bonne foi, elle affirme de façon ferme l’exigence d’identifier l’existence d’une obligation d’information pesant sur le cocontractant afin de caractériser une réticence dolosive et considère en l’espèce, qu’aucune obligation d’information relative à la valeur marchande du bien acquis ne pèse sur l’acheteur.
II. Absence d’une obligation d’information à la charge de l’acheteur sur la valeur marchande d’un bien
Si la Cour de cassation vient limiter le champ d’application de la notion de réticence dolosive (A), cette solution est toutefois pleinement consacrée par les textes actuels (B).
A. Une limite au champ d’application de la réticence dolosive
Certains commentateurs ont pu voir dans cette solution une rupture avec le célèbre arrêt Vilgrain rendu en date du 27 février 1996 dans lequel la chambre commerciale de la Cour de cassation avait pu considérer qu’une obligation d’information sur la valeur des droits cédés pesait sur le cessionnaire à la faveur du cédant. Or, cette solution concernait le droit spécial des sociétés et reposait notamment sur le devoir de loyauté renforcé du dirigeant social.
Aussi, on aurait pu s’interroger sur la qualité de l’acquéreur qui, en l’espèce, ne semble pas, être un professionnel agissant dans le cadre de son domaine d’expertise. Toutefois, par un arrêt rendu ultérieurement en date du 17 janvier 2007, la troisième chambre civile lèvera le moindre doute quant à l’existence d’une obligation d’information dépendant de la qualité des parties en considérant que « l’acquéreur, même professionnel, n’est pas tenu d’une obligation d’information au profit du vendeur sur la valeur du bien acquis ».
Si la solution d’espèce peut apparaître critiquable, elle s’inscrit dans la volonté de préserver le droit de chacun de pouvoir « réaliser une bonne affaire » et la volonté de laisser au vendeur la responsabilité de s’informer lui-même sur la valeur du bien qu’il s’apprête à vendre. Il ressort de cette décision que l’objet de la réticence dolosive semble compter bien plus que la réticence dolosive en elle-même de sorte que lorsque l’élément matériel du dol sera caractérisé par une réticence portant sur la valeur de l’objet du contrat de vente, elle n’affectera pas la validité du contrat et que la réticence dolosive sera appréciée de façon plus stricte que dans les autres cas de dol.
Si certains doutes ont pu être posés au regard de la portée de l’espèce, le législateur a entendu consacrer la solution de la Cour de cassation.
B. Une solution consacrée par le législateur
D’une part, l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime et de la preuve des obligations a consacré une obligation précontractuelle d’information à l’article 1112-1 alinéa 1 nouveau du Code civil qui dispose que « celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». L’alinéa 2 ajoute que « Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation ».
D’autre part, l’ordonnance consacre la notion de réticence dolosive à l’alinéa 2 de l’article 1137 nouveau du Code civil qui dispose que « constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». La loi de ratification du 20 avril 2018 ajoutera un alinéa 3 qui dispose que « Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation.
Il ressort de ces nouvelles dispositions, que le législateur a entendu consacrer la solution dégagée en l’espèce au regard de l’absence d’une obligation d’information sur la valeur. Toutefois, l’ordonnance a conféré une forme d’autonomie à l’obligation d’information de sorte que l’on pourrait s’interroger sur la pérennité de l’exigence d’une obligation d’information pour caractériser une réticence dolosive et que le caractère intentionnel ait ainsi vocation à devenir le critère déterminant permettant de caractériser une réticence dolosive.