En l'espèce, un usager de la poste se voit contraint d'emprunter la porte de sortie réservée aux employés postaux, car la porte utilisée normalement a été fermée plus tôt. Les employés postaux le poussant vers la sortie de manière brutale, l'usager chute et se brise la jambe.
Le requérant formule une demande d'indemnité auprès du ministre du Commerce, de l'Industrie et des Postes et Télégraphes qui est rejetée en vertu du silence gardé de l'administration. Le requérant conteste cette décision devant le Conseil d'État.
Le requérant fait grief au refus d'indemnisation de l'Etat de ne pas être licite, car selon lui l'État engage sa responsabilité indépendamment de l'engagement de la responsabilité personnelle des agents lui ayant causé son préjudice.
L'État peut-il engager sa responsabilité lorsqu'un agent commet une faute qui l'engage déjà personnellement dans la réparation du préjudice ?
La juridiction suprême administrative décide de donner raison au requérant et admet la possibilité que soient cumulées à la fois la responsabilité personnelle des agents et la responsabilité pour faute de l'État.
Il est donc intéressant de comprendre les conditions d'engagement de la responsabilité des agents ou de celle de l'État (I) ainsi que les distinctions entre ces deux responsabilités (II).
I. Les conditions d'engagements de la responsabilité personnelle des agents et de la responsabilité pour faute de l'État rappelée par l'arrêt Anguet
A. Les conditions communes d'engagement des responsabilités personnelles et de l'État
B. Les difficultés à engager la responsabilité de l'administration
II. L'admission par le Conseil d'État de la possibilité de cumuler une responsabilité civile et une responsabilité administrative dans une même affaire
A. La fin de la distinction stricte entre la faute personnelle et la faute de service
B. Un assouplissement à l'origine de la jurisprudence Lemonnier
Bien que différentes, les responsabilités personnelle et administrative ont plusieurs points communs (A) ce qui ne les empêche pas de se différencier au niveau de l'efficacité et la rapidité de l'indemnisation du requérant (B) qui fait souvent le choix stratégique de n'en engager qu'une seule.
En droit civil, la responsabilité personnelle s'engage par la réunion de trois éléments : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre ces deux éléments. En droit administratif, ces trois éléments sont également présents à quelques nuances près.
Le préjudice est la notion la plus simple et la plus similaire entre ces deux matières. Le préjudice correspond à une catégorie juridique de dommages entraînant une indemnisation du requérant. Le préjudice doit être né et actuel ou bien futur et inévitable. Ensuite, il faut une faute qui soit à l'origine du dommage, mais par exception l'administration peut voir sa responsabilité engagée sans avoir commis une faute. Enfin, il faut un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
La faute personnelle se différencie de la faute de service, car elle est tellement grave et immorale qu'elle ne peut pas être imputée à l'administration et relève uniquement de la responsabilité civile de l'agent.
Dans l'arrêt du Conseil d'État, l'autorité administrative rappelle que la responsabilité personnelle des agents a déjà été engagée, mais estime que la faute ne peut être détachée du service étant donné que la porte normale de la Poste avait déjà été fermée.
Cet arrêt met en évidence la difficulté qui se dresse lors de la détermination de la faute de service qui reste une notion vague. Souvent, la faute de service est définie comme le fait commis pendant le service de l'agent, ou avec les moyens du service. Elle se distingue de la faute personnelle qui doit être réalisée avec un intérêt personnel pour l'agent à son origine. La faute personnelle est normalement commise en dehors du service, mais par exception elle peut être distincte du service lorsqu'elle est incompatible avec le service public et qu'elle résulte d'une intention de l'agent.
Dans les faits, il peut être délicat de discerner une réelle faute de service étant donné que les agents de leur propre initiative ont décidé de pousser violemment vers la sortie le requérant. Ainsi, la faute de service peut être admise du fait qu'elle a été réalisée durant les heures de service et qu'elle possède un lien avec le « mauvais fonctionnement du service public » puisqu'une porte ne pouvait pas être empruntée et que l'établissement de la Poste a été fermé plus tôt que les horaires prévus.
L'arrêt Anguet propose une alternative à la jurisprudence Pelletier qui distinguait purement et simplement la faute personnelle de celle de service (A) et propose une évolution plus favorable pour le justiciable en élargissant ses possibilités d'indemnisation (B).
On doit la distinction entre faute personnelle et faute de service à un jugement rendu par le Tribunal des conflits, l'arrêt Pelletier en date du 30 juillet 1873. C'est donc une jurisprudence ancienne qui a distingué ces deux fautes sans en délimiter les contours de manière explicite. Cette ancienne jurisprudence imposait donc la division de la réparation du préjudice devant les deux ordres administratif et judiciaire.
L'arrêt Anguet ouvre la voie à une solution alternative entre la distinction pure et simple entre les fautes personnelle et de service puisqu'il admet un cumul entre l'engagement de la responsabilité personnelle des agents et également celui de la responsabilité de l'administration. En effet, bien que la juridiction civile a ordonné l'indemnisation au civil du requérant et condamné les agents pour coups et blessures, la juridiction administrative ordonne la condamnation de l'État à réparer le préjudice subi par le requérant. Ainsi, il est possible d'obtenir pour un même préjudice une réparation civile et administrative.
Les conséquences de l'admission du cumul des responsabilités sont dans un premier temps une meilleure indemnisation du requérant puisqu'il peut obtenir une double indemnisation en quelque sorte. En effet, il n'est pas négligeable d'avoir deux opportunités pour voir son préjudice réparé. Si une des actions (civile ou administrative) échoue, le requérant aura toujours une deuxième chance d'obtenir gain de cause devant la juridiction de l'autre ordre. Cette sorte de seconde chance s'explique par l'existence de deux fautes distinctes.
Ensuite, la solution de l'arrêt Anguet permet l'évolution de la jurisprudence administrative qui passe de l'admission du cumul des fautes de service et personnelle en direction de la possibilité du cumul de responsabilités. En effet en 1949 le Conseil d'État, dans un arrêt Mademoiselle Mimeur, reconnaît la possibilité d'engager la responsabilité administrative et personnelle pour une même et seule faute qui sera alors considérée comme étant une faute de service et une faute personnelle. Il suffit que la faute personnelle puisse être rattachée au service pour que le cumul de responsabilités soit admis. Cette évolution est favorable à l'indemnisation des usagers et a pour défaut de flouer encore plus la limite entre la faute personnelle et la faute de service.