Énoncé du cas pratique

Caroline et Grégory se connaissent depuis bientôt dix ans. Leur rencontre à la salle de sport de leur quartier a été l'occasion d'un véritable coup de foudre. Ils emménagèrent quelques mois plus tard ensemble et le petit Hugo est arrivé un an plus tard.

En mai 2017, Grégory se lance : il demande Caroline en mariage et lui tend une magnifique bague qu'il a héritée de sa grand-mère, décédée quelques mois plus tôt.

Cependant, Grégory a fait la rencontre de Peggy dont il est tombé éperdument amoureux. Il décide alors, après de nombreuses interrogations, de rejoindre Caroline sur son lieu de travail et la quitter devant trois de ses collègues complètement choqués de la tournure des évènements. Caroline n'entend pas en rester là et décide de garder la bague qu'il lui avait offerte en cette si belle journée du mois de mai : après tout, elle a été humiliée publiquement !

Qu'en pensez-vous ?


Correction du cas pratique

Dans quelle mesure est-il possible pour l'ex-fiancée d'agir en responsabilité civile délictuelle pour l'obtention de dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de la rupture des fiançailles ?


1. Dans quelles conditions la rupture des fiançailles est-elle fautive ?

Depuis la décision QPC n 2013-669 du 17 mai 2013 du Conseil constitutionnel, il est rappelé que « la liberté du mariage » est l'une des composantes « de la liberté personnelle » elle-même protégée par les articles 2 et 4 de la DDHC. Le principe est alors celui de la liberté du mariage en droit français.

En d'autres termes, tout un chacun peut donc se marier avec la personne qu'il souhaite sous réserve de respecter les règles légales en la matière. Or cette même liberté signifie également le droit de ne pas se marier et donc, les futurs époux ou l'un d'entre eux peut tout à fait décider de changer d'avis et de décider de rompre les fiançailles. En ce sens, d'après une jurisprudence de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 4 janvier 1995, la seule rupture d'une promesse de mariage (les fiançailles) n'est pas en elle-même « génératrice de dommages et intérêts ». Cependant, si cette rupture est constitutive d'une faute « en raison des circonstances », alors une telle indemnisation peut être prononcée.

Mettre fin aux fiançailles n'est donc pas, en soi, constitutif d'une faute ; ce sont donc bien les conditions qui entourent cette rupture qui peuvent constituer une telle faute et qui exposent alors l'auteur de la rupture au versement de diverses indemnités au bénéfice de l'ex-fiancé(e).

Dans le cas d'espèce, Grégory n'était pas tenu de respecter son engagement d'épouser Caroline. Cependant, l'annonce brutale de cette rupture a été accompagnée par une humiliation publique pour Caroline. Il semble donc qu'au regard des circonstances de l'espèce, la rupture soit bien fautive.

Ainsi, sur le fondement des dispositions contenues au sein de l'article 1240 du Code civil qui prévoit le régime de la responsabilité personnelle, l'ex-fiancée peut assigner son ex-fiancé en responsabilité civile délictuelle pour l'obtention de dommages et intérêts, cette obtention prenant la forme d'une réparation de son préjudice moral.


2. Dans quelle mesure est-il possible pour une ex-fiancée évincée de conserver la bague de fiançailles qu'elle a reçue ?

Si l'on s'en tient aux dispositions de l'article 1088 du Code civil, l'ensemble des donations faites « en faveur du mariage » seront caduques si le mariage n'a pas lieu. Or ce texte n'intéresse que les donations, et non les cadeaux donnés entre fiancés dont le régime juridique est prévu directement par la jurisprudence.

La jurisprudence a donc créé des règles particulières qui dépendent de la valeur des cadeaux, s'il est de moindre valeur alors le ou la fiancé(e) évincé(e) peut les conserver d'après une jurisprudence de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 10 mai 1995 (n 93-15.187) ; s'il est de valeur importante, et bien évidemment en cas de rupture des fiançailles, l'autre fiancé(e) doit, par principe, les restituer, et ce, même dans le cadre de la bague de fiançailles. Cette seconde règle fut posée par la Première chambre civile de la Cour de cassation du 26 janvier 1988 (n 86-11.866). L'obligation sera toutefois faite à l'autre fiancé(e) de restituer l'ensemble des bijoux de famille qu'il ou elle aura reçus : cette règle résulte d'une décision de la Première chambre civile de la Cour de cassation du 30 octobre 2007 (n 05-14.258).

Lors de la demande en mariage, la bague offerte à Caroline semble être d'une valeur importante puisqu'il est mentionné que celle-ci est « magnifique » et qu'elle fut héritée de la grand-mère de Grégory. Au-delà de la valeur en cause, il s'agit véritablement d'un bijou de famille.

Donc, l'ex-fiancée devra nécessairement rendre ce bijou de famille pour le cas où l'ex-fiancé en demandait effectivement la restitution.