Énoncé
Michel, Charles et Richard sont trois enfants en classe de CE2. Suite à une partie de football qui dégénère, une dispute éclate rapidement dans la cour de récréation, avant même que les instituteurs ne puissent intervenir. Des insultes volent et, rapidement, l'échauffourée évolue en pugilat. Sous les invectives de Richard, Michel lance un magistral coup droit qui atteint Michel à l'oeil, lui causant un gros cocard. Dans la bataille générale et sans qu'il ne soit possible de déterminer comment, les lunettes de Michel se brisent et les bris de verre lui lassèrent le visage, fait d'autant plus surprenant que ces lunettes étaient garanties par l'opticien comme étant en verre organique et non minéral, donc sans risque de coupure en cas d'accident. Les parents de Michel sont furieux : une analyse révèle que les lunettes étaient en fait bel et bien en verre minéral et n'avaient pas subi le traitement antichoc pourtant indiqué sur la facture.
Résolution
I. La responsabilité de Michel et Richard pour le dommage physique de Charles
Lors d'une dispute entre Charles et Michel encouragée par Richard, Michel donne un coup de poing à Charles causant à celui-ci un oeil au beurre noir.
Charles peut-il demander réparation de son préjudice à Michel ?
La responsabilité civile se base sur l'article 1240 du Code civil qui dispose que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Et pour être engagée, cette responsabilité nécessite plusieurs éléments.
Tout d'abord, il n'y a pas de responsabilité sans dommage certain, direct et légitime. En l'espèce, le dommage est réel puisqu'il s'est déjà produit, il est direct puisque Charles est la victime et il est légitime puisque tout dommage physique constitue une atteinte au corps humain, qui est un intérêt légitime au sens de l'article 16-1du Code civil.
Ensuite, si le dommage est bien caractérisé, il faut établir un lien de causalité direct et certain entre le fait générateur du dommage et le dommage lui-même. Le fait générateur est d'après les faits un coup de poing asséné par Michel. Le lien de causalité est simple à remonter, puisque c'est le coup de poing qui a certainement et directement causé l'ecchymose périorbitale de Charles.
Cependant, l'article 1240 se base sur la théorie de la faute. Ainsi, pour voir si la responsabilité de Michel peut être engagée il faut étudier si le fait générateur est constitutif d'une faute. La notion, si elle n'a pas de définition légale ni jurisprudentielle expresse, peut se déduire des jurisprudences de la Cour de cassation, qui contrôle la qualification de faute par les juges du fond. Ainsi, pour qu'un comportement soit qualifié de faute il faut que ce dernier viole une règle établie - légale, réglementaire ou coutumière, voire des règles sportives -, tout en ayant la volonté de le faire. La caractérisation de la faute, elle se fait aisément puisque Michel viole une règle sociale qui prohibe la violence, ainsi même qu'une règle pénale interdisant les coups et blessures. Et sa volonté de donner les coups est inhérente au fait de les donner.
Ainsi la responsabilité de Michel peut être engagée et Charles peut demander des dommages et intérêts pour la douleur, et pour le préjudice esthétique. Si les encouragements de Richard peuvent sur le plan pénal caractériser une complicité par encouragement, son rôle est trop peu important pour entraîner une responsabilité solidaire des dommages avec Michel.
II. La responsabilité de l'opticien pour le dommage des lunettes
Au cours de cette bagarre entre Michel et Charles, la paire de lunettes de ce dernier se brise, le blessant au visage. Il ressort que contrairement aux dires de l'opticien et à ce que la facture indique, les lunettes n'étaient pas traitées contre les chocs et étaient faites de verre minéral, qui est plus fragile et donc moins adapté aux enfants que le verre organique.
L'opticien est-il responsable du dommage de Charles ?
D'abord, il convient de mentionner que le détail exact de la circonstance ayant entraîné la casse des lunettes, la responsabilité de Michel pour le dégât des lunettes et la blessure en découlant seront écartés.
Le dommage de Charles est certain puisqu'il s'est déjà produit, il est direct puisqu'il en est la victime et il porte atteinte au corps ce qui est un intérêt nécessairement légitime. La cause de ce dommage est la fragilité des lunettes, puisque si elles avaient été plus solides elles ne se seraient pas brisées et n'auraient donc pas blessé Charles. Cependant, il n'est pas sûr que si les lunettes avaient été plus solides ou de matière différente elles n'auraient pas tout de même causé le préjudice. Ainsi nous sommes en présence d'une perte de chance.
Le lien de causalité est certain et direct, puisque ce sont les bris de glas des lunettes qui ont entraîné directement les coupures au visage dont souffre Charles.
Si le fait de l'opticien constitue une faute, alors il sera responsable. En l'espèce, l'opticien a menti ou s'est trompé sur la composition et la fabrication des lunettes. Son action est donc contraire aux règles légales qui obligent le professionnel à être sincère sur sa marchandise. Si l'opticien était de bonne foi - ce qui serait extrêmement difficile à prouver - c'est alors contre le fabricant des verres qu'il faudrait se retourner. Le mensonge d'un professionnel est en outre constitutif du délit de tromperie sur la marchandise.
Ainsi, l'opticien est responsable civilement de sa faute, et il doit réparer le préjudice de Charles au titre de la perte de chance de ne pas briser les lunettes. C'est au juge de fixer le montant des dommages et intérêts en fonction des chances qu'il y avait pour que les lunettes ne se brisent pas si elles avaient été conformes à la facture. Dans le cas où ce ne serait pas le fait de l'opticien, mais celui du fabricant des verres, la solution resterait la même, mais il faudrait alors se retourner contre le fabricant et non contre l'opticien. Une dernière hypothèse pourrait voir la faute de l'opticien pour le traitement antichoc et celle du fabricant pour la matière des verres, ou vice versa, et dans ce cas la responsabilité du fabricant et de l'opticien pourrait conjointement être engagée.
Sources :
- Ph. Delebecque, Fr.-J. Pansier, Droit des obligations - Responsabilité civile - Délit et quasi-délit, 8e éd., LexisNexis, 2019.
- M. Fabre-Magnan, Droit des obligations. 2. Responsabilité civile et quasi-contrats, 4e éd., PUF, 2021.