Énoncé

Suite aux élections municipales de 2020, le nouveau maire de Maville est un véritable despote. Il a décidé de faire ce qu'il voulait dans Maville. La crise sanitaire et le développement de certains pouvoirs des maires n'aident pas à la restriction de sa folie des grandeurs. Ainsi, écologiste convaincu et souhaitant retrouver un air pur, le maire a décidé d'abord d'interdire purement et simplement la circulation automobile dans tout le bourg de la commune, à l'exception des services d'urgence. Il aurait déclaré vouloir que les touristes « puissent sentir le bon air frais de Maville ». Ainsi, dans un arrêté signé par ses soins du 1er juillet 2020, on peut lire, dans un article unique, « La circulation des véhicules automobiles est interdite dans le bourg de Maville ».

Durant l'été 2020 et en prévision de l'été 2021, un cinéma en plein air a également été installé dans la commune par une association. Pour sa sortie en 2020, et une réouverture des salles en 2021, l'association a décidé de diffuser le film Du soleil de Lucas Lucas. Toutefois, comme en 2020, le maire s'oppose à nouveau à la diffusion du film sur sa commune. Il aurait déclaré « hors de question que Du soleil passent dans Maville ». En tout état de cause, il a pris un arrêté d'interdiction en date du 31 mai 2021, qui fait suite à un arrêté identique du 1er juillet 2020.

Ayant appris que vous étiez étudiant(e)s en droit, un groupe d'habitants se tourne vers vous afin d'envisager les actions possibles contre ces décisions du maire pour libérer Maville.

 

Résolution

Le maire d'une commune décide de prendre un arrêté interdisant la circulation automobile de manière générale sur une partie du territoire, spécifiquement la partie constituant le village de la commune, par un arrêté du 1er juillet 2020, en motivant sa décision pour des raisons écologiques de pureté de l'air. De même, le maire de cette commune décide d'interdire la projection d'un film par deux arrêtés identiques en date du 1er juillet 2020 et du 31 mai 2021.

Deux questions de droit se posent alors. Le maire peut-il prendre un arrêté d'interdiction générale de circulation sur le territoire de sa commune ? (I). De même, le maire peut-il prononcer l'interdiction de la diffusion d'un film par un cinéma sur le territoire de sa commune ? (II).


I. L'illégalité de l'interdiction générale de circulation automobile

Le maire a signé un arrêté d'interdiction générale de circulation dans l'agglomération de Maville. Aux termes de l'article L2213-1 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), « le maire exerce la police de la circulation sur les routes nationales, les routes départementales et l'ensemble des voies publiques ou privées ouvertes à la circulation publique à l'intérieur des agglomérations ». Sur le principe, le maire est donc bien compétent pour édicter ce type d'acte : il est détenteur d'une police administrative spéciale relative à la circulation routière, qu'il exerce en plus de son pouvoir de police général issu de l'article L 2212-1 du CGCT.

Sur le fond, en revanche, les interdictions générales et absolues sont, par principes, interdites. La liberté est le principe, l'interdiction est l'exception, et la police administrative doit être mise en oeuvre avec proportionnalité. C'est ce qui résulte de l'arrêt Benjamin du Conseil d'État de 1933. En l'espèce, si le but poursuivi par le maire peut entrer dans ses pouvoirs de police, rien ne semble justifier l'interdiction générale et absolue.

De plus, la décision semble présenter une atteinte à la liberté du commerce et de l'industrie, issue du décret d'Allarde et de la loi Le Chapelier de 1791, et que le Conseil d'État a érigée en liberté invocable face aux arrêtés municipaux dans son arrêt Daudignac de 1951. En effet, par l'interdiction absolue de circulation, le maire entrave les livraisons des commerces du centre de l'agglomération.

Il résulte de ces éléments que l'arrêté du 1er juillet 2020 est évidemment illégal. Pour autant, il ne peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. En effet, les délais d'un tel recours sont de deux mois à compter de la publication. Si l'on suppose que l'arrêté a bien été publié, alors un recours direct est impossible. Puisque l'administration est tenue d'abroger un acte illégal ab initio, comme le Conseil d'État a pu le préciser dans sa décision Alitalia de 1989, codifiée à l'article L243-2 du Code des relations entre le public et l'administration (CRPA), il est possible de demander au maire l'abrogation de l'arrêté illégal. En cas de refus, il sera alors possible de saisir le Tribunal administratif compétent afin de demander l'annulation du refus d'abrogation et, dans le même temps, l'abrogation de l'arrêté litigieux. Il faut préciser ici qu'en cas de silence du maire deux mois après notification de la demande d'abrogation, le refus sera considéré comme implicite et le délai de recours commencera à courir.

 

II. L'illégalité de l'interdiction de diffusion d'un film en l'absence de circonstances locales

Le maire, par deux arrêtés, interdit la diffusion du film Du soleil au cinéma sur le territoire de sa commune. Bien qu'il ne semble pas avancer de motif spécifique, on peut admettre que cette interdiction résulte de son pouvoir général de police de l'article L 2212-1 du CGCT, qui dispose que « le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale ». Plus spécifiquement, l'article L2212-2 du CGCT précise que « la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ».

Toutefois, la police relative au cinéma est une police spéciale, qui n'est pas donnée au maire et n'ai pas, par principe, inclue dans la police municipale. Il s'agit d'un pouvoir de police octroyé au Ministre chargé de la culture, comme en dispose le premier alinéa de l'article L 211-1 du Code du cinéma et de l'image animée.

À première vue, le maire n'est donc pas compétent pour interdire la diffusion d'un film qui a reçu un visa national. Il arrive néanmoins qu'il y ait concours de police. Il s'agit des cas où collaborent deux autorités de police à différents niveaux. Le Conseil d'État a pu reconnaître un tel concours dans son arrêt de 1959 Société Les Films Lutétia concernant la police du cinéma, à la condition toutefois qu'existent des « circonstances locales » spécifiques à même de justifier l'interdiction du maire.

En l'espèce, aucune circonstance locale n'est mobilisée par le maire et ne semble invocable, en prenant en compte que la jurisprudence Lutétia du Conseil est datée et n'a jamais été réitérée. Les deux arrêtés sont donc manifestement illégaux, et celui en date du 31 mai peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, qui sera certainement accueilli par le Tribunal administratif compétent.

 

Sources :
- C. Broyelle, Contentieux administratif, 8e éd., LGDJ, 2020

- J. Morand-Deviller (et al.), Droit administratif
, 16e éd., LGDJ, 2019