Enoncé
Solution
Rappel des faits
Question de droit
Résolution
Enoncé
Monsieur Becquos, informaticien, est déclaré en redressement judiciaire le 10 novembre 2016. La date de cessation des paiements a été fixée au 10 mars de la même année. Les actes suivants ont été relevés :
- Le 29 avril, Monsieur Becquos et son épouse, avec laquelle il est marié sous le régime de la communauté légale, donnent à leur fils unique, devenu majeur, la propriété des parts d'une société civile immobilière dont ils détenaient jusqu'ici 100% du capital. Il s'agit d'un immeuble de rapport qui avait été acquis par les époux en vue, disent-ils, de le transmettre à leur fils pour lui permettre de « bien démarrer dans la vie ». Le même jour, ils lui ont offert un véhicule automobile pour lui permettre de relier la faculté de droit à leur domicile.
- Au mois de juin, Monsieur Becquos a cédé pour une somme modique un vieux stock de matériel informatique à Mlle Candice LOUPE qui a ouvert près de son magasin une boutique de matériel informatique d'occasion.
- Le 18 septembre, Monsieur Becquos déclare auprès de son notaire sa résidence principale insaisissable.
- Le 5 octobre, Monsieur Becquos obtient de la banque « Société Particulière » une ouverture de crédit de 50 000 euros. En garantie de cette opération et du solde débiteur du compte courant de Monsieur Becquos, la « Société Particulière » obtient de celui-ci qu'il hypothèque sa résidence secondaire.
À l'ouverture du redressement judiciaire, le compte courant dont Monsieur Becquos est titulaire dans les livres de la « Société Particulière » est débiteur de 35 000 euros.
Vous avez été désigné mandataire judiciaire dans la procédure ouverte contre Monsieur Becquos. Que pensez-vous de la validité des actes ainsi accomplis ?
Solution
Un informaticien est déclaré en redressement judiciaire et la date de cessation des paiements est fixée plusieurs mois en amont. Le mandataire judiciaire dans la procédure ouverte contre cet informaticien s'interroge sur la validité de certains actes accomplis durant la période suspecte.
Ces actes accomplis pendant la période suspecte sont-ils valides ?
La période suspecte est la période s'étendant de la cessation des paiements au prononcé du jugement d'ouverture du redressement judiciaire. Conformément aux articles L 632-1 et suivants du Code de commerce, certains actes effectués au cours de cette période sont suspectés d'irrégularité et encourent la nullité. À cet égard, l'article L 632-1 pose une liste des actes susceptibles d'une annulation de plein droit ou alors annulables par le tribunal durant cette période. Il faut combiner cet article avec l'article L 632-2 du Code de commerce qui précise les actes de la période suspecte qui sont frappés d'une nullité facultative.
I) Le cas des donations
L'article L 632-1 du Code de commerce énonce que « tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière » sont « nuls, lorsqu'ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements ». Par conséquent, tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière peuvent être annulés.
Se pose la question de savoir ce qu'il se passe lorsque deux époux sont mariés sous le régime de la communauté et qu'il y en qu'un seul des deux qui est soumis à une procédure collective. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a pu répondre à cette question dans un arrêt du 7 avril 2009 dans lequel elle a considéré, s'agissant de la donation de bien commun, que la nullité d'un acte à titre gratuit portant sur un bien commun atteint l'acte dans son entier. L'intégralité de la donation sera donc annulée.
En l'espèce, les époux ont donné à leur fils unique la propriété des parts d'une SCI dont ils détenaient jusqu'ici 100% du capital ainsi qu'un véhicule automobile. Les époux ont donc fait donation de deux biens communs : les parts de la SCI et le véhicule. Ces donations pourront être annulées au titre des nullités de la période suspecte puisque la nullité atteint l'acte dans son entier.
II) Le cas de la cession
L'article L 632-1 du Code de commerce énonce que « tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l'autre partie » est nul lorsqu'il est intervenu depuis la date de cessation des paiements. Ce qu'il faut retenir lorsque l'on parle de contrat commutatif c'est l'idée d'équivalence entre les prestations des deux parties. Attention, il ne doit pas s'agir d'un simple déséquilibre puisque le Code nous dit que ce doit être « notable », c'est-à-dire être un déséquilibre important.
La jurisprudence confirme également que lorsque les obligations de la société débitrice excèdent notablement celles de l'autre partie alors cela peut entraîner la nullité de la vente (à propos d'un fonds de commerce : Cour de cassation, Chambre commerciale, 18 janvier 2000, n° 97-14.347).
En l'espèce, l'informaticien a cédé pour une somme modique un vieux stock de matériel informatique. Il est donc difficile de mettre au jour un contrat déséquilibré puisque l'on nous parle de « vieux stock » cédé pour une « somme modique », il ne semble donc pas y avoir de déséquilibre notable entre la valeur des stocks et le prix payé. On ne peut donc pas dire à coup sûr qu'il y aura une nullité de droit. En revanche, il peut être possible d'envisager une nullité facultative, car il s'agit bien d'un acte à titre onéreux. En effet, s'agissant d'un acte à titre onéreux entrant donc dans les nullités facultatives, il faudra prouver, pour que celui-ci puisse être annulé, que celui qui a traité avec le débiteur avait connaissance de l'état de cessation des paiements de ce dernier. Rien ne semble nous indiquer cela en l'espèce, ce qui veut dire que cela ne doit pas être le cas. Par conséquent, l'acte ne sera pas nécessairement annulé.
III) La déclaration d'insaisissabilité
Le point 12 de l'article L 632-1 du Code de commerce indique que « la déclaration d'insaisissabilité faite par le débiteur en application de l'article L. 526-1 » est nulle lorsqu'elle est intervenue depuis la date de cessation des paiements.
En l'espèce, Monsieur Becquos a déclaré auprès de son notaire l'insaisissabilité de sa résidence principale, et ce après la date de cessation des paiements. Par conséquent, la déclaration d'insaisissabilité de sa résidence principale auprès de son notaire pourra être annulée au titre des nullités de la période suspecte.
IV) Le cas de l'hypothèque de la résidence secondaire
Le point 6 de l'article L 632-1 du Code de commerce énonce que « toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l'hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées » est nulle lorsqu'elle est intervenue depuis la date de cessation des paiements.
Cependant, lorsque la sûreté est constituée en période suspecte pour garantir le solde du compte courant alors celle-ci est valable dès lors qu'une avance nouvelle a été accordée postérieurement à sa constitution par le banquier (Cour de cassation, chambre commerciale, 11 février 1970). La garantie, en revanche, est nulle si la banque profite de cette extension de garantie pour garantir les dettes antérieures et postérieures.
En l'espèce, l'informaticien a obtenu auprès de la banque « Société Particulière » une ouverture de crédit de 50 000 euros. En garantie de cette opération et du solde débiteur du compte courant de l'informaticien, la banque « Société Particulière » obtient de celui-ci qu'il hypothèque sa résidence secondaire. À l'ouverture du redressement judiciaire, le compte courant dont il est titulaire est débiteur de 35 000 euros. La banque a obtenu une sûreté pour garantir à la fois l'ouverture de crédit nouvelle, mais également le solde débiteur du compte courant. Or la garantie est nulle si la banque profite de cette extension de garantie pour garantir les dettes antérieures et postérieures. Ce qui est bien le cas ici puisque l'hypothèque sert de garantie à la fois au crédit, mais également au solde débiteur du compte courant qui est une dette antérieure.
Par conséquent, l'hypothèque sur la résidence secondaire de l'informaticien pourra être annulée au titre des nullités de la période suspecte.
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