Énoncé
Vous êtes juriste et travaillez dans les services juridiques de M. le maire de Brie-en-France. Ce dernier vous fait part de son inquiétude. Conformément à la décision du gouvernement concernant la crise sanitaire de la Covid-19, M. le maire a pris, le 25 mars 2021, un arrêté d'interdiction de rassemblement de plus de six personnes. Or M. Tartempion a décidé de maintenir le dîner de gala annuel de son association, « Les Amis de Brie-en-France ».
Le 1er février 2021, M. Tartempion, par l'intermédiaire de la page Facebook de son association, invitait, ses contacts à l'événement en ces termes : « Oyez, amis de Brie-en-France ! Ici Tartempion, votre généreux hôte. Faîtes perdurer, en ces temps de résistance face à la dictature sanitaire, les grandes figures de notre village. Nous avons résisté à la peste noire ; nous résisterons bien au coronavirus que diable ! Venez vite. Ticket : 30 euros. Rassemblement en famille autorisé. Se faire discret ».
De plus, M. le maire a été alerté par le biais de ses collaborateurs que M. Tartempion aurait appelé à faire usage d'une « résistance citoyenne la plus complète » si le bailleur de la salle des fêtes communale, le centre communal d'action sociale (CCAS), ne laissait pas se dérouler le dîner annuel. Après vérification, ce message a bien été posté sur le mur Facebook de l'association le lendemain de l'annonce de la mairie de restreindre la tenue de réunions publiques, soit le 26 mars 2021.
Le maire de Brie-en-France s'est finalement rendu à la salle des fêtes le jour de la tenue du dîner annuel de l'association, accompagné de deux policiers municipaux. Le ton s'est échauffé entre M. le maire et M. Tartempion et l'altercation a dégénéré. Au cours de cette dernière, M. Tartempion a proféré des menaces de mort à l'encontre du maire. Dans un accès de fureur, M. le maire a répondu qu'il ferait en sorte que M. Tartempion n'ait plus jamais accès aux infrastructures communales. M. Tartempion a réitéré ses menaces de mort et l'un des deux agents de police municipale a giflé M. Tartempion. M. le maire n'a pas agi.
De retour à la mairie, M. le maire regrette de n'avoir rien fait, mais tient à ce que son autorité soit respectée sur le territoire de la commune. Il sollicite votre aide pour tirer toute cette affaire au clair et déterminer les responsabilités juridiques attachées à son statut de maire, de M. Tartempion et de l'agent de police municipale.
Corrigé
Depuis mars 2019, la France subit de plein fouet la pandémie de Covid-19. Le droit, pour faire face à la situation sanitaire, a dû s'adapter. Ainsi le législateur a-t-il mis en oeuvre des dispositifs d'accompagnement de résorption des effets de la crise, au premier chef desquels les leviers de garantie de la sûreté et de l'ordre publics. À cet effet, l'élu local est particulièrement mobilisé : le maire occupe une place centrale dans le rôle dévolu aux pouvoirs publics durant cette crise. En l'espèce, M. le maire de Brie-en-France a respecté les consignes du gouvernement qui, par l'intermédiaire du préfet, ont dû lui être transmises. Cependant, en se heurtant à la résistance de M. Tartempion, président de l'association, M. le maire avait un devoir de faire entrer en vigueur les dispositions prévues par l'arrêté d'interdiction de rassemblement de plus de six personnes sur le territoire de sa commune, y compris par le concours de la force publique. Il s'ensuit que l'entêtement dans la volonté active de commission d'un délit pénalement répréhensible - le maintien du rassemblement de l'association, y compris par l'incitation - et les menaces de mort proférées par M. Tartempion attendent une réponse de la part du maire. L'acte délibéré de l'agent de police municipale engage cependant sa responsabilité professionnelle et personnelle.
Dès lors, dans quelle mesure peut être engagée la notion transversale de responsabilité, y compris administrative, entraînant réparation des préjudices subis par les parties concernées ?
La première partie de la résolution entraînera la convocation de cette notion de responsabilité administrative du maire et de l'agent de police municipale. La seconde partie s'intéressera à l'identification des préjudices et la soumission des réparations engendrées de ces préjudices.
I – La responsabilité administrative du maire et de l'agent de police municipale
A – Le maire en tant qu'officier de police judiciaire avec le concours de la force publique
M. le maire jouit de prérogatives administratives décisives dans l'organisation de la préservation de l'ordre public. Il agit en tant qu'officier de police judiciaire (OPJ) selon l'article 16 du Code de procédure pénale (CPP). C'est sous l'autorité du préfet, qui a délégué la charge exécutoire au maire sur le territoire de la commune, que l'arrêté du maire traduit une disposition gouvernementale. Ainsi, « l'arrêté d'interdiction de rassemblement de plus de six personnes » du 25 mars 2021 pris par le maire a dû faire suite à la demande du préfet. Il s'ensuit que le maire dispose, dans le cadre de la mise en vigueur de son arrêté, des pouvoirs de police : c'est au titre de ses pouvoirs de police administrative qu'il intervient en se rendant « à la salle des fêtes le jour de la tenue du dîner annuel de l'association, accompagné de deux policiers municipaux » pour empêcher la tenue de ce rassemblement. De plus, ce rassemblement s'est maintenu après la proclamation et l'affichage de l'arrêté et M. Tartempion, président de l'association, a explicitement insisté en exhortant ses contacts à désobéir frontalement à l'arrêté du maire.
B – La préservation de l'ordre public : l'obligation d'intervention du maire
En effet, c'est par l'intermédiaire de ses pouvoirs de police administrative générale que le maire peut agir pour prévenir tout trouble à l'ordre public susceptible d'arriver. En l'espèce, la situation était particulièrement caractérisée : il exerce ses compétences sous l'autorité du préfet, en tant que délégataire de la puissance publique de l'État telle qu'arrêtée pour la sûreté générale à l'article L. 2122-27 du Code général des collectivités territoriales (CGCT). La compétence du maire est tout à fait admise, dès lors qu'il s'agit de préserver l'ordre public, objet de l'action du maire en l'espèce selon le critère de finalité (CE 1951 Baud). Or assurer la sécurité des biens et des personnes, dans le cadre du maintien de l'ordre public, relève bien d'une opération de police administrative (CE 1978 Société le Profil). Si le maire, agissant en tant que fonctionnaire, refusait d'exercer les prérogatives qui sont attachées à son statut en la matière, il encourt une responsabilité forte puisqu'elle peut être mise en cause auprès du tribunal administratif (CE 1972 Marabout). Cependant, en se faisant accompagner légitimement de deux agents de police municipale, le maire ne pouvait cependant demeurer dans l'inaction quand « l'un des deux agents de police municipale a giflé M. Tartempion ». À ce titre, l'agent de police (et le maire pour inaction) peuvent être déférés devant les juridictions administrative et pénale (TC 1935 Thépaz) puisque le cumul d'une infraction pénale et d'une faute de service est identifiable.
II – Les préjudices identifiables et potentiellement soumis à réparation
A – Les préjudices dont peut se prévaloir le maire
Le maire peut se prévaloir du préjudice d'avoir subi des menaces de mort et de n'avoir pas vu son autorité respectée lors de la mise en vigueur de l'arrêté municipal, conformément aux dispositions du gouvernement. Il peut porter plainte contre M. Tartempion pour avoir subi des menaces de mort. Or les menaces de mort sont sanctionnées par une peine d'emprisonnement maximale de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende (Code pénal, art. 222-17). La circonstance est aggravante dans la mesure où elles ont été dirigées contre un OPJ.
B – Les préjudices dont peut se prévaloir le président de l'association
Le président de l'association, M. Tartempion, a été giflé par l'agent de police municipale. Pour cela, il est clair qu'il peut déférer au pénal l'action délictueuse de l'agent de police municipale, mais également le maire pour non-intervention et absence de rappel à l'ordre de la part du maire qui occupe la charge d'OPJ. En effet, la responsabilité de l'État dans les actes de police peut être engagée (CE 1905 Tomaso Grecco) et M. le maire agissait (en n'agissant pas) en qualité de fonctionnaire, à l'instar de l'agent. M. Tartempion peut enfin ester en justice près le tribunal administratif en ce que la responsabilité de l'administration dans la faute de ses agents est également engagée (CE 1918 Epoux Lemonnier).
Sources : Grands arrêts de jurisprudence administrative, Paris, Dalloz, 22e édition, 2019
Vie-publique.fr : https://www.vie-publique.fr/fiches/19617-les-fonctions-les-pouvoirs-dun-maire https://www.vie-publique.fr/en-bref/274151-pouvoirs-des-maires-et-coronavirus-une-decision-du-conseil-detat
La Gazette des communes : https://www.lagazettedescommunes.com/729194/rassemblements-de-plus-de-6-personnes-une-infraction-complexe-a-verbaliser/
Gouvernement.fr : https://www.seine-et-marne.gouv.fr/Politiques-publiques/Collectivites-locales/COVID19/Continuite-du-fonctionnement-des-collectivites-et-EPCI