Quels étaient les faits de l’espèce et la procédure ?

Il ressort des faits de l’espèce qu’à l’occasion d’un jeu de cache-cache entre enfants, une enfant qui se cache sous un meuble bouscule, alors qu’elle surgit de dessous le meuble, son ami qui lui renverse le contenu d’une casserole remplie d’eau bouillante. Celle-ci subit des brûlures et sa mère décide d’assigner le gardien de l’autre enfant pour obtenir réparation du préjudice subi.

Dans sa décision rendue le 27 janvier 1994, la Cour d’appel de Besançon a fait droit à la demande en réparation formulée par la mère de l’enfant blessée, la Cour ayant considéré qu’aucune faute n’avait été en effet commise par la victime : en d’autres termes, il n’était pas possible à l’auteur du dommage dont elle se plaint de s’exonérer de sa responsabilité. Mécontent de cette décision, un pourvoi en cassation est formé et la Cour de cassation rend son arrêt le 28 février 1996.

Qu’ont retenu les juges de la Cour de cassation ?

Dans notre cas d’espèce ici jugé et rapporté par la Deuxième chambre civile, il ressort de cette décision que l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Besançon deux ans auparavant est cassé et annulé.

La question de droit qui se posait alors était celle de savoir dans quelles mesures la faute d’un enfant qui est dépourvu de discernement peut-elle être reconnue à son encontre ?


Pour répondre à cette question, la Cour de cassation considère dans un premier temps qu’il est possible de retenir une faute civile commise par un enfant même si celui-ci est dépourvu de discernement en regard de son bas âge. Ici, la Cour de cassation ne relève rien d’autre que sa jurisprudence de 1984 (cf. arrêts Derguini et Lemaire du 09 mai 1984) et en profite pour en asseoir davantage le principe, à savoir : l’abandon de l’exigence d’imputabilité de la faute.

Dans un second temps, la Cour de cassation va plus loin car elle nous permet de comprendre comment est en effet appréciée la faute de l’infans, de l’enfant en bas âge. En l’espèce, la Cour a écarté toute faute contre l’enfant concerné et donc à l’encontre de la victime et qui aurait pu concourir à la réalisation de son propre dommage dans la mesure où « [le comportement de l’enfant] était parfaitement prévisible et naturel dans le contexte au cours duquel il s’est produit ».

Ici, la Cour d’appel de Besançon avait procédé à une appréciation in concreto au regard de la faute de l’infans (dans tous les cas, elle avait arrêté son attention sur son bas âge). En d’autres termes, elle avait comparé le comportement de l’enfant en l’espèce au comportement d’un enfant normal et, d’une certaine manière, s’était inscrite en contradiction avec les arrêts rendus par l’Assemblée plénière en 1984 susmentionnés. Au regard du contenu de cette décision rendue par la Cour d’appel, celle-ci revient en vérité à réinstaurer l’irresponsabilité civile de l’enfant en bas âge en ce qu’un enfant qui est privé de discernement peut n’avoir pour autre comportement qu’un comportement imprudent : ce comportement n’apparaitrait donc pas anormal.


Dans notre cas d’espèce, les juges de la Deuxième chambre civile de la Cour de cassation ont retenu que le comportement de l’enfant en bas âge doit être apprécié par rapport, non pas au même comportement qu’aurait eu un enfant du même âge, mais bien par rapport au comportement qu’aurait adopté dans les mêmes circonstances « le bon père de famille ». Par opposition avec la Cour d’appel de Besançon, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français a décidé de procéder en pareille hypothèse à une appréciation in abstracto afin que puisse être appréciée la faute de l’enfant. Ainsi, la Cour de cassation répond par la positive à notre question de droit : la faute d’un enfant, quand bien même ce dernier est dépourvu de discernement, peut valablement être retenue contre lui-même.

Retenons la règle suivante formulée par la Deuxième chambre civile : la faute commise par un enfant peut valablement être retenue contre lui-même peu importe qu’il soit capable de discerner les conséquences de son acte et que ce comportement en cause « constituait une faute [qui a] concouru à la réalisation du dommage » en cause. Ainsi, la faute de la victime aura pour conséquence la reconnaissance d’une exonération partielle du responsable du dommage. Dit autrement, pour les juges de la Cour de cassation, le comportement d’un enfant, même en bas âge, ne saurait être excusé du fait précisément de son âge.

Eu égard à la notion de responsabilité du fait personnel, est-ce que cette notion de faute continue d’exister ? Il est intéressant de noter que, logiquement, plus l’enfant est jeune, moins ce dernier adoptera un comportement qui se rapprochera de celui du bon père de famille, dans des circonstances analogues. La responsabilité civile de cet enfant pourra ainsi être retenue sans trop de difficultés. Toutefois il sera nécessaire de rechercher la caractérisation d’une faute de sa part afin que cette responsabilité puisse être engagée puis retenue car ne l’oublions pas : le simple fait dommageable ne saurait suffire à la reconnaissance de cette responsabilité. Dans tous les cas, il existe une autre règle juridique qui pourrait être actionnée afin de permettre la réparation du préjudice qui a été causé à la victime, à savoir : les dispositions contenues au sein de l’article 1243, al. 4, du Code civil, précision étant faite sous ce rapport qu’il s’agira là d’une responsabilité de plein droit.

Notons en fin de de compte que nombre d’auteurs de la doctrine, par opposition aux règles prétoriennes établies par les différentes jurisprudences précitées de la Cour de cassation, désirent que les juges se réfèrent, pour apprécier le comportement de l’enfant en cause, au modèle d’un enfant du même âge.