Le 30 janvier 1879, soit exactement trente ans plus tard, il devient le premier président de la Troisième République, issu des rangs républicains. Si les députés et sénateurs envoient, ce jour-là, à l’Élysée un ennemi déclaré du pouvoir personnel, ils ne savent pas encore que cet homme d’Etat donnera son nom à une certaine pratique du pouvoir, respectée à la lettre par ses successeurs. On parle ainsi de « Constitution Grévy », pour reprendre l’expression du constitutionnaliste français Marcel PRELOT.

Dès lors, il convient de se demander : Dans quelle mesure l’adoption de la Constitution Grévy marque-t-elle un tournant juridique majeur dans l’histoire de la République française ?

Nous verrons tout d’abord que cette Constitution Grévy amène à un renouvellement du rôle du président au sein de la Troisième République. Nous montrerons ensuite que si le rôle du président est désormais modifié, ce n’est en rien le seul puisque les organes clés du régime républicain le sont également, non sans conséquences.

I – Renouveler le rôle du président de la Troisième République


a)    Vers un effacement progressif de la figure présidentielle


Comme nous l’avons précédemment expliqué, Jules Grévy se déclare dès la moitié du XIXème siècle fortement hostile à l’institution présidentielle. Selon lui, le président serait une figure républicaine à qui il aurait été accordé trop de pouvoirs. En opposition à cette vision d’un président tout puissant, Grévy renonce à s’opposer au pouvoir législatif, en refusant notamment d’utiliser le droit de dissolution dont il dispose. Il affirme alors sa volonté de ne pas s’opposer à la volonté nationale qu’incarneraient l’Assemblée nationale et le Sénat, autrement dit les organes constituants de la Troisième République. A travers ce choix, Grévy va ainsi placer l’exécutif sous la domination du pouvoir législatif, effaçant alors le chef d’Etat de la scène politique française.

b)    Un enracinement de la république


La Constitution Grévy pérennise, par ailleurs, les symboles de la République, grâce aux mesures mises en place. En effet, dans la révision de la Constitution qui a lieu du 19 au 21 juin 1879, plusieurs symboles de la Républiques sont définitivement adoptés. C’est le cas de La Marseillaise, chant révolutionnaire interdit après 1815, qui devient officiellement l’hymne national français. De manière similaire, le 14 juillet est institutionnalisé comme étant désormais le jour de fête nationale. Le drapeau tricolore est confirmé comme symbole de la nation française.

Coiffée du bonnet phrygien, Marianne, emblème de la République en 1792, devient la figure du régime. Elle est dès lors, l’allégorie de cette République triomphante et son buste orne les mairies des communes françaises mais également le quotidien des Français, à travers les pièces de monnaie ou encore sur les timbres. Enfin, dans une perspective géographique, les deux Chambres, à savoir l’Assemblée nationale et le Sénat sont transférées à Paris tandis que le palais de l’Elysée constitue dorénavant la demeure du président en fonction.


II – Repenser le rôle des institutions de la Troisième République

a)    L'ensemble des institutions affectées


Si la figure présidentielle est bien modifiée, c’est en réalité, l’ensemble des institutions de la Troisième République qui sont repensées. Dès lors, la Troisième République fait face à une très forte instabilité ministérielle. On parle ainsi de « la valse des Ministères ». A cette forte instabilité ministérielle, s’ajoutent l’immobilisme gouvernemental et sa grande incapacité à réagir, puisque le régime n’est désormais soumis à aucune autorité politique. Enfin, force est de constater l’existence d’une certaine hypertrophie de la souveraineté parlementaire qui est dorénavant reléguée au seul « légicentrisme ». Par conséquent, c’est non seulement le pouvoir exécutif qui est affecté mais également le pouvoir législatif français, instauré par la Troisième République mise en place.

b)    Le déséquilibre des pouvoirs


La Troisième République correspond par ailleurs à un régime d’assemblée de faits. En effet, un parlementarisme à la française s’installe, grâce à la Constitution Grévy. Avec cette dernière, la Troisième République passe alors d’un régime parlementaire orléaniste à un régime parlementaire moniste, dans lequel l’exécutif n’a presque plus de moyens de pression sur le législatif. Tandis que l’on assiste à l’émergence d’un régime d’Assemblées, le radical Léon Gambetta déclare ainsi : « Depuis hier, nous sommes en République ».Par conséquent, les conséquences pour la Troisième République de la Constitution Grévy sont profondément durables, symbolisées par un déséquilibre pérenne des pouvoirs en France.



Conclusion

Pour conclure, l’adoption progressive de la Constitution Grévy, dès 1879, marque bien un tournant juridique majeur dans l’histoire de la République française. En effet, cette constitution, qui est par la suite respectée à la lettre par les successeurs de Jules Grévy, propose de nouvelles approches des éléments phares de la Troisième République. En ce sens, cette Constitution Grévy amène tout d’abord à un renouvellement du rôle du président au sein de ce régime républicain. Si le rôle du président est désormais repensé, ce n’est cependant pas le seul à être modifié puisque tous les organes et institutions de la Troisième République se voient peu à peu transformées, entrainant ainsi un déséquilibre des pouvoirs, qui finira par être finalement fatal au régime instauré.



Sources
AGULHON, Maurice. Marianne au combat. L’imagerie et la symbolique républicaines de 1789 à 1880, Paris, Flammarion, 1979.
AGULHON, Maurice. La République de 1880 à nos jours, Paris, Hachette, collection « Histoire de France », tome 5, 1990.
PRELOT, Marcel. « La constitution Grévy », Précis de droit constitutionnel. Paris, Dalloz, 1955.