Ces créations jurisprudentielles étaient incertaines et le demeurent, bien qu'elles persistent toujours (I). La méthode de la distinction est elle aussi d'origine prétorienne puisqu'elle est expliquée par le CE dans sa décision du 16 novembre 1956, Union syndicale des industries aéronautiques. L'identification est réalisée dans un ordre établi : d'abord considérer s'il existe une qualification textuelle expresse. Ou, alors, qualifier le service public d'après sa véritable nature en s'appuyant sur les trois critères dégagés dans la décision Union syndicale des industries aéronautiques (II).


I. Origines et persistances de la distinction SPIC/SPA

A. Les origines de la distinction SPIC/SPA

            Il est courant de dater l'apparition de la notion de SPIC à la décision Bac d'Eloka du Tribunal des conflits du 22 janvier 1921. Pourtant, cette naissance relève du mythe, en effet la décision ne fait nullement mention de la notion. Elle n'est pas plus citée dans la décision Conseil d'État, Commune de Mesle-sur-Sarthe du 3 février 1911 qui est parfois elle aussi présentée comme décision de naissance des SPIC.

            Il faut en réalité faire remonter la notion à la décision du Conseil d'État du 23 décembre 1921, Sté générale d'armements. Le juge cite alors les « services publics industriels » pour s'arroger le contentieux de certaines activités à l'initiative et sous le contrôle de la puissance publique.

B. La persistance de la distinction aux nouvelles catégories de services publics

            La distinction SPA/SPIC survit à la catégorie éphémère des « services publics sociaux » crée par le Tribunal des conflits le 22 janvier 1955 afin de soumettre au juge judiciaire le contentieux des activités de service public poursuivant « un but d'intérêt social » exécutées dans des conditions similaires à des personnes ou institutions de droit privé ». Ces « services publics sociaux » disparaissent le 4 juillet 1983 avec la décision Gambini du Tribunal des conflits.

            La distinction résiste également au droit de l'Union européenne, puisqu'elle en reste relativement indépendante. En effet, les distinctions établies par le droit interne et le droit de l'Union européenne emportent des conséquences juridiques distinctes. Les SIEG couvrent des activités ne se superposant pas exactement à celles des SPIC. Certains SPA sont des SIEG, tels que les cantines scolaires. Toutefois, sauf qualification législative interne sans rapport avec l'objet réel du service, les SPIC sont tous des SIEG.

II. Méthode d'identification des SPA et des SPIC

A. La qualification textuelle expresse

            Le Code général des collectivités territoriales comprend des dispositions qualifiant expressément certaines activités de SPIC. C'est le cas du réseau public de chaleur et de froid, à l'article L. 2224-38, du service public de l'eau et de l'assainissement à l'article L. 2224-1, des remontées mécaniques et des pistes de ski à l'article L. 342-13 du Code du tourisme, illustré par la décision du CE du 2021, Syndicat mixte de Savoie Grand Revard. Rarement, le législateur refuse la qualification de SPIC en qualifiant directement dans le texte qu'une activité est un SPA, c'est le cas de la gestion des eaux pluviales urbaines, au titre de l'article L. 2226-1 du Code général des collectivités territoriales. Ainsi que l'illustre la décision du 23 juillet 2014 du CE SUD travail-affaires sociales, les travaux préparatoires peuvent être utilisés pour dégager l'intention du législateur.

            Classiquement, les services publics et établissements publics sont confondus et conduisent les juges à déduire de la qualification législative de l'établissement public la qualification du service public qu'il gère, par exemple dans la décision Boulangerie de Kourou du 24 avril 1978. Aussi, le juge considère régulièrement que la qualification législative d'EPIC fait présumer la nature de SPIC de l'activité « à l'exception de ceux relatifs à celles de ses activités qui, tels la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique », par exemple dans l'arrêt du CE du 3 octobre 2018, Sonorbois.

            De même, la qualification d'EPA fait présumer que les activités non marchandes qui sont l'accessoire de la mission principale d'un établissement sont des SPA. (TC, 17 novembre 2003, SARL Horse Business c/ École nationale vétérinaire de Nantes). Par cette jurisprudence, le juge s'attache à diminuer le nombre d'établissements publics à « double visage », comme l'ONF (TC 9 juin 1986, Office national des forêts), et ceux à « visage inversé », comme l'ANPE, (CE, 9 juillet 1997, ANPE).

            Le juge peut nier la qualification réglementaire d'un établissement public afin de faire coïncider la nature du service public avec celle du gestionnaire en le requalifiant, comme le fait le TC dans son arrêt du 24 juin 1968 Distilleries bretonnes.

            Enfin, sans qualification textuelle de la nature de l'établissement public, le juge déduit cette nature de la qualification du service public qu'il assure. Par exemple, les caisses de crédit municipal sont des d'EPA, car gèrent un SPA, selon la décision du TC du 22 septembre 2003, Thomas contre Crédit municipal de Dijon.

B. La qualification selon les critères jurisprudentiels de l'arrêt USIA

            Premièrement, c'est celui qui invoque la qualité de SPIC d'une activité qui doit la démontrer. La jurisprudence établit ensuite que pour qualifier un service public qui n'est pas qualifié par un texte, il faut partir du principe que « tout service public est présumé administratif, la présomption pouvant être renversée si, du triple point de vue de son objet, des modes de financement, de ses modalités de fonctionnement, le service apparaît semblable à l'activité « d'un industriel ordinaire ». Dès lors, si une de ces trois conditions n'est pas satisfaite, l'activité peut être un SPA. Aussi, un service public peut changer de qualification si deux des trois conditions de l'arrêt USIA sont satisfaites, mais qu'une des trois varie en fonction des circonstances. Par exemple pour le service d'enlèvement des ordures ménagères. S'il est financé par une redevance, c'est un SPIC, si par une taxe d'enlèvement, c'est un SPA, comme l'explique le CE le 10 avril 1992 dans son arrêt SARL Hofmiller.

            Cette technique dite du faisceau d'indices n'est cependant pas toujours vraiment fiable. Parfois, pour le juge, un seul critère se révèle déterminant pour qualifier l'activité. Par exemple, le critère du mode de fonctionnement l'a été dans l'arrêt du 18 octobre 1957 du CE, Brébant.

            1) Le critère de l'objet

            Ce critère peut hélas se révéler subjectif. En effet, beaucoup de SPA ont des activités de vente de services ou de production, par exemple les établissements français du sang dans l'arrêt du CE du 27 octobre 2000, Mme Torrent. L'instabilité de cette condition est liée aux évolutions de la perception d'un SP dans son contexte politique, économique et social. Des activités considérées d'abord comme SPA ou SPIC sont aujourd'hui vues comme l'autre type de service public, par exemple c'est le cas du service extérieur des pompes funèbres qui était un SPA est aujourd'hui un  SPIC, comme l'indique le CE le 19 décembre 1995 dans la décision n°358102 et les bacs et ponts à péage, emblématiquement des SPIC selon Bac d'Eloka  sont aujourd'hui des SPA, à l'instar de la décision du CE du 10 juillet 1989 n 77006.

            2) Le critère du mode de financement

            Cette condition a souvent un rôle important dans l'identification du SPIC, car touche aux conditions d'organisation et de fonctionnement de l'activité dans ses relations avec les tiers. De fait, le gestionnaire du SPIC doit tirer l'essentiel de ses ressources des tarifs pratiqués sur les usagers en contrepartie des services rendus, c'est-à-dire qu'il doit être financé surtout par des redevances pour service rendu, ainsi que l'explique le CE dans sa décision SNTA du 21 novembre 1958. Une activité ne peut dès lors être un SPIC si elle est gratuite ou presque, comme le rappelle le TC dans sa décision Caisse de crédit municipal de Toulon du 15 janvier 1979.

            Pourtant, dans certains arrêts, le montant des redevances ne couvre pas vraiment les coûts du SPIC et le juge s'arrête à la seule existence d'une redevance pour service rendu, comme dans l'arrêt du TC du 21 mars 2005, Mme Alberti-Scott. On le constate, la jurisprudence à ce propos est assez floue, bien que dans la plupart des cas, si les ressources sont majoritairement liées à des dotations budgétaires publiques, c'est un SPA, comme expliqué dans la décision Chambre de commerce et d'industrie du Var du 24 juin 2014.

            3) Le critère des modalités de fonctionnement

            Le mode de fonctionnement du SPIC « doit mettre en oeuvre des procédés techniques et juridiques adaptés à sa fonction de production et d'échanges, qu'il s'agisse des moyens de financement, de la comptabilité ou des contrats », comme expliqué dans les conclusions de l'arrêt USIA. C'est dans le régime juridique de l'activité que les indices de la volonté des pouvoirs publics de créer un SPIC doivent être cherchés. Par exemple, la volonté de soumettre un  établissement aux règles de la comptabilité publique, comme dans l'arrêt Consorts Uursot du TC du 24 juin 1968, ou si les agents du service sont fonctionnaires (TC 19 décembre 1988, Ville de Cannes).

            L'utilisation de prérogatives de puissance publique indique a priori qu'une activité est un SPA. Pourtant, certaines décisions récentes du Tribunal des conflits qualifient d'abord l'activité de SPA avant d'examiner si l'acte litigieux est pris sur le fondement de prérogatives de puissance publique (TC 24 avril 2017, B. Braun Medical).