Une telle notion subjective qui paraissait fondamentale à une autre époque, a-t-elle encore un intérêt aujourd'hui ou a-t-elle rencontré sa limite face aux preuves objectives de plus en plus précises de la technique ?
- L'origine de l'intime conviction
- L'intime conviction voulue par le législateur aujourd'hui
- Une évolution de l'intime conviction ?
Cette notion d'intime conviction n'a pas toujours eu la même portée au fil de l'histoire. Alors que sous l'Ancien Régime, le système de preuve légale était le fondement du procès pénal. On jugeait alors un homme sur les preuves apportées par les parties. Le juge ne devait rendre de jugement qu'en étant certain. À cette époque archaïque, l'accusé pouvait être torturé pour que le juge n'ait aucun doute. L'aveu était la preuve absolue. Autrement, la culpabilité d'une personne était déterminée par l'ordalie, considérée comme preuve infaillible. Pouvait-on douter de ce qui était considéré comme le jugement divin ? Un tel système fut rapidement critiqué par celui qui a inspiré notre droit pénal moderne : Beccaria.
Dans le Traité des Délits et des Peines, il critique l'ancien système comme absurde pour consacrer la preuve morale. La culpabilité d'une personne accusée ne serait plus déterminée par le hasard ou le fait d'une agonie trop grande, mais par l'intime conviction. C'est ce principe qu'ont repris les régimes successifs à l'Ancien Régime pour nous parvenir aujourd'hui. Le bon sens devient alors le nouveau guide du juge professionnel, soutenu par celui des jurés aux procès d'assises.
Dans une matière aussi sensible qu'une affaire pénale, où la répression a de lourdes conséquences : il est nécessaire qu'une condamnation ou un acquittement soit prononcé par le juge en toute connaissance de cause. Son intime conviction sera alors la dimension subjective de sa décision quant à son appréciation de l'ensemble du litige. Ceci afin de rendre un verdict juste et équitable, mesuré par la raison.
À notre époque, l'intime conviction est toujours présente dans notre droit positif. Le législateur l'a édictée pour le juge pénal et le juré dans le Code de procédure pénale. Elle est pourtant présente dans peu d'articles du Code. Il s'agit notamment de l'article 353.
L'intime conviction des jurés et des magistrats est interrogée en permanence par les chambres de délibérations des Cours d'assises. Il doit en effet être affiché en « gros caractères » le passage de l'article 353.
« [...] La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : "Avez-vous une intime conviction ?". »
En principe, tant les juges que les jurés auraient le devoir d'apprécier toutes les pièces qui auront été apportées à leur attention avec raison et bon sens. La preuve morale subsisterait donc encore aujourd'hui.
Pourtant elle se retrouve mise à l'épreuve par notre système de preuve. Elle est évoquée par l'article 427 qui dispose que « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. »
Le plus grand travail est effectué par le juge d'instruction notamment quand un délit ou un crime est commis. Il est chargé de rechercher la vérité dans une procédure inquisitoire. Il dispose de tous les moyens nécessaires : qu'il s'agisse de preuves scientifiques, de rapports psychologiques ou des aveux. Son travail permettra de montrer la vérité aux juges, avec à leur soutien le propre travail de la défense.
Le procès est mené tant par les preuves objectives et scientifiques qui sont réputées ne jamais mentir, que par les plaidoiries des avocats, pour convaincre le juge professionnel et les jurés devant les assises. Cependant, à l'heure actuelle les preuves obtenues par des analyses de sang, au moindre brin d'ADN trouvé, permettront de forger la décision du juge.
Mais se réduire à une telle vision en condamnant l'intime conviction comme les juristes de la fin du XXe siècle serait en dire trop peu. Cela pourrait conduire à un retour du système de preuve légal des anciens temps. Après tout, il ne s'agit que de faits explicités par la technique. Ce sera le travail du juge de les apprécier en tenant compte de la dimension humaine. Ainsi, il sera à la charge des avocats de défendre l'accusé. Plaider pour persuader les jurés ignorants et le juge professionnel par la rhétorique. C'est ainsi que l'a voulu le législateur.
L'intime conviction pourrait avoir atteint ses limites en tant que notion pour une partie de la doctrine de nos jours, comme elle était perçue initialement. Soit que la seule raison des jurés et juges était nécessaire pour déterminer la culpabilité d'une personne.
Cependant aujourd'hui, l'intime conviction ne jouerait plus que quand les preuves seraient insuffisantes ou que face à la réalité du nombre d'affaires à traiter, un juge ne pourrait que se reposer sur la performance orale des avocats par manque de temps. En dehors de ce cas, il pourrait être questionné de la nécessité de ne pas reformuler une telle notion.
Cette notion est présente depuis plusieurs siècles maintenant dans notre droit. Celui-ci est en perpétuelle évolution. Alors il serait légitime de se demander si une nouvelle formulation moins abstraite et plus adaptée pourrait être consacrée à l'avenir. Ceci afin de prendre en compte d'autres concepts et évolutions pour en trouver une définition plus juste.
Il s'agirait de tenir compte du droit au procès équitable, au principe du contradictoire, de la présomption d'innocence, et encore des progrès techniques et scientifiques dans l'élaboration de la preuve. L'ensemble de ces éléments pourraient alors permettre de juger une personne, la condamner ou l'acquitter sans se fonder sur une conviction, mais sur une certitude. Le jugement serait alors prononcé « au-delà de tout doute raisonnable », comme cela peut l'être dans la Common Law.
Sources : Henri Leclerc, L'intime conviction du juge ; Catherine ESNARD, Marie José GRIHOM et Laurence LETURMY, L'intime conviction : incidences sur le jugement des jurés et magistrats Régulations sociocognitives et implications subjectives
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